Le procès Elf n’aurait qu’un intérêt historique si les pratiques évoquées à la barre avaient cessé en 1993. Les publications de Survie montrent que ce n’est pas le cas (cf. par exemple L’envers de la dette. Criminalité politique et économique en Angola et au Congo-Brazza, Agone 2001) : bien après Le Floch-Prigent, l’argent d’Elf a servi à financer des guerres civiles. Les enquêtes du juge Renaud Van Ruymbeke, aidé par les perquisitions du juge suisse Daniel Devaud dans les comptes de Rivunion, filiale genevoise d’Elf, viennent confirmer la poursuite de ces dérives.
Mis en cause dans ces enquêtes, le préfet Jean-Charles Marchiani a avoué hier à Libération avoir été, via l’une de ses fondations au Liechtenstein, l’intermédiaire de versements à des personnalités du Congo-Brazzaville (un pays où, comme en Angola, Elf a nourri les deux camps de la guerre civile) : « C’est de l’argent congolais », assure-t-il (en fait l’argent des « abonnements » prélevés sur la vente de chaque baril, qui permettent à la compagnie pétrolière Elf d’acheter les responsables politiques africains pour les détacher de la défense des intérêts de leur pays). « Nous avons reversé, pour des raisons humanitaires ou politiques, en tout cas pour l’intérêt de la France et dans le respect du droit et de la morale, des sommes pour telle ou telle faction. Nous avons effectué des opérations de ce type une dizaine de fois. » On notera que le préfet s’assimile à Elf (« nous ») et qu’il identifie un peu facilement l’intérêt de la France à « la morale ». Les millions de victimes des guerres civiles congolaise et angolaise n’ont sans doute pas le même point de vue.
Sans doute dans un but dissuasif, Jean-Charles Marchiani rappelle qu’il n’est que l’élément d’un système, avec d’autres chaînons : « A chaque fois, il y a eu un contrôle a priori. La traçabilité de l’argent, depuis l’origine jusqu’à la destination finale, était connue. »