Survie

Procès Elf : première moisson

Publié le 27 mars 2003 - Survie

Le pronostic était largement répandu : il ne fallait rien attendre du procès Elf, verrouillé par l’omertà. Or les premières journées sont déjà riches d’enseignements sur l’effondrement des garde-fous internationaux contre la prédation des matières premières et le sabordage des biens publics.

Il est désormais acquis que, dans l’esprit des compagnies pétrolières, les Présidents des Etats pétroliers sont et ne peuvent être (à moins d’être renversés) que leurs « salariés » ou « commissionnés ». C’est-à-dire qu’ils doivent consentir à jouer les intérêts des majors pétrolières contre ceux de leurs peuples, avec comme conséquences la dictature, le pillage des deniers publics et, cerise sur le gâteau, l’inflation exponentielle d’une dette hypothéquant l’extraction future. Tout cela circulant à travers quantité de paradis fiscaux.

Pierre Fa, l’ancien directeur de l’audit d’Elf, a avoué le 26 mars avoir constitué une « caisse noire ». Au président Michel Desplan qui s’étonnait du rapport entre cet objet et sa fonction, Pierre Fa a répondu qu’il faisait ça partout, chez Rhône Poulenc, chez Air Liquide… (Libération, 27/03/2003). Autrement dit, la grande corruption est généralisée dans les multinationales françaises, et l’on s’étonne que la justice s’en étonne encore, ou qu’elle s’ébahisse des litanies de paradis fiscaux par lesquels passe une part importante de la comptabilité de ces groupes.

Il se confirme aussi qu’Elf a financé simultanément le gouvernement angolais et la rébellion Unita, concourant puissamment à entretenir une horrible guerre civile, qui a duré plus d’un quart de siècle (1975-2001). Elf ayant été longtemps nationalisée, l’Etat français devra un jour payer des dommages de guerre aux pays qui, comme l’Angola et le Congo-Brazzaville, ont bénéficié de pareilles « gâteries ».

L’ancien PDG Loïk Le Floch-Prigent a admis à la barre des financements politiques en France. Elf s’est payé notre classe politique et la démocratie française. C’est ce qui explique sans doute la complaisance jamais démentie des autorités françaises envers le « système Elf » - dont les accusés ont admis qu’il se prolongeait aujourd’hui chez Total. Plus précisément, la tolérance française et européenne envers l’essor des paradis fiscaux, de Monaco au Luxembourg, de Zoug au Liechtenstein, est en parfaite adéquation avec un système d’évasion universelle des recettes publiques, qui explique aussi bien l’effondrement des systèmes de santé et d’éducation dans les pays du Sud producteurs de matières premières que la chute des recettes fiscales en France, la pression à la baisse des services publics, l’irresponsabilité cynique des actionnaires majoritaires de Daewoo et de Metaleurop, ou de l’affréteur du Prestige.

Sous leurs apparences anodines, les propos des accusés mettent en lumière la généralisation de pratiques en passe de détruire tout l’édifice des droits politiques, sociaux et environnementaux patiemment édifiés depuis plusieurs siècles.

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