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Condamnation confirmée pour Pascal Simbikangwa

Publié le 22 décembre 2016 - Survie

Le 3 décembre, l’ex-­capitaine de l’armée rwandaise a vu sa peine de 25 ans de réclusion criminelle pour génocide confirmée en appel par la cour d’assises de Bobigny.

En 2014, le procès de Pascal Simbi­kangwa avait été le premier procès
en France d’une personne poursui­
vie pour des faits de complicité de génocide
et de crime contre l’Humanité commis lors
du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994.
Condamné par la cour d’assises de Paris à 25
ans de réclusion pour « génocide », une fois
les faits requalifiés à l’audience, Simbikang­
wa avait continué à nier et fait appel.
La cour d’assises d’appel a rendu son
verdict le 3 décembre 2016, au terme de six
heures de délibération. Pascal Simbikangwa
a été définitivement reconnu coupable de
génocide par la justice française. Celle­ci af­
firme donc, pour la seconde fois, que l’ex­of­
ficier a participé, entre avril et juillet 1994, à
l’extermination des Tutsi rwandais, une ex­
termination qui résultait d’un « plan concer­
té », selon la définition du crime de génocide
en droit français. Simbikangwa voit égale­
ment sa peine confirmée en appel.


Un donneur d’ordres

Cette condamnation revêt une impor­
tance particulière car Simbikangwa n’est pas
un exécutant du génocide, mais un donneur
d’ordres. En 1994, il est un ancien militaire,
ancien des services de renseignement char­
gé du contrôle de la presse avant la mise en
place, en avril 1992, du gouvernement de
transition issu des accords d’Arusha. Sans
fonction officielle déclarée de 1992 à 1994, il
a tenté, à l’audience, de se présenter comme
un homme sans importance, sans autorité
dans la période précédant et englobant le
génocide.
Pourtant, comme l’a fait remarquer Me
Jean Simon, un des deux avocats de Survie,
il a eu incontestablement connaissance
avant sa publication du contenu du rapport
de la commission internationale d’ONG qui
s’est rendue au Rwanda en janvier 1993. Et il
a été chargé d’aller remettre un contre­rap­
port aux enquêteurs... Lui, un homme de
rien ?

De même il a gardé sa maison de fonc­
tion dans le quartier huppé de Kigali après
son limogeage en 1992, « une maison digne
d’un ministre » comme l’a dit un témoin à la
barre, alors qu’il n’aurait fait parti d’aucun
réseau ? Il a pu obtenir du ministre de la Dé­fense deux gardes du corps qui l’accompa­gnaient dans tous ses déplacements, et ce
jusqu’à sa fuite après la prise de Kigali par
les troupes du Front patriotique rwandais
(FPR) en juillet 1994, alors que la guerre ré­
clamait tous les militaires y compris les ré­
servistes, alors qu’il n’aurait pas fait partie de
l’Akazu, le petit cercle d’extrémistes qui su­
pervisait le génocide ?
Sa maison était gardée en son absence
par des membres de la Garde présidentielle,
personne n’aurait pu entrer alors qu’on de­
vait savoir qu’il y hébergeait des réfugiés
Tutsi lui ayant demandé protection... Une
vraie petite Suisse alors qu’il n’avait plus au­
cune autorité ? Et ce, même en son ab­sence...
Quand il circulait dans Kigali (et il circu­lait quasi­ quotidiennement, selon plusieurs
témoins), il passait les barrières sans aucun
problème. Souvent les miliciens le recon­naissaient et ne l’arrêtaient pas. Et alors
qu’un rationnement sur l’essence avait été
déclaré sur tout le pays, il a pu obtenir de
l’essence dans les stations, sans difficulté,
pendant tout le génocide et il s’étonnait
même à l’audience qu’on puisse l’interroger
à ce sujet.

Lors de son premier procès, il niait avoir
vu un seul cadavre pendant les cent jours du
génocide. Aujourd’hui il admet en avoir
vu... un ! Alors que les camions bennes ra­
massaient les corps tous les matins à Kigali.
Et dans son village natal dans lequel il s’est
rendu plusieurs fois, il « croit savoir qu’il y
en a eu trois ». Il ignorait qu’il y avait un gé­
nocide et pas seulement une guerre contre
le FPR ! Il l’aurait appris à Mayotte lors de
l’instruction....

Les témoins ont affirmé, pour leur part,
que Pascal Simbikangwa était resté actif
d’avril à juillet 1994, qu’il détenait et distri­
buait des armes, et que celles­ci avaient servi
au génocide. Ils ont déclaré qu’en détenteur
d’une autorité reconnue, il félicitait les mili­
ciens, les encourageant à bien « travailler »,
comme le faisait la Radio Télévision Libre
des Mille Collines (RTLM), surnommée « ra­
dio machette », la radio de la haine dont il
était actionnaire et qu’il avait contribué à
créer.

Étonnants témoins à décharge

Aux témoignages accusateurs qui se sont
succédé, la défense oppose une stratégie
devenue habituelle : la plupart du temps,
Pascal Simbikangwa ne répond pas aux
questions posées par la cour ou par les avo­
cats des parties civiles, il plaide son inno­
cence et tente de déconstruire l’accusation.
Il affirme être la victime, victime d’un com­
plot dont cette audience serait l’ultime re­
bondissement. Pourtant il a eu longuement
et à maintes reprises la possibilité de s’expri­
mer.
Sa défense a tenté de nous faire croire
que le génocide des Tutsi n’avait pas été pla­
nifié. L’argument habituel a été servi à la
cour : le Tribunal Pénal International pour le
Rwanda (TPIR) n’aurait pas prononcé de
condamnation pour « fait d’entente en vue
de commettre le génocide », ce qui démon­
trerait que celui­ci n’a pas été préparé. Me
Safya Akorri, autre avocate de Survie, a réta­
bli la vérité en mentionnant les verdicts du
TPIR qui retiennent pourtant bien cette in­
crimination.

D’étonnants témoins à décharge sont
venus essayer de disculper Pascal Simbi­
kangwa, comme l’ex­colonel de gendarme­
rie Michel Robardey ou encore l’écrivain
Pierre Péan... Pourquoi ces chantres de la
politique menée par la France au Rwanda se
sont­ils sentis tenus de venir témoigner en
faveur d’un génocidaire condamné en pre­
mier instance, alors que rien ne les y obli­geait ?
La défense a également abondamment
cité l’historien Bernard Lugan pour oser af­
firmer devant la cour que la différence entre
Hutu et Tutsi n’était ni sociale, ni colonialiste
mais physiologique ! Cet historien racialiste
qui se vanterait de pouvoir reconnaître les
uns et les autres à leur morphotype, quand
chaque jour de ce procès on nous a parlé
des mariages mixtes si nombreux au Rwan­da.

Il a manqué à ce procès la parole des
personnes physiques victimes de Pascal Sim­bikangwa, qui l’auraient accusé. Elles étaient absentes. Elles se sont tues à jamais en 1994.

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