On se souviendra définitivement de l’année 2024 pour ses jeux olympiques du cynisme et de la banalisation de l’horreur - et les autorités politiques françaises ne rougissent pas de leur podium. Le 30e anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda et les commémorations de la défaite de l’Allemagne nazie en 1944 revêtent une dimension toute particulière face aux massacres, sous nos yeux et avec le soutien de la "communauté internationale", de la population palestinienne. Une amertume qui fait écho au double langage du président François Mitterrand, le 10 juin 1994 à Oradour-sur-Glane, où il dénonçait la barbarie nazie au moment même où un génocide se déroulait grâce à son soutien au régime rwandais.
« Nous ne voulons pas que cela recommence » déclarait-il. Pourtant, comme le souligne justement le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, « cela » avait recommencé. En toute connaissance de cause : sans compter les alertes qui émergent dès 1993, depuis a minima le déclenchement du génocide des Tutsis en avril 1994, le président Mitterrand était au fait. Ainsi, la France "aurait pu arrêter le génocide", mais "n’en a pas eu la volonté" : ces éléments de langage de l’Élysée qui ont fuité avant de ne pas être prononcés par Macron dans une vidéo diffusée à Kigali lors des XXXe commémorations, auraient pu réconcilier la position officielle française avec une certaine honnêteté historique et factuelle qu’elle ne cesse d’ignorer.
La France de Mitterrand a apporté avant, pendant et après le génocide, un appui à la fois militaire, diplomatique et financier au pouvoir rwandais. Les intérêts géopolitiques de la France et la fidélité affichée à ses régimes alliés autoritaires et criminels ont été au centre de l’engagement français au Rwanda. Le génocide a été relégué au second plan, ou rendu si dérisoire que dénié. La cruauté de cette hypocrite double langage, teinté d’une forme primaire de racisme et de colonialisme, atteindra son apogée deux semaines après l’allocution de Mitterrand, au Rwanda. Des centaines de Tutsis, qui s’étaient réfugiés sur les montagnes de Bisesero seront exterminé.e.s, alors que les troupes françaises, informées, se trouvaient à quelques kilomètres à vol d’oiseau. Aucun ordre d’intervenir n’a été donné. Pendant trois jours, entre le 27 et le 30 juin, cette inaction française délibérée a eu pour conséquence de laisser le champ libre aux tueurs.
Mitterrand n’avait pas tort en disant qu’il « appartient aux générations prochaines de bâtir un monde où les Oradour ne seront plus possibles. ». Reste à leur en donner les moyens en signant la fin du déni institutionnalisé, terreau fertile du négationnisme et de la hiérarchisation de la valeur des vies humaines.
Extraits de La Fantaisie des dieux - Rwanda 1994 : au coeur du génocide, Patrick de Saint-Exupéry et Hippolyte de St Exupéry, Les Arènes Bd (2024).