Survie

Un médicament antipaludisme qui marche mais qui manque

Publié le 2 décembre 2004 - Survie

Libération, France, 2 décembre 2004.

Le laboratoire Novartis est accusé par Médecins sans frontières de ne pas produire assez de Coartem, pour des raisons de rentabilité.

La malaria tue environ un million de personnes par an. La firme pharmaceutique bâloise Novartis a mis au point un médicament très efficace, le Coartem. Elle s’était engagée auprès de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à produire dix millions de doses en 2004. Mais l’objectif ne sera pas atteint. Médecins sans frontières (MSF) accuse le pharmacien de n’avoir pas investi suffisamment pour tenir ses engagements, « ce qui provoquera forcément une augmentation de la mortalité des enfants touchés par le paludisme ».

Procédure lourde. Le Coartem est un médicament dont le principe actif, l’artémisinine est tiré d’une plante cultivée presque exclusivement en Chine, l’armoise annuelle (Artemisia annua). Ce traitement s’est avéré remarquablement efficace pour lutter contre la malaria ; il suscite douze fois moins de résistance du parasite que d’autres molécules. L’OMS a donc mis le Coartem sur la liste des « médicaments essentiels » et a incité les gouvernements à l’adopter. Il s’agit d’une procédure relativement lourde dans des pays pauvres qui implique la formation du personnel de santé dans les zones rurales. Depuis 2001, vingt pays ont adopté le Coartem et dix-huit autres sont en train de le faire. Simultanément, l’OMS a passé un accord avec Novartis en 2001, qui s’est engagée à fournir son traitement à prix coûtant et à augmenter sa production : 220 000 traitements en 2001, 10 millions en 2004, 60 millions en 2005.

Mais l’objectif de 2004 ne sera pas atteint et reste très incertain pour 2005. Novartis justifie ces retards par la pénurie d’armoise due « au quadruplement de la demande ». Une explication qui ne satisfait pas MSF, comme le dit Jean-Marie Kindermans : « Le fond du problème est ailleurs. Novartis vend le Coartem à prix coûtant (2,4 dollars le traitement, ndlr). En d’autres termes, cette société ne dégage aucun profit sur ce médicament. Nous avions beau depuis plusieurs mois tirer la sonnette d’alarme devant le risque de pénurie, Novartis n’y a guère prêté attention, car en réalité elle se désintéresse de ce traitement. Jamais Novartis ne se serait retrouvée dans une telle situation si ce médicament dégageait des bénéfices. »

Engagement « violé ». De son côté, Novartis s’en prend à l’OMS, qui a tardé à faire connaître ses besoins. Et constate que, depuis la hausse du prix de la matière première, elle vend son traitement à perte. Le prix de l’artémisinine est passé de 180 dollars à 455 dollars la livre entre avril et novembre 2004.

Des arguments qui ne convainquent pas Jean-Marie Kindermans, pour qui, de surcroît, l’OMS « couvre » Novartis « au lieu de dénoncer l’engagement violé par la firme pharmaceutique et ses conséquences tragiques » : « Il est impossible de définir statistiquement combien d’enfants - puisque la malaria tue essentiellement des enfants ­- vont mourir, mais, évidemment, cette situation de pénurie se matérialisera par une augmentation de la mortalité », prévient-il. Particulièrement touchées, l’Ethiopie et la Zambie. « D’autres thérapeutiques existent, mais sont beaucoup moins efficaces, et provoquent des effets secondaires souvent pénibles ; et nous savons que beaucoup de gens interrompent le traitement avant la fin », ajoute Jean-Marie Kindermans.

Fatoumata Nafo-Traoré, en charge de la lutte contre le paludisme à l’OMS, reconnaît que « la situation est extrêmement préoccupante » : « C’est vrai que les médicaments destinés à des populations sans réel pouvoir d’achat sont les parents pauvres de l’industrie pharmaceutique. C’est vrai aussi que les paysans chinois veulent dégager des profits de la culture de l’armoise. Nous essayons de créer des mécanismes financiers qui les inciteraient à augmenter leur production. » Fatoumata Nafa-Traoré explique que son organisation « aimerait réunir 20 à 30 millions de dollars pour inciter les paysans chinois à produire davantage et inciter les paysans africains à cultiver cette plante, puisque les conditions climatiques s’y prêtent ».

Pièce maîtresse. Ces derniers jours à Genève s’est tenue une réunion entre l’OMS et des intermédiaires chinois pour réfléchir aux moyens de sortir de la crise actuelle. Reste une réalité incontournable : poussés par l’OMS et appuyés par Novartis et les donateurs, de nombreux pays font du Coartem la pièce maîtresse de la lutte antimalaria. Or il s’avère que la production n’est à la hauteur ni des objectifs affichés, ni des besoins. Selon l’OMS, la situation ne devrait pas s’améliorer avant mars 2005.

Par Pierre HAZAN, correspondant à Genève

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L’OMS encourage la culture d’« Artemisia »

A l’heure actuelle, Artemisia annua, la plante dont est dérivée la molécule artémisinine, n’est cultivée qu’en Chine, un peu au Vietnam, en Thaïlande et en Tanzanie. Dès mai 2003, l’OMS a annoncé qu’elle allait encourager le gouvernement tanzanien à renforcer la culture et la préservation de la plante afin qu’il dispose, de façon durable, de matières premières nécessaires à la production du médicament. Actuellement, l’Artemisia annua produite en Tanzanie est exportée vers l’Europe où elle est transformée en médicaments antipaludéens qui sont ensuite importés par les pays africains.

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