Ce jeudi 25 janvier s’ouvre un procès contre trois journaux (Mediapart, L’Obs, Le Point) et deux ONG (Sherpa et ReAct), attaqués en diffamation par la holding luxembourgeoise Socfin et sa filiale camerounaise Socapalm, fortement liées au groupe Bolloré, Vincent Bolloré lui-même siégeant au sein de leur conseil d’administration. Les plaignants leur reprochent des articles relatant les mobilisations de villageois et d’agriculteurs ouest-africains voisins d’exploitations gérées par ces deux sociétés. Alors qu’hier encore, le TGI de Paris déboutait la société Bolloré dans une énième plainte en diffamation contre le journal Les Inrocks, le procès de demain marque une nouvelle étape dans les poursuites judiciaires lancées par le magnat breton et ses partenaires contre des médias, des organisations non gouvernementales ou des journalistes, qui ont évoqué les coulisses de ses activités économiques et commerciales en Afrique, ses liens avec la holding luxembourgeoise Socfin et les conséquences des acquisitions de terre à grande échelle.
Depuis 2009, plus d’une vingtaine de procédures en diffamation ont ainsi été lancées par Bolloré ou la Socfin en France et à l’étranger – pour contourner la loi de 1881 sur la liberté de la presse – contre des articles, des reportages audiovisuels, des rapports d’organisations non gouvernementales, et même un livre. France Inter, France Culture, France Info, France 2, Bastamag, Le Monde, Les Inrocks, Libération, Mediapart, L’Obs, Le Point, Rue 89, Greenpeace, React, Sherpa… Une cinquantaine de journalistes, d’avocats, de photographes, de responsables d’ONG et de directeurs de médias, ont été visés par Bolloré et ses partenaires (voir la liste ci-dessous) !
Au vu de leur ampleur, nous estimons que ces poursuites judiciaires s’apparentent à des « poursuites-bâillons ». Ces procédures lancées par des grandes entreprises multinationales sont en train de devenir la norme. Apple, Areva, Vinci ou Véolia ont récemment attaqué en justice des organisations non gouvernementales ou des lanceurs d’alerte. En multipliant les procédures judiciaires dans des proportions inédites – quitte à les abandonner en cours de route –, le groupe Bolloré en a fait une mesure de rétorsion quasi-automatique dès lors que sont évoquées publiquement ses activités africaines. Ces attaques en justice contre les journalistes viennent s’ajouter à d’autres types d’entraves à la liberté de la presse dont est désormais coutumier le groupe Bolloré. En 2014, son agence de communication Havas avait par exemple tenté de supprimer plus de 7 millions d’euros de publicité au journal Le Monde, suite à une enquête sur les activités de Vincent Bolloré en Côte d’Ivoire. Sans oublier la déprogrammation ou la censure de plusieurs documentaires que Canal+ (groupe Vivendi) devait diffuser.
Ces poursuites systématiques visent à faire pression, à fragiliser financièrement, à isoler tout journaliste, lanceur d’alerte ou organisation qui mettrait en lumière les activités et pratiques contestables de géants économiques comme le groupe Bolloré. Objectif : les dissuader d’enquêter et les réduire au silence, pour que le « secret des affaires », quand celles-ci ont des conséquences potentiellement néfastes, demeure bien gardé. C’est l’intérêt général et la liberté d’expression qui sont ainsi directement attaqués. Les communautés locales, les journalistes, les associations, les avocats, ou les lanceurs d’alerte : tous les maillons de la chaîne des défenseurs de droits sont visés par ces poursuites.
Nous, collectifs, journalistes, médias, organisations non gouvernementales, apportons notre soutien aux journalistes et organisations qui comparaîtront les 25 et 26 janvier, et à tous les acteurs poursuivis dans le cadre de ces poursuites-bâillons. Des réformes devront être proposées en France pour imiter d’autres pays comme le Québec, ou certains états des Etats-Unis ou d’Australie, vers un renforcement de la liberté d’expression et une meilleure protection des victimes de ces poursuites-bâillons. Informer n’est pas un délit ! On ne se taira pas !
Signataires :
Jean-Pierre Canet (journaliste), Benoît Collombat (journaliste, Radio France), Olivier Da Lage (journaliste, RFI), Nadia Djabali (journaliste), Samuel Forey (journaliste, prix Albert Londres 2017, L’Ebdo), Raphaël Garrigos (journaliste, Les Jours), Simon Gouin (journaliste, Bastamag), Maureen Grisot (journaliste), Elodie Guéguen (journaliste, Radio France), Pierre Haski (journaliste, Rue 89), Thomas Horeau (journaliste, France 2), Dan Israel (journaliste, Mediapart), Erik Kervellec (directeur de la rédaction, France Info), Geoffrey Le Guilcher (Les Inrocks), John-Paul Lepers (journaliste, La Télé Libre), Julien Lusson (ancien directeur de publication, Bastamag), Jacques Monin (journaliste, Radio France), Jean-Baptiste Naudet (journaliste, L’Obs), Nicolas Poincaré (journaliste, Europe 1), Martine Orange (journaliste, Mediapart), Fanny Pigeaud (journaliste), Edwy Plenel (journaliste, Mediapart), Matthieu Rénier (journaliste, prix Albert Londres 2017, France 2), Isabelle Ricq (photographe), Jean-Baptiste Rivoire (journaliste, Canal+), Isabelle Roberts (journaliste, Les Jours), Agnès Rousseaux (journaliste, Bastamag), Ivan du Roy (journaliste, Bastamag), David Servenay (journaliste), David Thomson (journaliste, Prix Albert Londres 2017, RFI), Nicolas Vescovacci (journaliste), Tristan Waleckx (journaliste, prix Albert Londres 2017, France 2).
Médias et organisations signataires :
Abaca Press, ActionAid France, ACRIMED, AFASPA 95, AGTER, Alternatives économiques, Association de la presse judiciaire, Attac France, Bastamag, Bondy Blog, CCFD-Terre Solidaire, collectif « Informer n’est pas un délit », collectif « On ne se taira pas », Collectif des associations citoyennes, CRID, France Libertés, GRAIN, Greenpeace France, Les Jours, Mediapart, Prix Albert Londres, Ritimo, ReAct, Reporterre, Reporters sans frontières, Sherpa, Survie, La Télé Libre, Union syndicale Solidaires,
Sociétés des journalistes ou des rédacteurs de : AFP, BFM TV, Challenges, Les Echos, Europe 1, L’Express, Le Figaro, France 2, France 3, Le Monde, L’Humanité, Libération, L’Obs, Mediapart, M6, Premières Lignes, Radio France, RMC, RTL, Télérama, TF1, TV5Monde, La Vie.
Les procès en cours et à venir :
Les poursuites passées :