Survie

Coup de projecteur sur Agathe Kanziga

Publié le 6 novembre 2020 - Survie

Agathe Kanziga, veuve de l’ancien président rwandais Habyarimana, vient d’être mise sous statut de témoin assisté dans la plainte déposée par Survie, la FIDH et la LDH contre Paul Barril pour complicité de génocide.

Le capitaine Barril, ex-gendarme de l’Elysée sous Mitterrand, reconverti dans les années 80 dans la sécurité auprès de chefs d’Etat africains, a été l’un des éléments de la « stratégie indirecte » de l’Etat français au Rwanda. Il est poursuivi pour avoir signé un contrat d’armement avec le gouvernement intérimaire rwandais pendant le génocide des Tutsis, en 1994. Ce coup de projecteur sur Kanziga, Barril et leurs relations lève le tabou sur une question crue : Agathe Kanziga, Hutue extrémiste, abritée en France par le président Mitterrand pendant le génocide des Tutsis, était-elle une des commanditaires des missions de Paul Barril au Rwanda ?

Quelques rappels

Rappelons que Agathe Kanziga fait l’objet de lourdes accusations de la part de la justice administrative française. En effet en 2004 elle a demandé à la France à bénéficier du droit d’asile. Or la clause 1Fa de la convention de Genève prévoit qu’on puisse exclure de l’asile les personnes dont on aura des raisons de penser qu’elles ont commis un crime contre l’humanité. Les instances compétentes (OFPRA, Cour nationale du droit d’asile et Conseil d’Etat) se sont alors penchées sur son dossier et lui ont refusé l’asile à ce titre. Ainsi, la Cour nationale du droit d’asile souligne que, bien que dépourvue de rôle officiel, Agathe Kanziga était « au cœur du régime génocidaire responsable de la préparation et de l’exécution du génocide », ayant « exercé une autorité de fait entre 1973 et 1994, mais aussi au-delà de cette date ».

La Cour précise qu’Agathe Kanziga a joué un rôle central au sein du premier cercle du régime, l’Akazu, « système clanique de partage et d’utilisation des prébendes financières », qui a « confisqué le véritable pouvoir en institutionnalisant les soutiens familiaux ». Elle coordonnait « différents cercles politique, économique, militaire et médiatique ». Elle a été la « pièce maîtresse du système de répression », à commencer par le Réseau Zéro et ses « escadrons de la mort ». Elle a joué un « rôle prédominant » dans « le lancement puis le contrôle du journal extrémiste Kangura » et de Radio des Mille Collines. Elle a eu un « rôle personnel » en 1991 dans « l’organisation des massacres », en 1992 dans « la formation et l’équipement des milices Interahamwe », le 11 février 1994 dans l’établissement de listes de personnes à exécuter. À partir de la mort de son mari, le 6 avril 1994, elle a démontré son « emprise sur les affaires de l’État », y compris après son départ pour la France.

Dans les années qui ont suivi le génocide, selon le chercheur Andrew Wallis auteur du livre Stepp’d in Blood, elle a contribué à préparer, avec le soutien de la France, la reconquête du Rwanda par les génocidaires réfugiés au Zaïre. Elle a en effet rencontré le président zaïrois Mobutu début décembre 1995, en présence d’officiers français. Les discussions visaient à préparer des plans d’invasion concrets. Une autre rencontre a eu lieu en décembre 1995 entre elle et son fils Jean-Luc, le président libyen Kadhafi, Mobutu et le conseiller militaire du président Chirac, pour organiser des livraisons d’armes depuis la Libye via le Gabon, à destination des ex-Forces armées rwandaises.

En 2007, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) a déposé en France une plainte contre elle, actuellement en cours d’instruction, pour crime de génocide et complicité de crime contre l’humanité. Agathe Kanziga est aussi visée par un mandat d’arrêt international émis par le Rwanda. Malgré cela, et malgré ce que la justice administrative a soulevé à son égard, Agathe Kanziga n’a guère été inquiétée sur le plan pénal.

Quelle est sa situation actuelle ?

Elle a demandé à nouveau un titre de séjour, qui lui a finalement été refusé par le Conseil d’État en 2013. Cette même année elle a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’a pas considéré sa demande comme recevable. Depuis, c’est la « sans-papiers » la plus déconcertante de France : malgré le poids des accusations qui la visent elle n’est ni extradée, ni expulsée, ni jugée. Faut-il en déduire que les secrets sur la coopération franco-rwandaise, qu’elle connaît parfaitement, lui ont assuré jusqu’ici un soutien indéfectible de la part de certains acteurs français de l’époque ?

Survie espère que, après des années d’indifférence à l’égard d’Agathe Kanziga, la justice française s’acheminera enfin vers sa mise en examen et instruira concrètement les accusations portées contre elle.

a lire aussi