Survie

MÉMOIRE COLONIALE : boucher et croquemitaine 
du peuple algérien : Bugeaud

rédigé le 29 octobre 2023 (mis en ligne le 25 mars 2024) - Nicolas Butor

Sous le Second Empire comme par la République, le maréchal Bugeaud a été glorifié pour son rôle clé dans la colonisation de l’Algérie, malgré la brutalité génocidaire de ses propos et de ses méthodes qui ont permis l’écrasement des révoltes arabes.

Dans une tribune publiée en octobre dernier dans Le Monde (21/10/2023), le journaliste Jean-Michel Aphatie et le politologue Olivier Le Cour Grandmaison dénonçaient la glorification dans l’espace public du maréchal Bugeaud, notamment à Paris, où une avenue du 16e arrondissement porte encore son nom. Cette tribune s’inscrit dans la continuité d’une remise en cause de la mémoire de ce personnage en France : en 2020 déjà, les artistes ADNX et Klemere passaient une corde autour du cou de la statue de Bugeaud trônant sur la place centrale de Périgueux en Dordogne (francebleu.fr, 8/07/2020). Principal artisan de la conquête française de l’Algérie et de l’écrasement des révoltes anticoloniales arabes, Bugeaud hante notre espace public mais aussi la mémoire collective des Algérien.ne.s. Pour effrayer leurs enfants et s’assurer de leur bonne conduite, il n’est pas rare que les parents algériens invoquent la figure de Bijou ou Bichou, une sorte de croquemitaine qui n’est autre que la réminiscence déformée du militaire français…

Des campagnes napoléoniennes...

Thomas Robert Bugeaud est né en 1784 à Limoges, dans une famille noble. Il commence sa carrière militaire en 1804 en s’engageant dans la Garde impériale, et est promu caporal au cours de la bataille d’Austerlitz l’année suivante. Il monte en grade à l’occasion des diverses campagnes napoléoniennes jusqu’à devenir colonel en 1813. Bonapartiste convaincu, il rejoindra Napoléon au moment des Cent-Jours, ce qui lui vaudra un licenciement de l’armée à la Seconde Restauration. Bon gré mal gré, Bugeaud retourne alors dans le Périgord pour gérer l’exploitation agricole familiale, tout en gardant un œil sur les affaires militaires du pays. Il réintègre l’armée à la chute de Charles X et, en 1831, il devient même maréchal de camp sur ordre du nouveau roi Louis-Philippe. En avril 1834, il est à la tête d’une des trois brigades chargées de la répression d’une insurrection parisienne, répression qui aboutit au massacre d’une dizaine de personnes dans la rue Transnonain. Si l’implication directe de Bugeaud dans le massacre n’est pas démontrée, le peuple de Paris l’en accuse et le nomme alors « l’homme de la rue Transnonain ».

...à la répression coloniale

Mais c’est en Algérie, où il est envoyé en 1836 pour combattre la résistance de l’émir Abdelkader, que Bugeaud se rend véritablement coupable des pires atrocités. Il y remplace le général Desmichels, démis de ses fonctions à cause d’un accord qu’il a signé avec Abdelkader et que les autorités françaises jugent trop favorable à ce dernier. Il remporte la bataille de Sikkak, ce qui aboutit à la signature du traité de Tafna avec l’émir en 1837. De retour en France, il déconseille dans son rapport d’établir une colonie de peuplement en Algérie. Il en deviendra pourtant le gouverneur général en 1840, et quand il y retourne l’année suivante, il promet aux colons français la conquête totale du territoire et la confiscation des terres, et à l’armée la soumission des Arabes. Bugeaud déclenche alors une guerre totale et ne recule devant rien pour la gagner. Il utilise la politique de la terre brûlée, mettant le feu aux terres, au bétail et aux habitations. « Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes […], ou bien exterminez-les jusqu’au dernier », dira-t-il à ce propos. Sur ses ordres, l’armée française recourt aux enfumades, méthode d’extermination qui consiste à allumer un grand feu à l’entrée d’une grotte pour y asphyxier les gens et le bétail qui s’y cachent. Les enfumades du Dahra, organisées par le général Pélissier du 18 au 20 juin 1845, feront au moins 700 morts, hommes, femmes et enfants.

Les horreurs de la conquête à la Bugeaud

Cette violence sans limite suscite immédiatement de nombreuses réactions outrées, notamment celle du journal anglais The Times et de l’homme politique et militaire Napoléon Joseph Ney, qui interpelle Bugeaud à la chambre des Pairs. Celui-ci, devenu maréchal de France en 1843, répondra à ces critiques : « Et moi, je considère que le respect des règles humanitaires fera que la guerre en Afrique risque de se prolonger indéfiniment ».
La cruauté de ses actions n’empêchera pas Bugeaud d’être considéré en France comme un héros après la reddition d’Abdelkader en 1847. Au moment de la révolution de 1848 en France, il reçoit le commandement de l’armée et emploiera, selon Olivier Le Cour Grandmaison [1], des méthodes inspirées de celles utilisées en Algérie, méthodes dont l’armée française se saisira à nouveau pendant la guerre d’indépendance du pays.
Bugeaud meurt du choléra en 1849, mais sa mémoire demeure. La mairie de Périgueux, refusant de déboulonner sa statue, y a fait apposer une plaque explicative en septembre dernier. Plus radicale, celle de Marseille a fait le choix en 2021 de changer le nom de l’école Bugeaud par celui d’Ahmed Litim, un tirailleur algérien mort à la libération de Marseille en 1944, dans une volonté de faire la lumière aussi bien sur les exactions du premier que sur la bravoure du second.

Nicolas Butor

[1Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser. Exterminer, Fayard, 2005

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 332 - novembre 2023
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