Survie

Aide au développement : les idées reçues ont la vie dure

Publié le 9 janvier 2012 - Thomas Noirot

En septembre, l’institut de sondage IFOP et l’Agence Française de Développement (AFD) ont rendu publics les résultats de leur traditionnel sondage « les français et l’aide au développement ». L’AFD, qui a fêté en décembre ses 70 ans, faisait alors connaître les interrogations des français et des françaises... sans y répondre. En novembre, le rapport Emmanuelli publié en annexe de l’examen du projet de loi de finances 2012 arrivait au même résultat : des questions sans réponse.

L’AFD réalise depuis plusieurs années un sondage en France permettant de jauger le soutien populaire à l’aide publique au développement (APD) et le degré de connaissance de nos compatriotes sur ces dépenses en apparence généreuses. Première conclusion, que l’AFD tente comme toujours de transformer en plébiscite pour défendre ses prébendes : les français sondés considèrent très majoritairement normal que la France ait sa propre aide au développement, en complément de celle de l’Union Européenne (77% des sondés), y compris en période de difficultés budgétaires (63%). Bonne nouvelle, donc : même si la situation empire pour tout le monde, peuples des pays bénéficiaires comme du « généreux donateur », on veut « aider », encore et toujours... Même si les effets se font attendre ?

Sans doute que oui, car cette enquête consacre également la communication officielle sur les supposés mérites de l’aide française :ils sont ainsi 60% à considérer que les montants consacrés par la France sont globalement suffisants, et surtout 55% à penser que cette aide est actuellement globalement efficace... mais on ne sait pas bien efficace sur quoi, puisqu’ils sont une minorité à considérer qu’elle est efficace dans la « lutte contre la pauvreté » (43%) et dans la « lutte contre le changement climatique » (40%). Même pour la sacro-sainte « croissance économique », qui a le mérite d’englober les performances financières des entreprises étrangères, les personnes qui croient en l’efficacité de nos dispositifs atteignent péniblement 48% des sondés.

Inefficacité de l’aide ou efficacité de la nuisance ?

Il faut dire que la question de « l’efficacité de l’aide »est épineuse, car elle en amène une autre : comment mesure-t-on l’efficacité d’une politique d’aide au développement ? Si certains programmes d’aide sont agrémentés d’indicateurs supposés mesurer leur efficacité, et dont on peut d’ailleurs souvent douter, comment répondre à cette question pour l’ensemble de la politique d’aide au développement française ? Or, le rapport d’Henri Emmanuelli présenté cette automne devant la Commission des finances de l’Assemblée nationale, qui examinait le projet de loi de finances 2012, martèle que « l’aide » française est trop éparpillée, du moins sur son volet multilatéral : « les résultats de l’aide multilatérale au développement peu lisibles. Ses opérateurs sont dispersés entre les 261 organisations internationales et les 14 fonds sectoriels recensés ». On le sent moins critique sur l’aide bilatérale, outil d’influence par excellence de la France vis à vis des pays bénéficiaires. Il se félicite que « l’Agence Française de développement est désormais un opérateur essentiel (...). Ses autorisations de financements atteignaient 6,8 milliards d’euros en 2010 ». Toute cette somme n’est pas comptabilisée en « aide », puisque l’AFD ne contribue « que » à un gros quart de l’APD française, qui atteignait l’année dernière 10,8 milliards d’euros, mais on constate la montée en puissance de l’AFD grâce au développement de son activité de crédit, notamment au secteur privé. Ca ne semble pas choquer Emmanuelli, qui s’étonne juste de certains montages : « peut-on réellement qualifier un prêt visant la réfection de l’aéroport de Capetown en Afrique du Sud comme une aide au développement ? ». Mais pour lui, visiblement, rien de choquant à ce que l’AFD ait triplé en 10 ans sa part dans l’APD totale de la France, notamment en multipliant les prêts à des conditions préférentielles à des entreprises : c’est l’aide au développement... des profits des multinationales françaises, qui aiment à se partager ce gâteau offert ces contribuables français qui voient d’un bon oeil l’idée « d’aider » l’Afrique.

Mais qui aide-t-on, au fait ?

Car le sondage de l’AFD conclut aussi que 50% des sondés se demandent « comment sont décidés les choix et les priorités d’action » et 53 % souhaiteraient connaître la liste des pays bénéficiaires, sachant qu’ils pensent très majoritairement que les pays d’Afrique devraient être les destinataires prioritaires de l’aide française. Surtout, les deux tiers des français souhaitent « être informés sur le contenu et l’avancement des projets ». Il y a en effet toujours un déficit d’information incroyable... jusque sur les bancs de l’Assemblée. Car le rapport Emmanuelli dénonce, une nouvelle fois (c’était déjà le cas l’année dernière pour le projet de loi de finances 2011), le manque d’informations transmises par les services ministériels.

Ainsi, le rapport ne concerne cette année que la mission Aide publique au développement, « une mission interministérielle qui regroupe les crédits des trois principaux programmes concourant à la politique française d’aide publique au développement. Il s’agit du programme 110 Aide économique et financière au développement, mis en œuvre par le ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie (MINEFI), du programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, mis en œuvre par le ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) et du programme 301 Développement solidaire et migrations, mis en œuvre par le ministère de l’Intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration (MIOMCTI) ». Problème, cette mission, et donc ce rapport auprès des parlementaires chargés de voter les crédits, « ne regroupe qu’une partie de l’effort français : environ 37 % de l’effort global d’aide publique au développement ». Car l’APD est surtout un agrégat comptable, où l’on comptabilise comme aide au développement des dépenses engagées au titre de différentes politiques publiques : « 63 % sont dispersés dans les documents budgétaires de 17 autres programmes : Action de la France en Europe et dans le monde, Conduite des politiques sanitaires et sociales, Enseignement technique agricole, Enseignement supérieur et recherche agricole, Recherche dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources, Vie étudiante, Formation supérieure et recherche universitaire, etc. ».

Le contrôle parlementaire, même minimaliste, de l’ensemble des crédits dédiés à l’APD dans le projet de loi de finances 2012 n’a donc pas eu lieu sous cet angle d’analyse, faute pour le rapporteur de disposer du document de politique transversale lui permettant d’avoir une vision d’ensemble de la politique d’aide au développement : « Dans ces conditions, rapporter devant la commission des Finances sur les crédits de la mission Aide publique au développement (APD) relève plus de l’exercice de bonne volonté que du véritable contrôle démocratique », tranche Emmanuelli. Mais après tout, on ne parle que de quelques milliards d’euros, dont une large partie sert toujours à consolider les structures de la Françafrique.

Aider la démocratie ou la stabilité ?

Selon les personnes sondées l’été dernier, le deuxième objectif prioritaire de l’aide française devrait être la « contribution au développement de la démocratie et de la paix dans le monde ». Mais il faut compléter par un chiffre intéressant, que l’IFOP et l’AFD s’étaient bien gardés de mettre en avant lors de la conférence de presse de présentation des résultats : seuls 7% des personnes interrogées citent la « stabilité politique » comme un indicateur d’efficacité de l’aide au développement.

Pourtant, comme le rappelle le rapport Emmanuelli, « avec le document cadre « Coopération au développement : une vision française », adopté le 3 novembre 2010, la France s’est dotée d’une stratégie fixant pour les 10 ans à venir sa politique de coopération au développement. Cette politique vise à répondre à quatre grands enjeux complémentaires : promouvoir une croissance durable et partagée ; lutter contre la pauvreté et l’inégalité ; préserver les biens publics mondiaux ; et contribuer à la stabilité et à l’état de droit ». Prétendre lier la « stabilité » et « l’état de droit » est depuis toujours un des pires leitmotiv de l’intervention de la France dans son pré-carré, que l’Etat a ainsi réinscrit dans le marbre pour 10 ans... à peine deux mois et demi avant le renversement de Ben Ali. Cela permet opportunément de maintenir dans le champ de l’APD les crédits engagés au titre de la coopération militaire et policière, par exemple, et de justifier certaines aides budgétaires, véritables chèques aux dictateurs : même si après les 19,5 millions d’euros versés au Burkina de Blaise Compaoré en 2009, les 2 à 4 millions d’euros versés chaque année depuis 2009 au Togo de Faure Gnassingbé ou le million d’euros versé en 2011 à la Centrafrique de Bozizé font pâle figure, ces bonus contribuent assurément à la stabilité de tels « états de droit ».

Finalement, la majorité des sondés, comme le rapporteur Emmanuelli, semblent toujours croire qu’il existe une « bonne » aide au développement, se refusant sans doute à jeter le bébé avec l’eau du bain. Reste que depuis plus de cinquante ans, notre « aide » n’a fait qu’aider à ce que la situation s’empire. Et à quand bien même nous serions capables d’un contrôle démocratique suffisamment efficace pour parvenir à nous débarrasser seulement de l’eau du bain, le « bébé » resterait tout droit issu de l’impérialisme économique et politique du plan Marshall et du ministère français de la coopération qui remplaça celui des colonies en 1960, en maintenant une AFD créée depuis Londres le 2 décembre 1941 par De Gaulle et qui fête donc joyeusement ses 70 ans. Notre « aide » n’en constituerait donc pas moins, par son essence même, un interventionnisme et une ingérence dans les choix économiques et la vie politique des peuples que l’on nous présente comme des « bénéficiaires », toujours implicitement perçus comme incapables de conquérir eux-mêmes leurs droits.

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