La cour d’appel de Paris vient de confirmer la décision de non lieu dans l’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président rwandais Habyarimana. Durablement marquée par l’instrumentalisation politique, cette enquête aura éludé pendant 22 ans la piste de la responsabilité des extrémistes hutus et de leurs soutiens français. Sans coupables désignés, ce non-lieu, qui fait l’objet d’un pourvoi en cassation, laisse le champ libre aux théories négationnistes qui continuent, malgré les preuves démentant cette hypothèse, à accuser le Front Patriotique Rwandais.
Le 6 avril 1994, l’avion du président rwandais Habyarimana, visé par deux missiles, est abattu. C’est l’événement déclencheur du coup d’État mené par les extrémistes hutus, qui font assassiner les opposants et constituent un gouvernement. Simultanément, ils déclenchent le génocide contre les Tutsis qu’ils avaient prémédité de longue date.
Commencée 4 ans après les faits, la procédure sur cet attentat a entraîné, de novembre 2006 à novembre 2009, une rupture des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda. En effet, sans même avoir enquêté, le juge Bruguière a instruit pour désigner comme coupables les dirigeants du Front Patriotique Rwandais, actuellement au pouvoir au Rwanda. Ce juge a utilisé les services d’experts qui étaient en réalité partie prenantes, d’un mercenaire ancien gendarme de l’Élysée, d’un traducteur rwandais membre des cercles extrémistes. Ses "témoins" se sont ensuite rétractés.
Les juges Trévidic et Poux, reprenant l’instruction en 2007, se rendent enfin sur place, et commandent une expertise balistique. Celle-ci conclut que les missiles qui ont abattu l’avion sont partis des abords du camp militaire de Kanombe, tenu par les extrémistes hutus. Leur responsabilité, avec l’aide éventuelle de leurs soutiens français, ne sera cependant jamais examinée par la justice française.
Le juge Trévidic demande la communication des notes de la DGSE. Mais c’est seulement après son départ en 2015 qu’elles sont versées au dossier. Depuis, elles n’ont toujours pas été prises en compte. Pourtant, elles montrent que dès 1994, la DGSE informait les décideurs parisiens qu’elle soutenait la piste des extrémistes hutus.
Comme le dossier ne permet pas d’incriminer le Front Patriotique Rwandais, les juges concluent aujourd’hui à un non-lieu, sans coupables désignés. Cette nouvelle sera certainement accueillie avec soulagement à Kigali. Bien qu’elle fasse déjà l’objet d’un pourvoi en cassation, elle pourrait contribuer à normaliser complètement les rapports avec Paris.
Cependant, faute de rechercher les vrais coupables, ce non-lieu fera le lit des négationnistes. Ils attribuent envers et contre tout l’attentat au Front Patriotique Rwandais, pour l’accuser d’avoir voulu conquérir le pouvoir au mépris de la vie des Tutsis du Rwanda, voire de porter ainsi une responsabilité dans le génocide.
Pour Raphaël Doridant, co-auteur d’un récent livre sur L’État français et le génocide des Tutsis : « La Cour d’appel de Paris ne se montre pas à la hauteur de la responsabilité historique qui lui incombe. Elle décide de ne pas poursuivre l’enquête à partir des pistes ouvertes par l’instruction en direction des extrêmistes hutus et d’éventuels complices français, mercenaires ou militaires. Elle laisse ainsi le champ libre à ceux qui nient le génocide des Tutsis ou en déforment l’histoire. Ceux-ci bénéficient d’une large audience dans notre pays, et sont régulièrement mis en avant par d’anciens responsables politiques comme Hubert Védrine. »
Dossier noir : l’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda
Pour plus d’informations sur l’attentat du 6 avril 1994, télécharger ci-contre un extrait de "L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda", de Raphaël Doridant et François Graner (Agone/Survie, 2020).