Survie

France : D-Day et blanchiment

(mis en ligne le 1er juillet 2004) - Olivier Guilbaud

À l’occasion du soixantième anniversaire du débarquement, un article du Monde daté du 4 juin (La guerre en noir et blanc) est revenu sur la ségrégation raciale au sein de l’armée américaine durant la seconde guerre mondiale : " 905 000 Noirs ont combattu dans les rangs de l’armée américaine entre 1941 et 1945. Parmi eux, Jon Hendricks, jazzman de renom. À 82 ans, il se souvient de la ségrégation régnant à l’époque au sein des unités "US" ".

Cet article, et celui du Canard enchaîné qui le reprend (D-Day noir, 09/06/2004), stigmatisent le racisme de l’armée américaine à l’égard de ses soldats noirs durant la seconde guerre mondiale, revalorisant plus ou moins implicitement la position humaniste française. Ils occultent cependant la ségrégation raciale qui eu lieu en France à l’égard des troupes africaines, qui ont constitué jusqu’à 50 % des Forces françaises libres. Les Africains payèrent pourtant un lourd tribut pour la libération de la France puisque, selon Pierre Prêche [1], 40 % périrent, souvent dans les conditions les plus terribles. Engagés massivement dès 1939 au sein des régiments et bataillons de tirailleurs sénégalais (qui regroupaient les soldats originaires d’Afrique noire ; les tabors, essentiellement composés de Marocains montagnards ; les tirailleurs algériens), ils furent remplacés à la fin de la guerre par de nouvelles recrues françaises, de préférence blanches, qui allaient recevoir trophées, honneurs de la République et défiler lors de la libération. Cette opération fut dénommée : " blanchiment des forces françaises libres ". Il en fut ainsi de la " 9ème division coloniale " composée de tirailleurs sénégalais " tombés comme des mouches ", soi-disant parce qu’ils n’étaient pas " préparés au grand froid de l’hiver 1944" [2] .

Au calvaire de Jon Hendricks, jazzman de renom, on aurait pu accoler le calvaire de Frantz Fanon, écrivain-politologue de renom. Comme le constatera amèrement Fanon, les Caraïbéens échappèrent au blanchiment des FFL parce que considérés comme " Européens ". Alice Cherki, dans son livre Frantz Fanon : portrait (Le Seuil, 2000), raconte comment celui-ci fut profondément choqué par la manière dont les soldats afro-caraïbéens subirent une discrimination raciale éhontée au sein des FFL. Cette ségrégation se manifestait dans " la distribution, le confort des guitounes, le logement des soldats ". Quant à l’avancement, il était bien souvent bloqué. Leur sort était-il plus enviable que celui des soldats afro-américains ?

Oublié l’effort de guerre des Africains au sein des FFL, pour libérer la France. Faut-il rappeler que Brazzaville fut la capitale de la France Libre dès 1940, donnant une assise et une représentation territoriale internationale à la résistance ? Faut-il rappeler le pillage des matières premières des anciennes colonies pour alimenter l’effort de guerre ? Faut-il rappeler le massacre du 1er décembre 1944, au camp de Thiaroye près de Dakar ? Faut-il préciser que les anciens combattants des ex-colonies se sont vu accorder des pensions dérisoires au regard de leurs congénères français ? Le terme inventé pour désigner une discrimination entre les pensions des anciens combattants français et africains fut le terme de " cristallisation ", remis à jour par celui de " parité " [3]. La gratitude n’est pas toujours de ce monde, et le mépris bien utile pour oublier la dette de sang ! Cela méritait bien d’envoyer une Salve dans la bonne conscience du Monde et du Canard , pour les rappeler à un devoir de mémoire moins sélectif.

Olivier Guilbaud

[11939-1945, l’amnésie républicaine : quand l’Afrique libérait la France, in Afrikara.com.

[2Selon un témoignage recueilli sur le site du musée de la Résistance http://musee.delaresistance.free.fr... .

[3Cf. L’Humanité, 02/06/2004 : " Les pensions revalorisées des soldats de ses anciennes colonies [...], que Paris a commencé à verser en avril dernier, restent largement inférieures à celles de leurs collègues français. Cette inégalité plonge ses racines dans la loi dite de "cristallisation", adoptée le 26 décembre 1959, qui gèle les pensions des soldats des anciennes colonies. Alors que les droits de leurs anciens compagnons d’armes français étaient régulièrement augmentés [...] Dans un arrêt rendu le 30 novembre 2000, le Conseil d’État qualifiait l’inégalité de traitement entre anciens ex-soldats français et étrangers de "discrimination fondée sur la nationalité", voire de violation de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme. [... Une décision qui] laissait espérer que le sang versé serait enfin payé à son juste prix. [... Mais en] septembre 2002, Hamlaoui Mekachera, secrétaire d’État aux Anciens combattants, avait annoncé la couleur : "Nous essayons de trouver la parité qu’il convient d’appliquer, compte tenu du niveau de vie dans chaque pays concerné, afin de ne pas commettre une autre injustice qui serait de désavantager un groupe de pays par rapport à l’autre." Le décret que le gouvernement a adopté en novembre 2003 [...] traduit cette orientation. [...] Résultat : dans certains pays comme le Sénégal, l’augmentation est à peine supérieure à 15 euros par mois. "

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 127 - Juillet Août 2004
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