Survie

John Le Carré au Kivu ?

Les événements vont mauvais train au Kivu, où il est difficile de cerner qui mène la danse macabre. On a beau chercher, rien n’y paraît aujourd’hui rassurant.

(mis en ligne le 1er janvier 2008) - Sharon Courtoux

À partir du 10 décembre, les forces du
général rebelle Laurent Nkunda ont
réussi à reprendre la majorité de leurs
positions après en avoir été chassées par une
offensive des Forces armées congolaises
(FARDC) après la décision de Kinshasa de
traiter la situation par les armes. L’armée
congolaise était incapable de réussir une telle
opération ; les partenaires occidentaux de la
république démocratique du Congo (RDC)
avaient pourtant insisté pour que des négociations…
entendait-on dire aussitôt.

Puis d’autres indications, ou soupçons, sont
venus alourdir (ou éclairer ?) le dossier. Le
commandant des FARDC à Goma, Gabriel
Amisi, ancien compagnon d’armes de Laurent
Nkunda au sein du Rassemblement
congolais pour la démocratie (RCD) proche
de Kigali à la fin des années 90, aurait
« trahi ». Il serait accusé d’avoir donné des
ordres contradictoires à ses troupes, créant
une débandade permettant la contre-attaque
de Laurent Nkunda.

Ce dernier aurait alors récupéré une grande
quantité d’armes abandonnées par des militaires
congolais en fuite. Rappelé à Kinshasa,
incarcéré puis placé en résidence surveillée,
Gabriel Amisi y attendrait les résultats de
l’enquête d’une Cour militaire récemment
installée au Nord Kivu et chargée d’éclaircir
les événements, affirment des proches du
dossier. Mais d’autres sources congolaises
affirment que l’affaire n’est qu’une mise en
scène, destinée à expliquer la défaite d’une
armée non opérationnelle, et qu’Amisi ne
sera pas inquiété. D’autres sources encore affirment
que des soldats indiens de la Mission
de l’ONU en République démocratique du
Congo (Monuc) se seraient abstenus d’intervenir
aux côté des FARDC après avoir fait
l’objet de chantage suite à leur implication
dans des trafics. D’autres encore que de nombreux
soldats des FARDC, non originaires de
l’Est du pays, auraient fuit les combats pour
ne pas mourir.

Aujourd’hui, une nouvelle phase (encore
une !) s’ouvrirait, semble-t-il sous l’impulsion
occidentale, surtout américaine (sans
pourtant que l’on puisse attribuer précisément
son rôle à chacun). Le 17 décembre, le
président congolais a initié une Conférence
pour la paix au Kivu [1] dont l’ouverture, initialement
prévu le 27 décembre, a été repoussé
au 6 janvier. Elle devrait rassembler députés,
élus locaux, société civile, militaires, représentants
des communautés de la région et
milices armées congolaises, et aborder toutes
les causes du désastre kivutien.

Cette conférence, qui doit se tenir à Goma,
est une initiative diversement appréciée au
Congo. Certains ne s’y retrouvent pas tandis
que d’autres s’y précipitent afin de ne pas en
être écartés. On peut voir, dans cette différence
d’appréciation, la coupure qui existe
entre l’Est du Congo (où l’absence d’Etat est
manifeste) et le reste du pays.

Laurent Nkunda, qui avait d’abord affirmé
qu’il n’assisterait à rien tant que les FDLR
(milices hutu rwandais présents en RDC
depuis le génocide de 1994) ne seraient pas
maîtrisés, vient de déclarer qu’il « soutient
l’exigence exprimée par le département d’Etat
américain au terme de laquelle les parties en
conflit doivent observer un cessez-le-feu afin
de permettre le déroulement des travaux
[de
la conférence] » auxquels il promet de participer
« s’il y est invité ». Bien des indications
tempèrent notre récente hypothèse selon
laquelle on pourrait se permettre un certain
espoir d’un règlement, au moins progressif,
dans le Kivu.

Toute ressemblance avec la réalité…

Peut-être un début d’explication se trouve-t-il
dans le dernier ouvrage de John Le Carré (Le
Chant de la mission, Seuil, publication de la
traduction française en septembre 2007). Ce
« roman » se situe au temps du gouvernement
congolais de la transition, avant les
élections présidentielle et législatives. Dans
ce polar, Le Carré met en scène une machinerie
diabolique, la capacité de grandes entreprises
internationales, en liaison avec « leurs »
politiques et les services de ces derniers, à
conduire une partie du monde à sa perte pour
une livraison de coltan [2]. Tous les moyens sont
bons pour obtenir ce dont on estime avoir besoin
(dont, ne l’oublions pas, l’accès à l’approvisionnement
énergétique). Comme l’écrit
Colette Braeckman, (Le Soir de Bruxelles,
27 décembre 2007) : « Les richesses minières
extraites du Kivu passent la frontière (hors
taxes) et prennent la direction des entreprises
occidentales.
 » Avec la complicité d’une élite
corrompue qui engrange des bénéfices au détriment
du peuple, soulignent de nombreux
Congolais bien informés.

Trop de sources, trop d’indices trouvent chez
Le Carré de quoi conforter de sérieux soupçons
sur le « jeu » occidental à l’oeuvre dans
la région. Dans ce contexte, que peut-on espérer
de cette conférence pour la paix ? Une
attention plus soutenue pour les innombrables
victimes civiles de l’Est du Congo pour
commencer. En attendant, la vigilance reste
de mise et le souci exprimé par les Etats-Unis
à l’égard des victimes mérite vérification.
Terminons par une question, à laquelle nous
n’avons pas encore la réponse : pourquoi le
président libyen, Mouammar Kadhafi, a-t-il
discrètement rencontré, à Lisbonne, Jean-
Pierre Bemba, principal opposant (en exil)
du président congolais Joseph Kabila ? Dans
quelle intention ? Kadhafi agit rarement sans
qu’il n’ait un intérêt particulier. Il ne manquait
que lui en RDC.

Sharon Courtoux

Aveu de pillage

Le Haut commissaire des Nations
unies pour les réfugiés (HCR), Antonio
Guterres, a déclaré dans une
interview au Financial Times le 3
décembre que « Les pays développés
pillent les ressources de la
république démocratique du Congo
mais ne font pas assez d’efforts
pour aider le pays à sortir d’une
grave crise humanitaire
 ». Le Haut
commissaire a conclu l’interview en
ajoutant : « De nombreuses entreprises
exploitent la RDC, prenant
ses ressources et dans beaucoup
de cas, sans respect minimal des
règles. Le communauté internationale
a pillé systématiquement la
RDC, nous ne devons pas l’oublier
 ».
Les paroles de Guterres méritent la
une ! Il est très rare qu’une haute
personnalité de cette communauté
internationale s’exprime avec autant
de franchise.

[1Dont l’ordonnance a été signée le 20 décembre.

[2Le coltan (Colombo-Tantale) est un minerai qui
entre dans la fabrication des puces de téléphones
portables et des condensateurs d’ordinateurs.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 165 - Janvier 2008
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi