Survie

Les tentacules d’une interminable guerre

African Rights publie un rapport détaillé sur les activités criminelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) dont plusieurs dirigeants vivent en Europe. En toute quiétude.

(mis en ligne le 1er janvier 2008) - Vincent Munié

Le 9 novembre dernier, dans un accord intitulé « communiqué de Nairobi », Antipas Mbusa Nyamwisi et Charles Murigande respectivement ministres des Affaires étrangères de la république démocratique du Congo (RDC) et du Rwanda, convenaient de la nécessité conjointe de mettre fin à l’insécurité générale dans la région des Kivus (RDC).

Les engagements pris des deux côtés semblaient augurer d’un véritable tournant dans la gestion de la guerre interminable qui ensanglante la région dans l’indifférence générale depuis neuf ans. En effet, les termes du communiqué impliquaient au premier chef les ex-forces armées rwandaises (FAR) et les miliciens Interahamwe, ex-génocidaires rwandais réfugiés en RDC, comme la menace principale pesant sur la région. Ainsi, au chapitre des résolutions, la RDC s’engageait à lancer au plus vite des « opérations militaires destinées à démanteler les ex-FAR/Interahamwe  ».

Bien sûr, les autres groupes militaires étaient aussi nommées (Maï-maï, PARECO, CNDP du général Nkunda, Rastas, etc.), mais c’est bien la fermeté et l’insistance de la responsabilité des FDLR [1] et RUD [2] (jamais nommés autrement qu’ex- FAR/Interahamwe) qui peut surprendre l’observateur.

Cependant, si Kinshasa déclarait vouloir chasser une fois pour toutes les forces génocidaires de son territoire, le Rwanda s’engageait, de son côté, en dénonçant Laurent Nkunda et promettant de ne lui accorder aucun soutien à partir de son territoire.

Ce dernier désaveu, inédit, trahit bien le virage que paraît aborder le gouvernement de Kigali dans sa politique étrangère. En effet, la situation du Kivu est pour le moins incertaine et nul ne peut dire dans quel camp tombera la région le jour où le concert des Nations se souviendra enfin qu’en 2007 on y meurt beaucoup plus qu’au Darfour. Mais il y a aussi d’autres facteurs, une autre dynamique en cours, dont l’un des rouages pourrait être le rapprochement français en cours avec le Rwanda. Les tractations en sous-main vont bon train, il ne serait pas surprenant qu’il se passe quelque chose sur ce terrain en 2008. Toutefois, les promesses du 9 novembre sont spécifiquement vouées à l’expulsion des FDLR-FOCA. En effet, malgré le processus de désarmement et de rapatriement (DDRRR) mis en place en 2001 et supervisé par la mission de l’Onu en RDC (MONUC), très peu de combattants du mouvement franchissent le pas et acceptent de retourner à Kigali.

Une guérilla de plus de 10 000 combattants

Pourtant, le FDLR, par la voix de son leader, Ignace Murwanashyaka, déclara à plusieurs reprises accepter le processus de démobilisation et y contribuer. Dans le même temps, sur le terrain, les observateurs s’accordent à penser que nombre de miliciens du mouvement, même s’ils se revendiquent Interahamwe (« ceux qui combattent ensemble » en kinyarwanda), sont trop jeunes pour avoir participé au génocide de 1994, et donc pour être inquiété par la justice rwandaise. De plus la prime de démobilisation – 200 euros – est particulièrement attractive et les nouvelles de ceux qui sont retournés chez eux témoignent de l’absence de représailles. Car, en réalité, les groupes en armes de l’Est du Congo jouent une partition hypocrite. Comme le montre excellemment le film Sleeping Monsters de Marion Glaser (en attente de diffusion sur Arte), les volontaires au retour, potentiellement nombreux, se voient fréquemment interdire, sous menace de mort, d’accepter le marché que leur propose les soldats et agents de la Monuc.

Dans ce contexte, les déclarations des seniors et autres porte-parole des FDLR se voient contredites par la situation au Kivu, où le nombre de combattants FDLR-FOCA sont encore estimé à plus de dix mille en 2007.

Car l’histoire même de la guérilla hutu issue des camps de Goma de 1994 a mis en place une guerre à deux étages. Sous diverses étiquettes (RDR, ALIR, maintenant FDLR-FOCA et RUD Urunana), la nébuleuse Hutu Power que sont les ex-FAR/Interahamwe a entretenu au Kivu depuis plus de dix ans une véritable armée, dynamitant méthodiquement toute pacifi cation de la région, pour répondre à la brutalité (avérée) de mouvements adverses dont la rébellion de Laurent Nkunda est le dernier avatar.

C’est une spirale infernale. Pourtant sur le terrain, dans les deux camps, les soldats sont bien loin des objectifs politiques de leurs chefs.

Une guérilla soigneusement manipulée Dans un contexte de pauvreté absolue, les recrues FDLR comme les hommes de Laurent Nkunda ne sont parfois que des paysans attirés par la promesse de rapines, de vols ou l’espoir lointain de toucher une solde voire… la prime de démobilisation. Ceux-là font la guerre sans savoir pourquoi, sans même imaginer qu’il puisse en être autrement puisque, de toute façon, ils n’ont toujours connu que la guerre.

Si, pour ceux-là, on peut parfois admettre une toute relative circonstance « atténuante  » de la pauvreté, de la non-éducation, il n’en est rien pour leurs chefs. C’est le grand mérite du récent rapport d’African Rights [3] publié en décembre dernier, que de retracer l’histoire confuse du mouvement combattant issu du Hutu Power, de 1994 à nos jours. Il apparaît que cette guérilla perdue dans le bush du Kivu est soigneusement manipulée, entretenue et téléguidée par un impressionnant tableau de personnages, pour leur quasi-majorité impliqués dans le génocide rwandais de 1994. Qu’ils aient été offi ciers des FAR, politiciens Hutu Power, ou ministres du GIR, ceux-là poursuivent en toute impunité leur « lutte ». Pourtant, la structure de décision FDLR, ne se trouve plus au Congo mais disséminée partout dans le monde.

Le rapport d’African Rights nous révèle, en détaillant les faits d’armes de chacun d’entre eux, que l’Europe a été en la matière plutôt accueillante. Ainsi certains, d’authentiques criminels, ont tout de même trouvé un asile confortable en Norvège, en Allemagne, en Belgique ou en France. Des pays suffi samment bienveillants pour laisser cette véritable diaspora entretenir en toute immunité l’un des confl its les plus sanglants du globe.

La longue litanie des activités des dirigeants FDLR énumérées dans le rapport nous rappelle alors que, parmi les combustibles du drame actuel de la région des Grands Lacs, il y a l’absence d’une réelle empathie du monde avec le Rwanda du génocide et l’impunité dont jouissent encore certains génocidaires.

Vincent Munié

[1Forces démocratiques de Libération du Rwanda, dont la branche militaire se double de « FOCA » (forces combattantes)

[2Rassemblement pour l’Unité et la Démocratie, dissidence « dure » des FDLR, avec de faibles effectifs

[3« A welcome expression of intent. The Nairobi communique and the ex-FAR/interahamwe. »

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 165 - Janvier 2008
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