Le soutien de l’Etat français au régime génocidaire s’est exercé pendant la période allant de 1990 à 1994, et cette implication s’est poursuivie par des manœuvres visant à empêcher la vérité de sortir au grand jour. Le silence a été imposé sur cette politique, mise en œuvre par un petit cercle de hauts responsables politiques et militaires, principalement sous les ordres de François Mitterrand, à l’époque conseillé par Hubert Védrine.
Les autorités françaises étaient informées de la possibilité d’un génocide des Tutsi rwandais dès l’automne 1990, comme le prouvent notamment un télégramme diplomatique de l’attaché de défense et le témoignage de l’ambassadeur de France à Kigali devant la Mission d’Information Parlementaire de 1998. Les officiers français intégrés à la hiérarchie militaire rwandaise entre 1990 et avril 1994, jusqu’au plus haut niveau (conseiller du chef d’Etat-major des Forces armées rwandaises) savaient que le régime Habyarimana mettait en place un système d’auto-défense civile visant à enrôler la population dans la lutte contre « l’ennemi », c’est-à-dire, aux yeux du régime, le Front Patriotique Rwandais (FPR) et les tutsi vivants au Rwanda.
Sachant cela, les autorités françaises ont continué à soutenir le régime rwandais après les premiers massacres de Tutsi commandités par le pouvoir dans plusieurs régions du pays entre 1990 et 1993 : livraisons d’armes, formation des soldats des Forces armées rwandaises (FAR) et des miliciens Interahamwe, appui direct au combat. Sans ce soutien décisif, il est très probable que le régime Habyarimana aurait été militairement vaincu par le FPR, et que, par conséquent, le génocide des Tutsi n’aurait pas eu lieu.
Dès le 8 avril 1994, l’ordre d’opération d’Amaryllis (évacuation des Français et Européens), mentionnait que l’objet des massacres était « l’élimination des opposants et des Tutsi ». Pourtant, les livraisons d’armes ou de munitions aux extrémistes ont continué, à commencer par une livraison par le premier avion de l’opération Amaryllis. Le 21 avril 1994, la France a, comme les autres grandes puissances, voté la réduction drastique du contingent de Casques bleus, abandonnant les Rwandais tutsi à leur sort. Le 27 avril, les autorités françaises ont reçu à Paris deux responsables du génocide, Jérôme Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères du Gouvernement Intérimaire Rwandais (GIR), et Jean-Bosco Barayagwiza, accueillis à l’Elysée par Bruno Delaye, conseiller Afrique de François Mitterrand, et à Matignon par Edouard Balladur, Premier ministre, et Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères. La France reconnaissait ainsi le GIR, couverture politique du génocide, et fut le seul pays occidental à le faire.
Du 9 au 13 mai, le lieutenant-colonel Rwabalinda, conseiller du chef d’Etat-major des Forces armées rwandaises qui encadraient le génocide, a rencontré à Paris le général Huchon, chef de la Mission militaire de coopération – le compte-rendu rédigé côté rwandais est « éloquent ». Le général Huchon a reçu régulièrement le colonel Kayumba, directeur du service financier du ministère rwandais de la Défense, organisateur de six livraisons d’armes aux tueurs entre le 18 avril et le 19 juillet.
Fin juin, en parallèle de l’Opération Turquoise, sensée être strictement humanitaire, le COS exfiltre des Blancs du Nord-ouest du Rwanda, qui ne peuvent être que soit des mercenaires, soit des soldats français présent au Rwanda pendant tout le génocide.
La Zone Humanitaire Sûre créée par l’opération Turquoise a été utilisée comme refuge par les auteurs du génocide, en passe d’être défaits militairement par le FPR. Face à cette situation, l’ambassadeur Yannick Gérard envoie un télégramme à Paris le 15 juillet indiquant : « […] dans la mesure où nous savons que les autorités portent une lourde responsabilité dans le génocide, nous n’avons pas d’autre choix, quelles que soient les difficultés, que de les arrêter ou de les mettre immédiatement en résidence surveillée en attendant que les instances judiciaires internationales compétentes se prononcent sur leur cas. », mais les responsables et auteurs du génocide présents dans la Zone Humanitaire Sûre n’ont pas été arrêtés, et sont restés libres, poursuivant les actions de génocide dans cette zone avant d’aller se réfugier au Zaïre, avec leurs armes.
Le numéro d’octobre 1994 de la revue de la Légion étrangère, Képi blanc, indique que « l’état-major tactique [de Turquoise] provoque et organise l’évacuation du gouvernement rwandais vers le Zaïre ». Le colonel Bagosora, principal artisan du génocide, qui sera condamné en 2008 par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), avait déjà été évacué par des soldats français début juillet.
Les autorités françaises maintiennent ensuite leur alliance après le génocide en fournissant nourriture, armes, et entraînement militaire à cette armée du génocide réfugiée au Congo. A l’été 1995, le gouvernement français refuse de satisfaire la demande du gouvernement belge d’arrêter et d’extrader le colonel Bagosora qui faisait, comme d’autres génocidaires de premier plan, des séjours en France.
La complicité de génocide, reprise par la jurisprudence du TPIR est ainsi définie : « […] [U]n accusé est complice de génocide s’il a sciemment et volontairement aidé ou assisté ou provoqué une ou d’autres personnes à commettre le génocide, sachant que cette ou ces personnes commettaient le génocide, même si l’accusé n’avait pas lui-même l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie le groupe national, ethnique, racial ou religieux, visé comme tel. ». Les autorités françaises, qui n’ont pas voulu le génocide, ont cependant apporté leur soutien aux extrémistes pendant que ceux-ci le préparaient et l’exécutaient, et n’ont pas rompu leur alliance avec les génocidaires pendant et après le génocide.
Pour aller plus loin : La complicité de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, Survie, L’Harmattan, 2009.