L’exécutif, soucieux de relancer l’économie par la diplomatie économique, déroule le tapis rouge à l’Afrique de la croissance, tandis qu’il s’oppose à la mise en place d’une responsabilité juridique pour les multinationales françaises vis à vis de leurs filiales.
François Hollande, qui officiellement n’organise plus de sommets France-Afrique mais démultiplie désormais les occasions de réunir les chefs d’Etats africains, a invité plusieurs d’entre eux à Bercy, le 6 février, pour un raout intitulé « Forum franco-africain pour la croissance », nouvel avatar des initiatives de l’exécutif socialiste en termes de « diplomatie économique » à destination de l’Afrique. Il est d’ailleurs coorganisé par le Medef International, tout comme l’avait été le « Forum pour un nouveau modèle économique de partenariat entre l’Afrique et la France » organisé en décembre 2013 à la veille du Sommet pour la Paix et la Sécurité de l’Elysée, et au cours duquel avait été discuté le « rapport Védrine » qui appelait sans complexe à reconquérir l’Afrique (cf. Billets n°231, janvier 2014). Sept mois plus tard, le gouvernement officialisait la création de la « Fondation franco-africaine pour la croissance ». Selon le communiqué commun du ministère des Finances et de celui de l’Economie (15/07/14), « cette Fondation, réseau social rassemblant les acteurs français et africains, a pour vocation d’intensifier les relations économiques entre l’Afrique et la France au service d’une croissance inclusive et durable associant tous les acteurs, à travers la formation académique et professionnelle, la promotion active des échanges et des investissements croisés et un rôle de plaidoyer pour les échanges entre l’Afrique et la France ». Et qui est mieux placé pour ce « plaidoyer » qu’un des coauteurs du rapport Védrine ? L’un d’eux, le banquier Lionel Zinsou, avait donc en charge la « préfiguration » (sic) de cette fondation, dont tout le monde semble s’accorder pour dire que c’est une bonne idée mais cherche encore à quoi elle sert.
Selon la Lettre du Continent (30/01), la
dite fondation francoafricaine
pour la
croissance sera cette fois lancée
officiellement, à l’occasion de cette
journée à laquelle est invitée « une haute
personnalité issue de chaque zone du
continent en vue d’évoquer les moyens de
renforcer la relation économique avec
Paris, qui mise sur l’Afrique depuis
plusieurs mois pour doper sa
croissance ». Et ce média souvent
officiellement tuyauté d’annoncer « la
présence de plusieurs présidents
francophones, dont le Gabonais Ali
Bongo et le Sénégalais Macky Sall »
tandis qu’ Habib Essid, le nouveau chef
du gouvernement tunisien, se serait
décommandé et devrait être « remplacé
par Alassane Ouattara ». On reconnaît
les vrais amis, et le président ivoirien
Ouattara peut difficilement refuser les
honneurs de Paris. Bongo ne rate pour sa
part aucune occasion de venir parader
avec Hollande. Mais comme il ne faut pas
rester qu’entre francophones, lorsqu’on
parle de croissance (l’Afrique anglophone
conciliant étrangement une moindre
ingérence française et une situation
économique et politique globalement
meilleure), François Hollande devrait
aussi pouvoir compter sur la présence du
« président kenyan Uhuru Kenyatta et
[du] premier ministre mauricien, Anerood
Jugnauth ». Ce dernier gouverne un
paradis fiscal classé 19ème à l’indice
d’opacité financière publié en 2013 par
l’ONG britannique Tax Justice Network
(entre l’Autriche et les Îles Vierges
Britanniques) ; mais quand on parle
affaires... Quant au président Kenyatta, il
est poursuivi par la Cour Pénale
Internationale (CPI, dont la France est un
Etatpartie),
pour les violences post-électorales
de 2008 au Kénya. Certes, la
CPI commence à être décrédibilisée en
Afrique, à force de ne s’en prendre qu’à
des Africains (du moins lorsqu’ils ne sont
pas des alliés importants des
Occidentaux), mais le serait-elle
à
l’Elysée ? Mais quand on parle affaires…
Le hasard du calendrier fait que cette
invitation à partager les fruits de la
croissance africaine (avec les entreprises
françaises, mais pas avec les populations)
devrait coïncider avec les prochaines
batailles autour d’une tentative de
partager les conséquences du pillage. En
effet, la proposition parlementaire de loi
(PPL) sur le « devoir de vigilance des
sociétés mères et des entreprises
donneuses d’ordre », qui visait à imposer
aux firmes qui engrangent les profits de
leurs filiales à l’étranger d’être en mesure
de prouver qu’elles faisaient le nécessaire
pour empêcher de graves atteintes à
l’environnement et aux droits humains,
vient de subir un enterrement de première
classe. Avec, dans le rôle du fossoyeur
zêlé, le Parti socialiste, dont le groupe
parlementaire avait pourtant déposé la
proposition de loi aux côtés des 3 autres
groupes dits de gauche à l’Assemblée.
Dès la discussion en Commission des Lois, le 21 janvier, le ton était donné. C’est la rapporteuse du texte, la députée EELV Danielle Auroi, qui l’a le mieux expliqué huit jours plus tard : « Les débats en Commission m’ont désagréablement surprise. J’ai parlé de gens qui meurent. On m’a répondu CAC 40 » [1]. En plénière, le 29 janvier, le groupe socialiste a docilement suivi la consigne du gouvernement : demander et voter le renvoi en Commission, pour un « projet alternatif » de loi ayant prétendument le même objectif généreux – afin de ne pas assumer publiquement de refuser de rendre les multinationales françaises responsables de leurs filiales. Il est vrai que, deux jours avant, un sondage CSA commandé par les ONG et syndicats regroupés au sein du Forum Citoyen pour la Responsabilité Sociale des Entreprises montrait que « 3 Français sur 4 (76%), toutes sensibilités politiques confondues, pensent que les multinationales françaises devraient être tenues responsables devant la justice des accidents graves provoqués par leurs filiales et sous-traitants ». Mais l’exécutif, qui invite les pays africains à partager leur croissance, semble compréhensif lorsque les firmes françaises refusent de partager les problèmes de populations sur le dos desquelles elles fondent leurs bénéfices.
[1] Propos tweetés par l’ONG Sherpa.