Malgré les informations dont elles disposent sur les intentions de certains dirigeants rwandais, les autorités françaises réduisent le FPR à une organisation tutsi, en ignorant son caractère de mouvement politique. Pourtant, s’il est formé en grande partie de Tutsi en exil, le FPR a aussi des adhérents hutu, et il propose un programme de gouvernement pour le pays. Cette lecture de la situation rwandaise « qui fait du critère ethnique le critère explicatif principal des rapports sociaux et politiques » (MIP, rapport, p. 340) conduit Paris à soutenir les partis extrémistes au détriment des opposants hutu à Habyarimana, favorables à la participation du FPR aux institutions politiques prévues par les accords d’Arusha. Elle amène aussi les militaires français sur place à pratiquer des contrôles d’identité ciblant les Tutsi rwandais, assimilés à l’ennemi FPR.
Dès le 11 octobre 1990, l’amiral Lanxade interprète l’offensive du FPR comme une offensive tutsi. Cette grille de lecture ethniste restera celle des autorités françaises.
Quelques jours après avoir reçu cette note, François Mitterrand résume la question rwandaise en ces termes lors du conseil des ministres du 17 octobre 1990 : « La France n’a pas à se mêler des combats d’origine ethnique qui se déroulent dans ce pays, même si objectivement, il n’y a pas d’intérêt à ce qu’une petite minorité tutsi qui se révolte l’emporte sur la majorité de la population hutu. Si en effet la rébellion devait l’emporter, les Hutus du Rwanda et des Etats voisins chercheraient immédiatement à organiser un coup d’Etat en sens inverse » (Rwanda. Les archives secrètes de Mitterrand (1982-1995), éditions Aviso - L’esprit frappeur, p. 48). Aux yeux du président français, chaque Rwandais est donc renvoyé à son appartenance « ethnique » (rappelons ici que Hutu et Tutsi ne sont pas des ethnies) censée déterminer ses choix politiques.
A Kigali, les extrémistes hutu ne s’y trompent pas et le journal Kangura publie, le 6 décembre 1990, une photo de François Mitterrand en quatrième de couverture, accompagnée de cette légende : « Un véritable ami du Rwanda. C’est dans le malheur que les véritables se découvrent ». Le même numéro contient quelques pages avant « Les dix commandements du Hutu », bréviaire de la haine anti-tutsi.
Sur le terrain, les militaires français participent à des contrôles d’identité aux côtés de leurs collègues rwandais. Les Tutsi sont séparés et retenus à ces « barrières ». En avril 1991, à la sortie de Ruhengeri, des Tutsi contrôlés par des soldats français et rwandais sont ensuite exécutés à quelques mètres à peine par des miliciens (Laure Coret et François-Xavier Verschave, L’horreur qui nous prend au visage, Karthala, 2005, p. 20-24).