Survie

Niger-Sahel : ingérence en sursis

rédigé le 27 septembre 2023 (mis en ligne le 27 février 2024) - Raphaël Granvaud

Comme au Mali et au Burkina Faso précédemment, la France récolte ce qu’elle a semé. L’échec de sa « guerre contre le terrorisme » et le paternalisme incurable des autorités françaises ont renforcé les mobilisations populaires contre la présence militaire française.

Dans la nuit du 26 au 27 juillet 2023, le président du Niger Mohamed Bazoum a été renversé par un coup d’État militaire mené par le général Abdourahamane Tiani, chef de la Garde présidentielle, rejoint par l’ancien chef d’état-major des armées, le général Salifou Mody. Ils ont été ralliés par les autres officiers de l’armée pour, selon leurs dires, « éviter un bain de sang ». Les putschistes se sont attribué le pouvoir sous le nom de Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Ces événements font écho aux scénarios survenus quelques mois plus tôt au Mali puis au Burkina Faso, même si chaque situation présente des spécificités. Au Niger, si l’on en croit différentes publications, le général Tiani craignait de se voir à son tour écarté de son poste, après le limogeage en avril du général Mody. Bazoum lui aurait aussi demandé de rendre des comptes concernant les fonds dédiés aux actions spéciales de la Garde présidentielle, dont il jouissait plus librement sous le précédent président, Mahamadou Issoufou, dont il restait proche. L’attitude ambiguë d’Issoufou, plusieurs fois rapportée après le déclenchement du putsch, a également alimenté des suspicions sur sa complicité initiale avec les putschistes. Si Issoufou avait fait de Bazoum son dauphin, la volonté de ce dernier de reprendre le contrôle de la rente pétrolière constituait notamment une source de tension.

Un contexte commun

Au-delà des motivations des acteurs, un contexte commun semble avoir facilité la réalisation des coups d’État dans les trois pays (quatre si l’on compte le Tchad où une succession dynastique anticonstitutionnelle n’a pas été considérée comme un coup de force par la diplomatie française). Il ne s’agit sans doute pas tout à fait d’un hasard que ces coups d’État surviennent dans des pays en proie à des insurrections djihadistes, d’une part en raison des menaces sécuritaires qu’elles font peser sur les États, mais surtout parce que ces pays ont été engagés, depuis une décennie, dans la « guerre contre le terrorisme » aux côtés de la France. La logique quasi exclusivement sécuritaire qui a prévalu, parfois imposée de l’extérieur contre les logiques nationales, a échoué à venir à bout des groupes djihadistes, et leur a même permis de recruter davantage. En revanche, elle a contribué à renforcer le rôle, le pouvoir et l’importance politique des militaires. Dans les trois pays, les putschistes ont bénéficié de la disgrâce des régimes civils, jugés corrompus, incapables d’apporter des réponses aux crises sociale et sécuritaire touchant une part grandissante de la population, et considérés comme d’abord soumis aux intérêts des Occidentaux. Ce discrédit a été alimenté par l’échec des ingérences militaires étrangères à laquelle les présidents africains avaient – de plus ou moins bon gré – fait appel. Si l’on ne peut pas dire que les prises de pouvoir ont été directement dirigées contre la présence militaire et l’ingérence de la France, le paternalisme incurable des autorités françaises a ensuite précipité les ruptures, et ce d’autant plus facilement que le rejet de la politique africaine de la France est devenue un carburant très efficace pour mobiliser les citoyen.ne.s africain.e.s qui veulent en finir avec les mécanismes de domination néocoloniaux les plus visibles (tutelle militaire, franc CFA, ingérence politique). Ce qui, dans le langage de la presse française, revient à prendre la France comme « bouc émissaire commode » (LeMonde.fr, 03/09/2023).

La France et la CEDEAO 
pour la guerre

Depuis deux décennies maintenant, la diplomatie française a pris l’habitude de s’abriter derrière les positions de l’Union africaine et des institutions régionales africaines... du moins tant que celles-ci sont conformes à ses intérêts. Ainsi, le Quai d’Orsay a-t-il d’abord « condamn[é] fermement toute tentative de prise de pouvoir par la force » et s’est « associ[é] aux appels de l’Union africaine et de la CEDEAO [Communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest] pour rétablir l’intégrité des institutions démocratiques nigériennes [1] ». Le lendemain, le président Macron a à son tour condamné le putsch « avec la plus grande fermeté » et annoncé la tenue d’un Conseil de défense à l’Élysée pour le 29 juillet, à l’issue duquel les aides budgétaires au Niger ont été suspendues. Mais le pouvoir français ne se contente jamais d’un simple soutien aux institutions africaines. D’une part, il tente d’orienter leurs décisions, et d’autre part il ne se prive pas de forcer leur interprétation. La présidence Macron n’a pas fait pas exception à la règle.
La CEDEAO n’est certes pas une simple courroie de transmission de l’impérialisme français, mais la France compte quelques chefs d’États alliés en son sein sur lesquels elle peut s’appuyer. Si la France ne participe pas formellement aux débats de la CEDEAO, elle se comporte quasiment comme un de ses membres. En amont comme en aval du sommet qui s’est réuni à Abuja le 30 juillet, le président français s’est entretenu avec de nombreux chefs d’État pour faire prévaloir sa position. Outre des intérêts convergents avec certains pays francophones comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal, la volonté française de faire adopter les sanctions économiques les plus lourdes et le principe d’un recours à la force pour rétablir la légalité constitutionnelle au Niger coïncidait alors avec la position du président nigérian, qui assure la présidence tournante de l’organisation. Il en allait de la crédibilité de la CEDEAO après que cette dernière a décidé en fin 2022 de créer une force régionale (toujours virtuelle) contre les coups d’État et le terrorisme.
La veille du sommet consacré au Niger, le CNSP a dénoncé un « plan d’agression contre le Niger » et, pendant le sommet, des manifestants nigériens s’en sont pris violemment à l’ambassade de France. Le CNSP a justifié cette action par « un ressentiment consécutif à l’attitude déstabilisatrice d’une chancellerie occidentale ». À la télévision nationale, son porte-parole a également accusé la France d’avoir cherché, « avec la complicité de certains Nigériens », à « obtenir des autorisations politiques et militaires nécessaires » pour lancer une opération militaire sur le palais présidentiel (Communiqués du 30/07/2023). Le journal Le Monde (31/07/2023) n’y voyait alors qu’une « accusation hyperbolique à laquelle nul n’a jugé bon de répondre à ce stade », de même que les alertes des putschistes après l’atterrissage d’un avion militaire français sur le tarmac de l’aéroport deux jours plus tôt, relevaient selon lui de la « paranoïa ». Trois semaines plus tard, les journalistes du quotidien français ont pourtant publié une nouvelle enquête qui a confirmé « qu’une demande d’intervention a été adressée aux Français présents à Niamey dans les heures qui ont suivi le coup d’État (...), et que cette requête a été sérieusement considérée » par les autorités françaises. Un conseiller du président Bazoum rapporte : « Ils nous ont dit qu’ils étaient en mesure de faire l’opération, que ça ne toucherait pas le président. » Mais ce dernier, qui croyait une issue négociée encore possible, s’y est opposé. Par ailleurs, « entre le moment où la demande avait été formulée et celui où les Français auraient pu intervenir, une partie des loyalistes étaient passés du côté des putschistes. » Paris était donc également devenu « réticent », rapporte Le Monde (19/08/2023).

Les intérêts français

En dépit des dénégations de la ministre française des Affaires étrangères sur BFM-TV (31/08/2023), la France n’a pas pour autant abandonné ensuite la voie d’une solution militaire. Assurés du soutien français, les chefs d’État de la CEDEAO ont décidé le 30 juillet d’instaurer un blocus économique immédiat à l’encontre du Niger, mais aussi de lancer un ultimatum d’une semaine pour rétablir le président Bazoum dans ses fonctions, faute de quoi, « toutes les mesures nécessaires » seraient prises, y compris « l’usage de la force ». Le même jour, en réaction aux actions contre l’ambassade, l’Élysée a promis par un communiqué une réplique « immédiate et intraitable » à « quiconque s’attaquerait aux ressortissants, à l’armée, aux diplomates et aux emprises françaises ». Le président Macron « ne tolérera aucune attaque contre la France et ses intérêts », assurait-on. Les intérêts français au Niger sont essentiellement de deux ordres : uranium et présence militaire. Ne reste à ce jour qu’une mine d’Orano (ex-Areva) en activité. La firme française conserve toutefois un autre gisement, Imouraren, décrit comme le deuxième en taille sur le continent africain, mais dont la faible teneur en uranium rend l’exploitation peu rentable si les cours sur le marché sont trop bas. Orano étudie actuellement la possibilité d’extraire l’uranium par pompage après projection d’acide, selon la méthode In-Situ Recovery (ISR) utilisée au Kazakhstan. Par ailleurs, si le nucléaire civil français a diversifié son approvisionnement, l’uranium à usage militaire semble toujours provenir en totalité du Niger. Quant à la présence militaire, la France conservait 1500 soldats encore engagés dans la « guerre contre le terrorisme » après la clôture de l’opération Barkhane, et entendait bien les maintenir.
Le 1er août, la France a procédé à l’évacuation de ses ressortissants présents au Niger, rendant crédible la perspective d’une intervention militaire lancée avec son soutien. Le 3 août, le CNSP annonce alors la rupture des accords militaires existant entre le Niger et la France, ce qui revient à demander le départ des militaires français présents sur place. Demande jugée nulle et non avenue par l’Élysée qui considère que le président Bazoum, qui a refusé de démissionner, reste la seule autorité légitime à même de faire cette demande. Le 5 août, à la veille de l’expiration de l’ultimatum de la CEDEAO, la ministre française des Affaires étrangères invite les Nigériens à « prendre très au sérieux » la menace d’une intervention régionale. Le 10 août, après un nouveau sommet, la CEDEAO ordonne l’« activation immédiate » de sa « force en attente » (qui n’existe en réalité que sur le papier), mais dit néanmoins privilégier une résolution diplomatique de la crise. Paris fait immédiatement savoir son « son plein soutien à l’ensemble des conclusions adoptées ».

Une intervention de moins en moins crédible

En réalité, la France affiche une position d’autant plus ferme que l’hypothèse d’une intervention paraît fragile, en raison notamment des divisions africaines. Le Niger et le Burkina Faso on fait savoir qu’ils étaient prêts à défendre militairement le Niger en cas d’agression. Face à un risque d’embrasement général dans une région déjà meurtrie par les groupes armés, djihadistes ou non, peu de pays sont disposés à se lancer dans une aventure militaire incertaine et le consensus de façade n’a pas tardé à se lézarder. D’autant que l’Algérie a mis en garde la CEDEAO contre l’éventualité d’une opération militaire. Mi-août, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA s’est abstenu de soutenir les résolutions de la CEDEAO, contrairement à la pratique habituelle, en raison des dissensions africaines. Or, selon les statuts de cette organisation, en l’absence de légitime défense, l’usage de la force est conditionné à la double autorisation de l’Union africaine et des Nations Unies.
Moins l’intervention de la CEDEAO a paru crédible, et plus le président français a versé dans la surenchère. À l’occasion de la Conférence annuelle des ambassadrices et des ambassadeurs, le 28 août , il s’est même livré à un véritable feu d’artifice. Défendant le bilan militaire de la France au Sahel, il a accusé ceux qui parlent de « défaite » de reprendre « les arguments de l’ennemi ». Récusant la rhétorique des nouveaux dirigeants de ces pays, il a même versé dans l’injure fort peu diplomatique. « Si on cède aux arguments inadmissibles de cette alliance baroque des prétendus panafricains avec les néo-impérialistes, on vit chez les fous », a asséné le président français. Il a également salué le travail de l’ambassadeur de France à Niamey, Sylvain Itté, objet d’un nouveau bras de fer. Le CNSP venait d’exiger son départ, demande à nouveau refusée car n’émanant pas des autorités légitimes. Accessoirement, Itté est tristement connu au Niger (et dans d’autres pays auparavant) pour sa morgue toute macronnienne et plusieurs dérapages sur les réseaux sociaux. « Nous soutenons l’action diplomatique de la CEDEAO et militaire quand elle le décidera », a enfin réaffirmé Macron, mettant en garde les hésitants : « j’appelle tous les États de la région à avoir une politique responsable parce qu’il faut être clair : si la CEDEAO abandonne le président BAZOUM, je pense que tous les présidents de la région sont à peu près conscients du destin qu’il leur sera réservé ».

Surenchère et isolement diplomatique

Mais il paraît à peu près évident aujourd’hui que le bellicisme et l’arrogance des autorités françaises ont eu un effet contre-productif jusque sur ses partenaires les plus proches. D’abord parce que la position diplomatique de la France a grandement aidé les militaires putschistes à se parer d’une légitimité et d’un soutien populaire qui n’étaient pas initialement acquis. Au départ, des défenseurs connus des droits humains, des activistes anti-impérialistes ou anti-corruption, y compris parmi ceux qui avaient goûté à la répression et à la prison sous Issoufou et Bazoum, ont critiqué ou condamné le coup d’État. Mais face au risque d’agression militaire brandie par la CEDEAO et la France, les mobilisations contre la présence militaire française et pour la défense des nouvelles autorités se sont confondues et sont allées crescendo, ralliant une part grandissante de la classe politique, des organisations de la société civile et de la population. Début septembre, alors que les tensions entre le Niger et la France atteignaient leur point d’orgue, ce sont plusieurs dizaines de milliers de Nigériens et Nigériennes qui sont descendu.e.s manifester à Niamey pour réclamer le départ des militaires français. Le Niger, depuis longtemps présenté comme un modèle de démocratie par les autorités françaises, était en réalité un régime gangréné par la corruption (ce qui n’est pas une spécificité africaine), maniant facilement la répression à l’encontre des opposants, et dans lequel les irrégularités électorales n’étaient pas absentes. Ceci explique aussi en partie, comme au Mali et au Burkina, le soutien populaire accordé aux militaires en dépit des mesures liberticides prises dans ces trois pays, notamment contre la presse, et du risque de confiscation durable du pouvoir.
Dans cette situation, les partenaires occidentaux de la France au Sahel ont rapidement décidé de la laisser faire cavalier seul, de crainte de voir leur présence également rejetée. À l’occasion de son fameux discours aux ambassadeurs, Macron a dénoncé le lâchage de ses alliés et raillé les voix qui « de Washington aux capitales européennes (…) expliquaient de ne pas en faire trop, que ça devenait dangereux ». L’Union européenne a endossé sans difficultés la politique de sanctions économiques, mais refusé le soutien à une intervention militaire. Les pays européens craignent de ne plus pouvoir utiliser le Niger, un des pays pivots dans le cadre de l’externalisation de la politique européenne de répression des migrants. En 2015, l’UE avait par exemple fait pression sur le Niger pour qu’il adopte une législation, « en partie rédigée par des fonctionnaires français » (Le Monde Diplomatique, 01/07/2019), criminalisant les activités économiques liées à l’accueil et au transport des migrants, alors que la liberté de circulation est théoriquement garantie au sein de la CEDEAO. L’éventualité d’un nouveau conflit dans la région est aussi perçue comme un risque de renforcement des migrations à destination de l’Europe.
Le Département d’État américain, lui, a depuis le début usé de contorsions rhétoriques pour ne pas parler de coup d’État, lequel impliquerait légalement une suspension de la coopération sécuritaire, et adopté une position plus souple pour ne pas rompre le dialogue. Début août, les services du président Biden ont également informé la France et la CEDEAO qu’ils ne soutiendraient pas financièrement ou logistiquement une éventuelle intervention militaire et ont ensuite déclaré publiquement qu’ils ne souhaitaient pas mettre fin à leur partenariat avec le Niger après avoir investi « des centaines de millions de dollars » dans leurs bases militaires. Les drones américains ont depuis repris leurs activités de surveillance de la région. L’activité militaire au Sahel n’est pas considérée comme prioritaire par les autorités américaines, mais il s’agit aussi de ne pas laisser les nouvelles autorités nigériennes chercher du soutien du côté des Russes. On aurait tort de penser que les États-Unis et les autres pays européens ont délibérément poussé les militaires français vers la sortie. La répartition des tâches qui prévalait – risques opérationnels pour les Français, coopération, soutien logistique et fourniture de renseignements pour les autres - leur convenait jusque-là. Mais le rejet de la présence française les amène à privilégier leurs intérêts et à revoir les partenariats noués avec la France. Les mesures de représailles adoptées récemment par la France à l’encontre des artistes et des étudiants sahéliens, interdits de séjour en France, vont encore accroître l’hostilité populaire à l’encontre des autorités françaises.

Quelles perspectives ?

Comme c’était prévisible, après avoir été chassés du Mali puis du Burkina Faso, la France a été contrainte d’annoncer la fermeture de sa base militaire au Niger. Officiellement, cette hypothèse n’était pas à l’ordre du jour jusqu’à la fin septembre. Mais le ministère français de la Défense a d’abord reconnu, en off, que des discussions avaient été entamées pour organiser le « redéploiement » d’une partie des militaires français réduits au chômage technique. Finalement, après plusieurs semaines de blocus quasi-complet de l’ambassade et de la base militaire française, Macron a été obligé, à l’occasion d’une intervention télévisée le dimanche 24 septembre, d’annoncer le retrait de son ambassadeur et des militaires français avant la fin de l’année, pour qu’ils ne restent pas « les otages des putschistes ». Une victoire pour les militaires au pouvoir et les manifestant.e.s nigérien.ne.s qui se relayaient devant les enclaves françaises. Il est vraisemblable que la France va s’efforcer, en contrepartie, d’accroître sa coopération et sa présence militaire dans d’autres pays également menacés par les groupes djihadistes (Togo, Bénin, Ghana, Guinée, Sénégal). Mais la fermeture de la base militaire du Niger, après celles du Mali et du Burkina Faso, offre une opportunité pour imposer dans le débat public la revendication d’un retrait de tout le dispositif militaire français d’Afrique, et la fin de toute ingérence. Signe des temps, le philosophe médiatique Achille Mbembe qui, dans son rapport remis à Macron à l’issue du sommet Afrique-France de Montpellier, avait oublié de préconiser la fermeture des bases françaises et la fin du franc CFA, s’en souvient désormais. A lire la presse française des dernières semaines, on sent déjà comme un vent de panique chez certains éditorialistes et un grand nombre de politiques qui plaident en faveur d’une réforme urgente de la politique africaine de la France… pour ne pas perdre toute influence. Les mêmes mettent volontiers cette perte d’influence au Sahel sur le compte des manœuvres informationnelles russes, sans voir que le succès de la propagande sur les réseaux sociaux et la présence de drapeaux russes dans les manifestations sont les symptômes et non la cause du rejet de la politique africaine de la France. Il faut espérer qu’une nouvelle ère s’ouvre, mais se garder de crier victoire trop tôt.
D’une part, il faut se souvenir que c’est dans les périodes de crise que l’impérialisme français déploie ses capacités de nuisances les plus fortes et les plus violentes. La population ivoirienne, notamment à Abidjan en 2004 et en 2011, s’en souvient. La politique africaine de la France doit donc être complètement désarmée. Mais l’idée selon laquelle la « grandeur » et la « responsabilité historique » de la France sur la scène internationale doivent être maintenues, et ne peuvent l’être qu’en continuant à assurer le rôle de gardien de l’ordre en Afrique francophone, est profondément ancrée dans la classe politique française. D’autre part, un véritable bilan ne pourra être établi qu’au terme d’une période un peu longue : au cours de son histoire, la présence militaire française en Afrique a, selon les pays, connu des retournements de situation parfois inattendus. De plus, l’instrument militaire n’est qu’un des moyens qui concourt au maintien de relations de domination, les outils économiques et financiers, à commencer par la dette et le Franc CFA, restant d’une redoutable efficacité. Enfin, les discours récurrents sur la mort de la Françafrique ont souvent eu comme effet, sinon comme objectif, de masquer ces mécanismes, de freiner les prises de conscience et d’empêcher les mobilisations encore nécessaires.

Raphaël Granvaud

Une version longue de cet article est parue dans la revue Viento sur n° 190, octobre 2023, et a également été mise en ligne sur le site de Survie.

[1Déclaration de la porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, 26/07/2023.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 331 - octobre 2023
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