Survie

Compaoraison funèbre

(mis en ligne le 1er novembre 2008) - Rémy Rivière

Le sénateur du
congrès libérien,
Prince Yormie
Johnson, affirme avoir aidé
le président du Burkina
Faso, Blaise Compaoré, à
éliminer Thomas Sankara.
Un aveu qui donne un nouvel
éclairage à un triste épisode
de la Françafrique.

Pour le pékin moyen comme pour le
plus humble des Burkinabé, l’affaire
est entendue : l’actuel président du
Burkina Faso, Blaise Compaoré, a planifié
l’assassinat de Thomas Sankara pour accéder
au pouvoir et s’y maintenir depuis ce mois
d’octobre 1987 par le jeu d’astuces électorales.
Pourtant, cette même affirmation dite, ce
25 octobre, par le sénateur du congrès libérien,
Prince Yormie Johnson, provoque une
onde de choc qui se répercute jusque dans les
salons feutrés de la présidence du Faso et leur
bienséance démocratique.

La révolution liquidée

Il faut dire qu’officiellement, le capitaine
Thomas Sankara, meneur emblématique
de la révolution burkinabé, est d’abord
décédé de « mort naturelle ». Paradoxe,
selon la même version officielle, il est
également tombé sous les balles de militaires
burkinabé soucieux de le ramener
à la raison et de l’empêcher d’assassiner
son bras droit, un certain Blaise Compaoré,
auquel a instantanément profité le
crime. Un Blaise Compaoré qui règne
donc sur le « pays des hommes intègres »
depuis 21 ans, sous le régime duquel les
autres dirigeants de la révolution ont été
liquidés, qui s’est empressé de renouer
avec une politique de coopération, replongeant
le pays dans la pauvreté et
dans le sens du poil de la Françafrique.
Les élites ont aussi retrouvé un faste
qui n’était plus permis sous le régime
diététique de Thomas Sankara. « L’impérialisme
lui offrira le pouvoir sur un
plateau d’argent en organisant l’assassinat
 »
aurait prédit Sankara moins d’un
mois avant sa mort [1]. Il connaissait parfaitement
Compaoré puisqu’ils avaient
été élevés dans la même cour. Depuis
son accession au pouvoir, Blaise n’est
d’ailleurs jamais retourné voir les parents
Sankara qui l’avaient adopté. Pour
les Burkinabé, ce comportement signe
la forfaiture.

Un seigneur de guerre en costume

Mais pour les chercheurs comme pour
les journalistes, il reste malaisé de clamer
cet assassinat, faute bien entendu,
de ces éléments avérés ou judiciaires
qu’une « démocrature » caractérisée est
si peu encline à dévoiler. Pour déterminer
les complicités, les raisons et les réseaux,
les premiers se sont donc attelés
patiemment à comprendre d’où provenait
ce plateau d’argent, pendant que les
seconds remontaient à rebours la piste
des balles qui avaient foudroyé Sankara.
Pour la première fois depuis 21 ans,
leurs chemins se sont rejoints, non loin
du lieu du crime, autour de Charles Taylor
et d’une poignée de mercenaires libériens
dont Prince Johnson. Un seigneur
de guerre en costume, dont le parcours
sanglant a été couronné de notoriété en
1990, lorsqu’il a capturé, torturé et tué
le président du Liberia, Samuel Kanyon
Doe, en buvant des bières américaines
et en filmant la scène, notamment celle
où ses hommes coupent les oreilles du
président.

Le 26 août dernier, Prince Johnson devenu
sénateur, déclare en qualité de
témoin, devant la Commission réconciliation
et justice du Libéria, qu’il a participé
au coup d’état du Burkina Faso en
1987. Il précise son propos sur les ondes
de RFI en indiquant l’avoir fait sur
ordre de Blaise Compaoré, en échange
de l’aide de ce dernier pour faire tomber
le président du Libéria, Samuel Doe, au
profit de Charles Taylor, avec les conséquences
sanglantes que l’on sait. Selon
Prince Johnson, Sankara, également sollicité,
aurait refusé de déstabiliser ainsi
la sous-région. Il affirme également que
le président ivoirien Houphouët-Boigny,
disparu en 1993, était favorable au
renversement de Sankara et avait permis
aux mercenaires libériens de « passer
par son pays pour aller au Burkina »
.
François-Xavier Verschave fut l’un des
premiers à expliquer la connivence entre
Kadhafi, Charles Taylor et Houphouët-
Boigny. Un réseau d’intérêts entre chefs
d’États pour lequel, selon lui, « l’élimination
du président Thomas Sankara est
sans doute le sacrifice fondateur »
 [2].

Au Libéria, des chercheurs étaient également
sur la piste, indiquant, comme
Byron Star, que Blaise Compaoré a ramené
Charles Taylor du Ghana à Ouagadougou
peu de temps avant l’assassinat
de Thomas Sankara [3]. Dès 1992, le
journaliste nigérian, Nkem Agetua affirmait
déjà que Taylor était associé à
la mort de Sankara [4] . Quelques années
plus tard, l’historien libérien Stephen
Ellis écrivait, citant un ancien assistant
de Compaoré : « Houphouët-Boigny
était au courant des ambitions de
Compaoré. Le 15 octobre 1987 des soldats
burkinabé sous le commandement
de Compaoré, avec l’aide d’un groupe
d’exilés libériens incluant Prince Johnson,
tuèrent Thomas Sankara »
 [5].

François-Xavier Verschave, pour sa
part, remonte un échelon au-dessus en
rappelant au souvenir de la Françafrique
ce bon vieux Foccart, de retour aux
affaires africaines par la grâce de la nomination
de Jacques Chirac au poste de
Premier ministre en 1986. « Foccart et
l’entourage de Kadhafi convinrent, en
1987, de remplacer un chef trop intègre
et indépendant, au point d’en être
agaçant, par un Blaise Compaoré infiniment
mieux disposé à partager leurs
desseins. L’Ivoirien Houphouët-Boigny
fut associé au complot »
. Le journaliste
ivoirien Bernard Doza écrit même, que
quelques jours avant le coup d’État,
Blaise Compaoré, en visite à Abidjan,
« reçoit la confirmation après un têteà-
tête avec Houphouët qu’il sera le
prochain président du Faso. »
 [6]

De quoi régaler le tribunal pénal international

De leur côté, les journalistes du Burkina
tentent sur place de reconstruire
le puzzle de cette tragédie, jusqu’à
publier, dans les colonnes de l’hebdomadaire
Bendré, les initiales des militaires
ayant fait le coup de feu contre
Sankara. Ils sont tous Burkinabé et les
révélations peu de temps après, dans le
même journal, d’un certain John Tarnue,
ancien chef des armées de Charles
Taylor, racontant cette présence
libérienne au Burkina lors de l’assassinat
de Sankara, jettent le trouble. Il
faut dire qu’entre temps, une enquête
judiciaire a été ouverte, puis bien vite
refermée, suite à la plainte contre X de
la famille Sankara pour assassinat. Naturellement, la presse est plus prompte à
alimenter le dossier que la justice burkinabé
qui sera même condamnée, en
2006, par la Commission des droits de
l’homme de l’ONU, pour sa mauvaise
foi à mener cette instruction. Le Burkina,
signataire de la Charte des droits
de l’homme est d’ailleurs prié de rouvrir
ce dossier.

Si le général John Tarnue n’était pas
présent sur les lieux, les déclarations de
Prince Johnson constituent en revanche
un témoignage de premier plan pour
n’importe quel tribunal. De là l’onde
de choc actuelle. Et si le gouvernement
s’est contenté d’estimer, à juste titre,
que « ces affirmations viennent comme
une atteinte à notre image tout simplement
 »
, la presse, elle, est déjà sur la
piste du rôle exact qu’ont joué les mercenaires
libériens dans ce coup d’État,
avant d’aller embraser, durant plus de
dix ans, le Liberia et la Sierra Leone
avec la bénédiction de ce que FX Verschave
a nommé « le Consortium de
Ouaga ». Un réseau mafieux de gouvernants
propre à régaler l’auditoire d’un
Tribunal pénal international.

Rémy Rivière

[1Valère Somé : Thomas Sankara : l’espoir
assassiné (L’Harmattan 1990)

[2François-Xavier Verschave : Noir Silence
(Les Arènes 2000)

[3The Ecomog Initiative in Libéria :
A Liberian Perspective in Issu (nos1-
2 1993)

[4M. Nkem Agetua : Operation Liberty,
the Story of Major General Joshua Nimyel
Dogonyaro. (Lagos 1992)

[5Stephen Ellis : The Mask of Anarchy
(New York University Press, 1999)

[6Bernard Doza : Liberté confisquée.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 174 - Novembre 2008
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