Survie

Discours de Ouaga : les leçons du professeur Macron

(photo CC Finnish Government, 22 septembre 2017)
rédigé le 20 décembre 2017 (mis en ligne le 29 janvier 2018) - Thomas Noirot

Présenté comme le pendant des « discours de Dakar » de Nicolas Sarkozy (2007) et de François Hollande (2012), le discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou, le 28 novembre, serait selon son ministre Jean­-Yves Le Drian « un discours très important pour la jeunesse africaine » (Le Canard enchaîné, 13/12). Pour La Lettre du Continent (6/12), Macron « a su convaincre partiellement la jeunesse burkinabè sur la forme [mais] il se sait attendu sur la mise en place effective des mesures annoncées ». Le problème est justement que les quelques engagements pris ne vont rien changer à la Françafrique.

Le locataire de l’Elysée a prétendu dès le début de son discours [1] que « il n’y a plus de politique africaine de la France » : et pour cause, Nicolas Sarkozy avait déjà annoncé la fin de la Françafrique, et François Hollande la « normalisation » de la politique africaine de la France. Il fallait bien se démarquer.

Instrumentalisation

En termes de communication, il a certes su faire, du moins pour son discours soigneu­sement préparé. D’abord en rendant hom­mage au président Thomas Sankara (assassiné en 1987, avec la complicité de la France, et au sujet duquel il venait d’annoncer la future dé­ classification des archives françaises), puis en citant André Gide ou Albert Londres. Le choix du pays n’était bien sûr pas inno­cent : il s’agissait de récupérer à bon compte l’insurrection de 2014, en évoquant « la dé­mocratie, combat que vous avez ici mené et gagné »... mais sans présenter au nom de la France des excuses pour le soutien constant à Blaise Compaoré, que l’armée française a même protégé lors de sa chute en l’exfiltrant du pays par hélicoptère. Et avec quelques bourdes témoignant de son ignorance, comme lorsqu’il s’est dit « impressionné par la détermination de la jeunesse burkinabè à défendre à deux reprises et parfois au prix de sa vie les acquis de la démocratie et de l’Etat de droit. » La deuxième reprise, c’était la mise en échec du putsch de septembre 2015. Mais la première, le renversement d’une dictature vieille de 27 ans, était­-ce « dé­ fendre un acquis » de la démocratie ?
Après avoir égrené les différents « pé­rils » ou « défis » auxquels l’Afrique fait face selon lui (l’esclavage en Libye, la lutte contre le terrorisme, les conflits politiques internes, l’obscurantisme religieux, la démographie, le changement climatique), mais en répétant cinq fois qu’il n’était pas là pour donner des leçons, le président français a décliné cer­taines propositions, principalement en évi­tant ce qui structure aujourd’hui la politique franco­-africaine – des sujets qui sont reve­nus lors des questions.

Engagements anecdotiques...

Lors de son discours, le président a pris quelques engagements qui, bien que cer­tains soient à saluer, ne changeront pas structurellement la relation politique, mili­taire et économique entre la France et les pays d’Afrique de son champ d’influence. Au contraire, même, pour certains.
Ainsi, on peut se réjouir de la promesse de la restitution « temporaire ou perma­nente » (le premier mot est important...) de certaines œuvre d’art africaines, même si celle­-ci ne s’est pas accompagnée d’excuses (au contraire, Macron a réhabilité morale­ ment le pillage culturel : « dans beaucoup de pays d’Afrique ce sont parfois des conservateurs africains qui ont organisé le trafic et ce sont parfois des conservateurs européens ou des collectionneurs qui ont sauvé ces œuvres d’art africaines pour l’Afrique en les soustrayant à des trafi­quants africains »). On peut également comprendre l’intérêt des étudiants burkina­bè à se voir promettre un doublement des partenariats universitaires entre la France et les pays africains, davantage de bourses, du moins pour les filles, et « des visas de circu­lation de plus longue durée » pour pouvoir revenir en France après la fin d’un premier cursus d’études. Mais cela s’accompagne de la perspective de généralisation des « hots­ pots » permettant de bloquer dans les pays de départ ou de transit les personnes « qui n’ont aucune chance d’obtenir le droit d’asile ».

... ou intéressés

Emmanuel Macron est proche d’Hubert Védrine et de Lionel Zinsou, co­-auteurs, avec Jean-­Michel Sévérino (ancien patron de l’Agence française de développement, qui faisait partie de la délégation invitée à Ouaga), d’un rapport fin 2013 sur l’évolution de la relation franco­-africaine : ce rapport mise principalement sur le potentiel économique et le gisement d’emplois que représente l’Afrique pour la France [2]. Nombre d’annonces faites lors du discours de Ouagadougou font étrangement écho à ce rapport. La plus caricaturale est sans doute lorsque le président français défend un outil de soft power, le volontariat international en entreprise ou en ambassade : « Je souhaite que plus de jeunes Français puissent aussi venir travailler en Afrique. Business France augmentera dès 2018 le nombre des jeunes volontaires français travaillant dans des entreprises en Afrique. Et je demanderai également à nos ambassades de recruter davantage de volontaires en privilégiant les candidats qui parlent ou ont commencé l’apprentissage d’une langue africaine ».
Mais ça devient sérieux quand on parle argent : « Ce dont l’Afrique a besoin, ce sont de financements pour ouvrir des structures de soins où ces médecins pourront exercer avec les meilleures technologies, c’est de développer la télémédecine, les infrastructures indispensables, je demanderai pour cela aux fonds d’investissements privés français, aux assureurs français, de proposer aux pays africains de devenir les actionnaires privilégiés des champions africains de la Santé. Concrètement, je veux que des financements privés français servent demain à ouvrir des cliniques de qualité à Abidjan, Dakar, Ouagadougou. La France doit aussi avoir ce rôle. » Et pour attirer des financements privés, rien de mieux qu’une carotte publique : l’orientation actuelle au « blending », qui permet d’attribuer un élément d’aide publique au développement à des projets privés pour les rendre rentables, va s’en trouver confortée. Ce sont les fonds d’investissements français et les assureurs qui vont être contents...
Pour le coup, on comprend que son autre engagement, atteindre en fin de man­dat « les 0,55 % du revenu national brut en termes d’aide publique au développe­ ment », risque d’être l’occasion de différents montages similaires, une marque de généro­sité... vis à vis des investisseurs privés.

Start-up continent

Car le secteur de la santé, bien que privilégié, n’est pas la seule cible de la tendance au blending promue par le très néolibéral Macron. Il a ainsi proposé sa « révolution qui permettra le sursaut de la jeunesse, (...) celle de l’innovation et avec elle de l’entreprenariat. (...) Concrètement la France sera au rendez­-vous en consacrant plus d’un milliard d’euros pour soutenir les PME africaines. Au travers de cette initiative, l’Agence française de développement, la Banque publique d’investissement ­ et je remercie les deux dirigeants qui m’accompagnent ­ mais aussi je le souhaite que les fonds d’investissement privés français seront les premiers partenaires des jeunes entreprises africaines. » En bon fan des start­-up, il vise avant tout le secteur du numérique, avec le « programme Digital Africa qui permettra d’identifier les start­-up africaines les plus prometteuses et accompagnera leur croissance », mais cible également « l’agriculture dont l’Afrique a profondément besoin ». C’est le genre d’argument dont raffolaient déjà les partisans de la Nouvelle Alliance pour la Souveraineté Alimentaire en Afrique (NASAN) [3].
Emmanuel Macron s’inscrit de fait dans la continuité des discours et pratiques du quinquennat précédent : « Je veux que l’Afrique soit une priorité de la diplomatie économique française, que les entreprises françaises investissent davantage en Afrique, pas seulement les grands groupes que vous connaissez mais aussi les PME, les entrepreneurs ». Évidemment, il y a toujours le couplet moral : « le soutien de l’Etat français, indispensable et qui continuera à leurs côtés, ne sera pas accordé sans contrepartie En effet, je souhaite que les entreprises françaises soient porteuses d’un partenariat exemplaire, un partenariat exemplaire qui refuse la corruption, qui se plie aux appels d’offres, qui se plie aux règles édictées par les institutions africaines qui comme l’OHADA font progresser la bonne gouvernance. » L’OHADA, Organisation pour l’Harmonisa­tion en Afrique du Droit des Affaires, une institution africaine... créée en 1993 à l’initia­tive de Paris et financée par la France pour maintenir et renforcer son influence juri­dique face au droit des affaires anglo-saxons. Et aussi le couplet visant les méchants concurrents : « Cette exigence que j’aurai pour la France, je veux que nous l’ayons ensemble pour les investisseurs du monde entier, pour tout le continent africain ». Mais évidemment, sans donner de leçon...

A fond le business !

Même au sujet du sport, les visées économiques n’étaient pas loin. Ainsi, après avoir gentiment annoncé avoir « demandé au Comité d’organisation des Jeux olympiques de prévoir dès à présent un plan pour permettre aux sportifs africains de venir s’entraîner en France dans les meilleures installations », en vue des JO de Paris en 2024, Macron en est venu aux choses sérieuses : « Je porterai dans les prochaines semaines une initiative rassemblant de grands acteurs du monde sportif qui encouragera à la fois les investissements dans le domaine des équipements sportifs et les investissements des sportifs dans l’économie africaine ». Ça tombe bien, au vu de son étape au Ghana, deux jours plus tard, comme l’a raconté la Lettre du Continent (6/12) : « Si l’on doutait de la volonté des autorités françaises de faire de la jeunesse un formidable levier pour le business, l’escale au Ghana, pays où Air France vient d’inaugurer sa première liaison, en a apporté la réponse. Dominée par la thématique du sport, cette étape a permis à Décathlon de monter une pure opération de ’com’. Le 30 novembre en fin d’après­-midi, dans les moiteurs de la nuit tombante, Macron s’est rendu à Jamestown, quartier populaire d’où sont sortis de grands internationaux de football. Le chef de l’État était attendu par les jeunes d’une école, et devait visiter une salle de boxe. L’événement a été organisé de bout en bout par le groupe français spécialisé dans les articles de sport, lequel a ouvert son premier magasin à Accra en avril, quelques mois après celui d’Abidjan ». Promouvoir le développement par le sport, ça pouvait surprendre, mais il parlait surtout de développer de nouveaux marchés.

Langue de conquête

Pour Macron et ses conseillers, « si la francophonie a un sens ­ et c’est le projet qu’elle doit porter ­ c’est celui de permettre à tous les étudiants francophones d’avoir accès aux mêmes supports pour mener leurs projets et leurs études ». Mais le but n’est pas la généralisation des visas, c’est plutôt de « donner accès à tous à une bibliothèque numérique des savoirs et des formations », via l’Agence universitaire de la francophonie. Connaissant les difficultés pour des étudiants ou même des bibliothèques universitaires pour se procurer des livres, dans de nombreux pays d’Afrique, on peut être séduit. Mais la Francophonie reste un instrument d’influence pour la France, un outil de soft power, dont le gentillet « rayonnement » permet à Paris de mieux peser au plan international. Macron le sait, et cherche à le revendiquer ; tout en prétendant ne pas donner de leçons, le champ lexical devient étrangement directif : « je veux que vous ayez conscience de cela », « Soyez­-en fiers », « je vous le dis très simplement, faîtes le vivre, ne la regardez pas comme une langue que certains voudraient ramener à une histoire traumatique, elle n’est pas que cela », « elle n’est déjà plus seulement française, elle est déjà la vôtre, alors portez­-la avec fierté ! ». Et Macron, même s’il prétend que « ce n’est pas la francophonie française, non, elle a depuis bien longtemps échappé à la France », d’asséner : « Je veux une francophonie forte, rayonnante, qui illumine, qui conquiert parce que ce sera la vôtre, portez­-la avec fierté cette francophonie, défendez­-la, mettez­-y vos mots, mettez­-y vos expressions, transformez­-la, changez­-la à votre tour ! ».
Mais l’écrivain camerounais Mongo Beti l’avait dit : « Une langue ne s’impose pas par la force. Une langue s’impose parce qu’elle est le champ où s’expriment les libertés » [4]. Et ce que n’a pas voulu comprendre le Professeur Macron, c’est que pour une large frange de la jeunesse africaine francophone à laquelle il prétendait s’adresser, le rayonnement de la France via une Organisation Internationale de la Francophonie discréditée est synonyme de Françafrique [5]. Cette dernière se caractérise toujours par des mécanismes institutionnels (le soutien aux régime illégitimes, la présence militaire française, le franc CFA, etc.), au sujet desquels les silences de son discours sonnent telle une insulte.

Silences coupables

Quelques semaines après la violente répression des manifestations au Togo, et alors que les Gabonais et les Congolais tentent toujours de dénoncer l’illégitimité d’Ali Bongo et de Sassou Nguesso, Emmanuel Macron était évidemment attendu sur le soutien multiforme de la France aux vieilles dictatures françafricaines. Mais il a tout aussi évidemment éludé le sujet en prétendant éviter toute ingérence : « je ne vous donnerai pas de leçon. Le président de la République française n’a pas à expliquer dans un pays africain comment on organise la Constitution, comment on organise des élections ou la vie libre de l’opposition ». Et, selon sa logique, il n’a donc pas à dénoncer une répression que sa diplomatie condamne pourtant rapidement quand c’est sur un autre continent, du moins hors de la sphère d’influence française. A l’instar de François Hollande en novembre 2014, il s’est contenté d’un propos général, qui ne mange pas de pain : « j’ai une seule certitude, que le changement, le renouveau générationnel dans un continent dont 70 % de la population a moins de 30 ans, ce n’est pas une option, c’est une loi mathématique ». Et lorsque les vieux dictateurs s’accrochent, à l’aide de leur armée et leur police formées et équipées par la France ? « partout où cela ne sera pas le cas, la France ne se privera pas d’un lien direct avec la jeunesse, les universités, les ONG, les entrepreneurs pour avec eux construire l’avenir ». En d’autres termes, ce que les services de coopération technique des ambassades françaises font déjà... Par contre, à l’occasion de son discours, il ne s’est pas privé de rendre hommage au dictateur tchadien Idriss Deby, au roi marocain Mohammed VI, et même au prince héritier d’Arabie Saoudite !

Africains coupables

Dès la première question des étudiants, le président français a été interpellé au sujet de l’élimination de Kadhafi en Libye. L’occasion de se distancer du bilan de Nicolas Sarkozy, en expliquant qu’il n’aurait pas soutenu l’intervention de 2011, responsable de l’effondrement du pays et de la sous­-région. Mais il n’a pas présenté d’excuses officielles de la France pour autant. Pire, il a répondu à un autre étudiant qui l’interpellait sur l’esclavage qui prospère dans ce chaos, dans un élan paternaliste, « Mais qui sont les passeurs ? Ce sont les Africains mon ami ! ». Ou comment essentialiser discrètement un débat qui, sinon, pourrait porter sur la politique migratoire de la France et l’Union européenne.
Surtout, cherchant à retrouver le soutien d’une armée française qui a commencé à douter de lui après des annonces de restrictions budgétaires, Emmanuel Macron s’est illustré par son soutien à l’opération Serval menée au Mali en 2013­-2014, soulignant que « l’armée française fait partie des rares armées européennes qui a (sic) la possibilité d’agir en si peu de temps ». C’est, comme toujours, confondre une cause et une solution : l’armée française n’a de fait jamais vraiment quitté l’Afrique francophone, en soutien à des proto­Etats qui, de temps à autres, peuvent s’effondrer.

Sous vos applaudissements

Mais le commandant Macron l’a expliqué aux Burkinabè : l’armée française est là « pour protéger vos enfants, pour vous aider et pour gagner cette bataille contre le terrorisme ». L’exfiltration d’un dictateur renversé par un peuple aux mains nues n’était pas au programme de ce cours. Car le seul sujet militaire qui importait, officiellement, c’est la force du G5 Sahel : « la France a apporté son soutien financier, militaire, notre coopération est exemplaire  ; nous avons aussi formé, organisé un état­ major maintenant intégré ». Le reste de la coopération militaire (par exemple avec les armées criminelles du Cameroun, du Congo, du Gabon, du Tchad, du Togo, de Djibouti, etc.) ou le maillage militaire des bases françaises en Afrique n’intéressent pas le Professeur Macron. D’ailleurs, quand lors de la séquence de questions, une étudiante critique le grand nombre de militaires français au Burkina, la réponse est cinglante : « vous ne devez qu’une seule chose aux militaires français : les applaudir ! ».

Climatisation.... française

Un épisode lié à la climatisation a été largement commenté, mais souvent de travers. À l’étudiante qui demandait si ses camarades et elle allaient pouvoir bénéficier longtemps de la climatisation dans un amphi où la température est suffocante une partie de l’année, Emmanuel Macron a opposé avec un ricanement que c’était le confondre avec le président burkinabè que de s’adresser à lui sur ce sujet. Ne retenant que le lien avec la centrale solaire de Zagtouli qu’il devait aller inaugurer après son discours, il s’est contenté de répondre que la France soutenait les énergies renouvelables, avant d’humilier le président du Faso en expliquant que c’était à lui de s’occuper des universités burkinabè... Le président Kaboré s’est alors levé et est sorti de la salle, tandis que Macron lançait, hilare, « Du coup, il est parti réparer la climatisation ! ».
A l’instar de nombre de commentateurs de l’Hexagone, une journaliste française présente sur place mais citée anonymement par l’Obs (29/11) retient surtout le côté décalé de la question : « c’est quand même délirant qu’une étudiante burkinabée (sic) lui parle de l’électricité de sa fac ». Sauf que... toute mal posée qu’elle était, la question moquait surtout le fait que l’ambassade de France avait loué deux énormes climatiseurs dans l’objectif de rafraîchir l’amphi et d’éviter à son Jupiter de baigner dans son jus pendant les deux heures et demi de son show. Et ça, on peut comprendre que cette étudiante ait voulu le relever...
L’entourage du président Kaboré, pour expliquer sa brutale sortie de la scène, a rapidement fait savoir qu’il ne s’agissait que d’une « pause technique »... pour se soulager d’un besoin pressant. Selon l’Obs, preuve en serait qu’il est revenu quelques minutes après, et que son entourage n’avait pas quitté la salle avec lui. Pour être aussi mesquin que ce prétexte, on peut s’étonner que cela soit tombé pile à ce moment­-là, alors qu’il aurait été propice de le faire quelques minutes plus tôt, entre la fin du discours et le début des questions). Mais c’est faire trop d’honneur à l’excuse, brandie pour expliquer qu’il n’y avait pas de « crise diplomatique » par un pouvoir burkinabè qui n’a actuellement ni les moyens ni l’ambition de dénoncer l’attitude du président français : la domination ultime n’est­-elle pas celle qui est intégrée par le dominé ? À l’humiliation par Macron a ainsi succédé l’auto­-humiliation, pour ne pas embarrasser le président français.

Mais c’est de l’humour

Quant à Macron, il a eu beau jeu, le lendemain au micro de RFI et France 24, de considérer la polémique « ridicule » et de la balayer d’un argument 1000 fois entendu : le trait d’humour, qui aurait d’ailleurs fait rire le président burkinabè. « L’humour, c’est le signe d’une relation d’égal à égal », s’est ainsi défendu Macron, qui aime aussi faire des blagounettes sur les Kwassa­-Kwassa comoriens – l’égalité n’a décidément pas de frontière. Et de tenter de rejeter l’accusation sur ceux qui le critiquent : « Ce sont eux les vrais paternalistes ». La posture est connue, tant elle est partagée par les sexistes­-pas sexistes et les racistes­-pas racistes [6] ... Car remis dans son contexte, l’humour d’un président français qui raille un président d’Afrique francophone – d’une manière qu’il ne se serait pas permise avec son homologue canadien ou australien – est aussi neutre que celui d’un ministre blanc qui prétendrait rigoler avec une ouvrière noire ou arabe. Mais évidemment, ce sont ceux qui rappellent que l’existence multiséculaire d’une relation de domination change la donne en terme d’humour en public, qui seraient coupables de chercher à la prolonger.

CFA, « non-sujet »... tabou

Au lendemain du discours de Macron, l’économiste Kako Nubukpo résumait dans une tribune (Le Monde Afrique, 29/11) qui allait lui coûter son poste à l’OIF : « Le franc CFA fait couler beaucoup d’encre, et ce, depuis longtemps, avec une accélération et une tension sans précédent depuis quelques mois. On était donc en droit de s’attendre de la part de M. Macron, dans le cadre d’un discours à une jeunesse africaine préoccupée à juste titre par son avenir, à des propos structurés, réfléchis et fortement argumentés sur sa vision de l’avenir de cette monnaie, à l’intérieur même de son discours. Mal nous en a pris, car de franc CFA, il ne fut guère question. » C’est seulement en réponse à une question, malheureusement suffisamment mal posée pour que le président français ne soit pas pris en défaut, que le locataire de l’Élysée a daigné évoquer le sujet. Mais cela a commencé par une nouvelle humiliation : le professeur Macron n’a rien trouvé de mieux que de demander à la salle qui faisait des études d’économie ou de finances avant de lâcher avec dédain, faussement surpris du faible nombre de mains levées à son goût, « mais vous êtes en quoi, alors ? ».
S’en est suivi un récit des poncifs habituels sur le franc CFA, dans une approche évidemment technique, évacuant toute dimension politique. Sur la question de la souveraineté, il s’est contenté d’expliquer que tout chef d’État de la zone franc peut décider d’en sortir – ce à quoi la foule d’étudiants a répondu en scandant « Prési ! Prési ! », comme pour prendre au mot cette affirmation en demandant au président du Faso de quitter cette monnaie néocoloniale. Sur Twitter, l’économiste sénégalais Ndongo Sylla a trouvé la bonne formule, résumant : «  La question est plutôt : pourquoi la France ne sort­-elle pas du Franc CFA ? ».
De fait, le discours-­fleuve de Ouaga est venu illustrer, si on en doutait encore, que la France n’abandonnera sous Macron aucun des piliers institutionnels par lesquels la France maintient et défend son influence dans son ancien pré­ carré, tout en lorgnant sur les nouveaux marchés. Même la posture, une humilité feinte et une reconnaissance à demi­-mot de certains crimes néocoloniaux, n’a hélas pas grand­-chose de nouveau. Après la « Françafrique décomplexée » de Nicolas Sarkozy, après la « Françafrique normalisée » de François Hollande, celui qui prétend depuis des mois faire du neuf avec du vieux, n’a rien d’autre à proposer qu’une sorte de Françafrique ripolinée.

Lèse-Majesté

« Le franc CFA est un non­sujet pour la France », osait Emmanuel Macron lors de son One­-man­-show. L’économiste togolais Kako Nubukpo vient d’en faire à nouveau l’amère expérience. Crime de lèse­ Françafrique, il s’est permis, dans une tribune au Monde Afrique (29/11) de reprendre le Professeur Macron sur le sujet en montrant en quoi son analyse était « imprécise et caricaturale » et ses propos « déshonorants pour les dirigeants africains ». Moins d’une semaine plus tard, le détracteur de la « servitude monétaire », dont les positions politiques étaient pourtant connues, se voyaient pousser hors de l’Organisation internationale de la francophonie, où il occupait le poste de directeur de la Francophonie économique et numérique. Selon Jeune Afrique (08/12), le président ivoirien Alassane Ouattara, fervent défenseur du CFA, avait déjà réclamé sa tête en septembre dernier. Circonstance aggravante, l’économiste engagé s’en était également pris au chouchou des autorités françaises, l’homme d’affaire franco­-béninois Lionel Zinsou, qu’il avait qualifié de « symbole même de la servitude volontaire ». Aujourd’hui à la tête du think tank libéral Terra nova et président d’AfricaFrance, fondation soutenue par le Quai d’Orsay et le MEDEF, Zinsou semble en effet vouloir briguer la succession de Michaëlle Jean à la tête de l’OIF, faute d’avoir pu devenir président du Bénin...

[1Il est possible de retrouver l’intégralité du discours d’Emmanuel Macron sur le site de l’Elysée : la retranscription est ICI, l’enregistrement vidéo LÀ. Mais il est essentiel de se reporter également à l’enregistrement vidéo des questions et des réponses, ICI.

[2Voir Thomas Noirot, « Quand la France doit redécouvrir l’Afrique... », Billets d’Afrique n°231, janvier 2014

[3Voir Alice Primo et Yanis Thomas, « Nourrir les requins pour faire reculer la faim ? », Billets d’Afrique n°226, juillet­-août 2013.

[4Mongo Beti parle, ed. Bayreuth African Studies (2002), réédité par Homnisphères (2006).

[5NDLR : C’est d’ailleurs ce que l’écrivain Alain Mabanckou a rappelé le 15 janvier 2018 dans sa lettre ouverte à Emmanuel Macron

[6Lire à ce sujet Françoise Vergès, « Comme Michel Leeb, les racistes non racistes refusent de comprendre ce qu’est le racisme », Le Monde, 13/12/2017

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