Survie

Nos actions judiciaires concernant le génocide des Tutsis au Rwanda

Publié le 17 janvier 2019 (rédigé le 3 juillet 2017) - Survie

Depuis 1994, les autorités françaises se sont employées à entraver la justice : manque de coopération avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), refus d’extrader et d’arrêter le colonel Bagosora (« cerveau » du génocide) vers la Belgique en 1995, lenteur dans les procédures judiciaires à l’encontre de présumés génocidaires rwandais résidant en France celles-ci faisant toujours suite à des plaintes d’association ou de personnes physiques depuis 1995 et jusqu’en 2019 (première instruction ouverte directement par le Parquet). Ce n’est qu’en 2014 qu’un premier génocidaire est condamné en France, et depuis les procès avancent au compte-goutte. L’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994 se termine sans chercher à inculper les alliés hutus de la France. La commission d’historiens dite « Duclert » de 2019-2021 a conclu aux « responsabilités lourdes et accablantes de la France » mais a curieusement écarté toute complicité. Un déni inacceptable.

Pourtant, plusieurs procédures judiciaires sont en cours, auprès des tribunaux français, concernant le rôle de la France. Elles ont été lancées par des rescapé.es du génocide et par des associations, dès les années 2000.

Dernière mise à jour : 04/03/2024

Concernant le génocide des Tutsis au Rwanda, Survie est actuellement partie civile dans huit actions en justice contre des Rwandais réfugiés en France accusés de crime de génocide, quatre qui visent des Français pour complicité de génocide et une contre un polémiste pour négationnisme.

Huit actions en justice contre des Rwandais réfugiés en France :

Survie a été ou est encore partie civile aux côtés de victimes individuelles, du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR), de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), de la Communauté Rwandaise de France (CRF), de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) et d’Ibuka France contre des Rwandais réfugiés en France accusés de génocide. Nous sommes partie civile dans 7 plaintes, la huitième (Fabien Nereste) ayant été transférée à la justice belge. De nombreux articles à leur sujet sont disponibles sur le site du CPCR ou celui de Survie. Ces plaintes ont concerné ou concernent :

Pascal Simbikangwa, ancien officier de la garde présidentielle rwandaise, reconverti dans la police politique. Il a été condamné à 25 ans de détention pour génocide, reconnu coupable d’avoir organisé des barrages routiers au passage desquels étaient filtrés et exécutés des Tutsis, mais aussi d’avoir donné des instructions et fourni des armes aux miliciens Interhamwe qui tenaient ces barrages. Il a été condamné en première instance en mars 2014, jugement confirmé en appel en 2016 puis en cassation en 2018. Dans cette condamnation désormais définitive, la justice française affirme qu’il y a bien eu génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 selon les critères particuliers du droit pénal français, qui considère que ce crime est commis en exécution d’un plan concerté, battant en brèche différentes thèses négationnistes sug­gérant un « génocide spontané ».

Octavien Ngenzi et Tito Barahira : deux anciens bourgmestres de Kabarondo (préfecture de Kibungo, Est du Rwanda) ont été condamnés tous deux pour génocide et crime contre l’humanité à la détention à perpétuité en première instance, verdict confirmé en appel le 6 juillet 2018. Leur pourvoi en cassation a été rejeté le 16 octobre 2019, la condamnation est définitive.

Wenceslas Munyeshyaka, dossier renvoyé par le TPIR vers la France. Le juge d’instruction a finalement rendu une ordonnance de mise en liberté, Il a établi l’ambiguïté du comportement du père Munyeshyaka à la paroisse de la Sainte-Famille sans la possibilité de découvrir un acte substantiel pour le déférer devant la Cour d’assises, les éléments à charge étant estimés insuffisants depuis la rétractation de témoins. La Cour d’appel a confirmé ce non-lieu. La Cour de cassation a rejeté tous les pourvois en 2019, confirmant en cela la décision de la chambre de l’instruction qui estimait que les charges n’étaient pas suffisantes.

Laurent Bucyibaruta, dossier renvoyé par le TPIR vers la France. Il a été préfet de Gikongoro du 4 juillet 1992 jusqu’en juillet 1994. Il a également occupé le poste de député à l’Assemblée nationale jusqu’en 1991, date de l’arrivée du multipartisme au Rwanda. Il fut également militant au sein du Mouvement Républicain National pour la démocratie et le développement (MRND) et chef du comité préfectoral du mouvement Interahamwe, l’organisation des jeunes du MNRD. Il n’avait cessé, au cours du procès, de minimiser son importance dans la chaîne hiérarchique mais a été condamné en juillet 2022 à Paris à vingt ans de réclusion criminelle pour complicité de génocide au Rwanda, est mort de maladie en décembre 2023 avant son procès en appel.

Sosthène Munyemana, dossier renvoyé par le TPIR vers la France. L’instruction a été clôturée au printemps 2017, le parquet a rendu son réquisitoire concluant à un renvoi vers la Cour d’assises. Médecin gynécologue à Butare, dans le sud du Rwanda, réfugié sur le territoire français depuis septembre 1994 où il a exercé son métier pendant 17 ans, Il a été reconnu coupable le 20 décembre 2023 de crime de génocide et de crime contre l’humanité et d’entente en vue de commettre ces crimes. Il a fait appel.

Laurent Serubuga, ancien chef d’état-major des Forces armées rwandaises, à la retraite au moment du génocide. Après un refus d’extradition vers le Rwanda en 2013, en mai 2019 le Parquet a refusé la clôture de l’instruction sans que certaines commissions rogatoires aient été suivies d’effet et certaines auditions réalisées. La Cour d’appel lui a donné raison et a renvoyé le dossier devant les juges d’instruction. Il reste témoin assisté. Aujourd’hui, le juge est dans l’attente du retour de deux commissions rogatoires internationales et de la commissions rogatoires principale confiée à l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine (OCLCH). En fonction de ce qui en ressortira, le juge peut décider de clore l’instruction ou de réentendre Serubuga afin de le mettre en examen.

Cyprien Kayumba : Depuis le mois de mai 2022 la juge est dans l’attente du réquisitoire définitif avant, on l’espère, de renvoyer le dossier vers la Cours d’Assises de Paris.

Philippe Hategekimana, visé depuis 2015 par une enquête du pôle « crimes contre l’humanité » du tribunal de grande instance de Paris, cet ancien adjudant-chef de la gendarmerie rwandaise, naturalisé français sous le nom de Manier et établi à Rennes, a été arrêté en 2018 au Cameroun où il était parti en cavale, puis extradé vers la France et incarcéré. Condamné à la prison à perpétuité pour son rôle dans le génocide des Tutsis, il a fait appel et sera jugé à nouveau en novembre et décembre 2024.

• Par ailleurs Fabien Nereste a été extradé et jugé en Belgique (la plainte y était antérieure à la plainte déposée en France). Il a été condamné le 19 décembre 2019 à 25 ans de détention pour crime de génocide et crimes de guerre. C’est la première condamnation pour crime de génocide depuis le changement du code pénal belge. Condamnation, sans appel, définitive depuis le rejet de son pourvoi en cassation en 2020.

Me Simon et Me Akorri ont été nos avocats pour les premières procédures. A dater de 2022. Me Bernardini et Me Simon nous ont représentés. Me Perrier, avocat près la Cour de cassation, a accepté de représenter conjointement Survie et le CPCR lors du procès en cassation de Pascal Simbikangwa.

Quatre actions en justice contre des Français :

Ces plaintes concernent :

• Des militaires et d’éventuels responsables français de 1994 : dans le dossier dit « Turquoise 1 », six rescapés tutsis du génocide ont porté plainte en 2005 pour des exactions graves commises dans le camp de réfugiés de Murambi, sous contrôle français (meurtres, disparitions de réfugiés, viols, mauvais traitements), et pour l’abandon, sur les collines de Bisesero, de deux mille Tutsis à leurs tueurs par l’armée française, pourtant informée et positionnée à quelques kilomètres. D’abord instruite au Tribunal des armées de Paris, ces plaintes n’ont dû qu’à la ténacité des deux premières magistrates instructeurs de pouvoir prospérer. Depuis janvier 2012, elles sont instruites par le Pôle d’instruction contre les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide (le Tribunal aux Armées de Paris ayant été supprimé). Le Pôle a été doté de plusieurs postes de juges, d’enquêteurs, de greffiers, des commissions rogatoires se sont multipliées pour entendre les témoins au Rwanda et dans d’autres pays. Survie est partie civile aux côtés de la FIDH et la LDH et représentée par Me Foks et Me Plouvier. Les plaignants ont été entendus par les juges, à Paris et au Rwanda lors d’un déplacement des juges, en présence de leurs avocats. Notre dossier de synthèse, publié le 31 octobre 2018 et téléchargeable ici, liste les différents blocages observés au cours de l’instruction et sur la contre-attaque engagée sur le plan judiciaire pour empêcher un enterrement de l’affaire et un déni de justice pour les victimes et les citoyens français.

L’accès aux archives est une nécessité afin faire toute la lumière sur le rôle des autorités françaises en amont, pendant et après le génocide des Tutsis du Rwanda : suite aux nombreux refus de consultation des archives Mitterrand ou de celles déposées au Service Historique de la Défense les militants qui en avaient fait la demande ont dû déposer des recours devant la commission d’Accès aux Documents Administratifs. Pour représenter l’un d’entre eux, militant engagé dans Survie, Me Spinosi avocat spécialisé agréé pour le Conseil d’Etat et Conseil Constitutionnel, à déposé un mémoire au Conseil d’Etat. En 2021, la rapporteure publique du Conseil d’Etat dit que le débat public est important, que Survie et les militants-chercheurs sont légitimes pour y participer et peuvent donc consulter ces archives.

Paul Barril  : mercenaire, ancien "gendarme de l’Elysée", qui a signé en plein génocide, le 28 mai 1994, un contrat d’assistance militaire avec le gouvernement intérimaire rwandais. En juin 2013, Survie a déposé plainte contre Paul Barril pour complicité de génocide avec la FIDH et la LDH. L’instruction avance lentement, il a fallu attendre 7 ans pour que Paul Barril soit entendu (en 2020), et celui-ci est aujourd’hui âgé, malade et apparemment inapte à être auditionné à nouveau. Bob Denard et ses mercenaires – Jean-Marie Dessalles et Roger Ghys – apparaissent également dans cette procédure, ainsi que les réseaux Pasqua. Paul Barril et Jean-Marie Dessalles ont affirmé rendre compte aux autorités françaises de leur engagement au Rwanda. Jusqu’à présent, la justice s’est bien gardée d’enquêter sur les responsables politiques et militaires français. Pour cette plainte, les avocats de Survie sont Me Plouvier et Me Plomion.

• Des responsables politiques et militaires français de 1994 : en novembre 2015, Survie a déposé une plainte pour complicité de génocide concernant des livraisons d’armes de janvier à juillet 1994 aux génocidaires. Elle fut classée sans suite en septembre 2016 au prétexte que la responsabilité pénale du Président de la République (au demeurant décédé depuis) ne pouvait être engagée et que celle des ministres relevait de la Cour de Justice de la République (et non du droit commun). Survie a donc déposé le 28 juin 2017 une nouvelle plainte pour les mêmes faits mais en se constituant partie civile (pour obtenir la désignation d’un juge d’instruction) et en rappelant que cette plainte contre X vise également des membres des cabinets ministériels, des conseillers de l’Elysée et des haut-gradés français pour lesquels le Tribunal judiciaire de Paris est bel et bien compétent. La plainte est apparemment restée bloquée de septembre 2017 à janvier 2018 par le silence de la direction des affaires judiciaires du ministère des Armées, qui avait un mois pour transmettre son avis au parquet et un juge d’instruction a finalement été nommé en février 2018. Depuis cette date, en deux ans, aucun acte d’enquête significatif (ou majeur) n’a, à notre connaissance, été réalisé par la juge d’instruction. Les avocates de Survie sont Me Akorri et Me Le Gall.

• La BNP Paribas : Survie s’est portée partie civile en 2021 dans la plainte déposée le 29 juin 2017 avec constitution de parties civiles par Sherpa, le CPCR et Ibuka France contre BNP Paribas pour complicité de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, basée sur une autorisation de transfert de fonds opéré par la banque qui servit à l’achat d’armes par le régime génocidaire en juin 1994, alors même qu’un embargo avait été adopté par l’ONU. Les avocates de Survie sont Me Bourdié et Me Heinich.

De nombreux articles à leur sujet sont disponibles sur le site de Survie.

Une plainte contre le polémiste Charles Onana : Cette plainte pour contestation de crime de génocide, déposée en octobre 2020 par Survie, la LDH et la FIDH vise les propos tenus par le polémiste Charles Onana dans son livre Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise. Quand les archives parlent (éditions du Toucan, 2019). La LICRA et IBUKA se sont portées parties civiles. La juge d’instruction désignée en août 2021 a mis en examen Charles Onana en janvier 2022. La loi 24bis sur la liberté de la presse - punissant le fait de « nier, minorer ou banaliser de façon outrancière, l’existence d’un crime de génocide » - a été modifiée en 2017 pour y intégrer la contestation du génocide des Tutsi rwandais, et il s’agit de la deuxième plainte depuis cette modification de la loi française (après celle d’Ibuka contre Natacha Polony). Procès prévu début octobre 2024.Les avocates de Survie sont Me Bourdié et Me Heinich. https://survie.org/billets-d-afrique/2022/316-avril-2022/article/charles-onana-mis-en-examen

Enfin, il convient de signaler le dossier dit « Turquoise 2 », même si Survie n’est pas impliquée dans ces procédures : il concerne les plaintes contre X pour viol, déposées par six rescapées rwandaises (3 en 2004, 1 en septembre 2012, 2 en juin 2014) et visant des soldats de l’opération Turquoise. L’instruction est en cours, les plaignantes ont été auditionnées en 2016 à Paris.

La décennie qui vient va voir des procès importants en France, il y aura donc un gros enjeu pédagogique afin d’ancrer le génocide des Tutsis du Rwanda dans les consciences (comme le procès Barbie, etc.). Faire en sorte que ces procès aient lieu même plus de 25 ans après le génocide est essentiel pour les Rwandais (rescapés et famille des victimes mais aussi pour toute la nouvelle génération) et pour les Français, pour notre histoire commune, l’histoire de la politique africaine de la France.

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