Survie

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(mis en ligne le 4 novembre 2010) - Odile Tobner

Le chef de l’État camerounais jouit d’une grande vogue dans les médias français et francophones. Ainsi Le Monde du samedi 23 octobre consacre-t-il au Cameroun de Biya une pleine page de réclame, sous le titre « Un nouvel élan ».

Une réclame qui prend place dans une longue série de publicités qui soutiennent régulièrement les finances du journal phare de l’intelligentsia française, telles les quatre pages intitulées « France Cameroun, une ère nouvelle », du dimanche 28 octobre 2007.

Plus c’est nouveau, plus c’est pareil. Simultanément l’hebdomadaire Les Afriques, en quête de finances plus que de lecteurs, publie un numéro hors série daté du 22 octobre, consacré à une longue interview de Biya. Cet hebdomadaire, lancé en juillet 2007 à Genève, par Dominique Flaux, se présente comme un journal économique et financier africain mais il est édité par l’édition Genève et financé notamment par Proparco, la banque de l’AFD (Aide française au développement). Ce numéro spécial, placardé à grands frais sur tous les kiosques parisiens, outre la photo de Biya adornée de l’apophtegme prudhommesque : « J’ai la conviction que la Renaissance de l’Afrique est en marche », affiche en bandeau « La francophonie économique prend forme », slogan qui visiblement est de la même plume que l’interview elle-même, taillée dans la plus pure langue d’azobé [1].

Entre la Renaissance qui marche et la francophonie qui prend forme, les réponses de Biya, telles que rédigées par Dominique Flaux et François Bambou, ex-rédacteur au défunt périodique Marchés tropicaux, à des questions aussi excitantes que : « Quelle est votre définition personnelle de l’éthique ?  », confinent à l’encéphalogramme plat en fait d’activité intellectuelle : « Notre bilinguisme symbolise notre unité » etc.

L’important est que Biya, peu préoccupé par les problèmes économiques très concrets des Camerounais, fasse longuement, dans ses propos, la réclame de la francophonie « économique », de Proparco, de l’AFD, invitant les capitaux français à venir s’engraisser au Cameroun. Ce qui a fait dire à un lecteur, sur le net, que Biya vendait le Cameroun aux Blancs.

C’est même sa principale raison d’être, depuis bientôt trente ans, une longévité et une stabilité très vantées, dignes de la Corée du Nord, avec le même résultat pour les populations, qui croupissent dans une misère grandissante, en marche apparemment elle aussi. Biya ignore totalement ce fâcheux détail, tout à son souci de la sécurité des entreprises françaises. Il souligne au passage que, pour cela, il jouit de l’aide précieuse de l’armée française.

Une telle interview n’est évidemment pas à destination des Camerounais, qu’elle fait ou s’esclaffer ou grincer des dents, selon leur humeur. Mais est-ce que leur avis a la moindre importance ? Le Cameroun réel est un trouble-fête qui n’a pas droit à l’existence médiatique. Malheur aux journalistes qui vont tendre leurs micros sur le terrain !

On leur donnera des leçons de journalisme, par exemple avec cette interview, une sorte d’autopromotion des affaires françaises par le truchement d’un perroquet des tropiques.

Un appel à la colonisation dans la meilleure tradition : Engagez-vous, rengagez-vous !

Erratum

Myrtille Delamarche, directrice de la publication de Marchés tropicaux nous signale la relance de ce titre en mars 2010 sous la forme d’un mensuel couplé à un site internet quotidien (www.mtm-news.com).

Toutes nos excuses pour cet acte de décès ainsi que nos encouragements à l’équipe de Marchés tropicaux.

[1Bois dur d’Afrique centrale

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 196 - novembre 2010
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