Les révélations contenues dans le dernier rapport de l’ONG britannique Global Witness [1] apportent un éclairage essentiel sur la guerre civile en Côte d’Ivoire. Il confirme totalement l’implication dans ce conflit du « consortium de Ouaga » - les dictateurs libérien, burkinabè et libyen Charles Taylor, Blaise Compaoré et Muammar Kadhafi, plus un réseau libano-françafricain (cf. Billets n° 109 à 113). Mieux : l’organigramme et le trombinoscope de la branche libérienne de ce consortium sont aimablement fournis.
Avec un luxe de détails, le rapport démontre que les deux « rébellions » ouest-ivoiriennes (MPIGO et MJP) ont été planifiées, entraînées et armées au Liberia par la machine de guerre taylorienne, qui ravage la région depuis 1989 : elles sont d’ailleurs composées à 90 % d’éléments du RUF, la filiale sierra-léonaise de cette entreprise de terreur.
Depuis les frêles accords de paix en Sierra Leone, ces soudards tortionnaires (dont le sinistre Sam Bockarie, le Mladic local) s’étaient repliés au Liberia, constituant l’une des gardes prétoriennes de Taylor. Mais la vigueur des rébellions libériennes, qui menacent la capitale Monrovia, et le démarrage des procès du Tribunal spécial créé par l’ONU pour juger les crimes commis en Sierra Leone, inquiètent sérieusement ces businessmen. Ils projettent donc de rallumer le feu en Sierra Leone. Et ils ont entrepris de se tailler une zone de repli en Côte d’Ivoire - là même où, en 1989, Houphouët-Boigny, le général Gueï et Compaoré les avaient aidés à préparer l’attaque du Liberia.
L’Ouest ivoirien est clairement victime d’une agression étrangère. Global Witness établit de surcroît que cette attaque, menée par des criminels contre l’humanité, est majoritairement payée par les exportations de bois libérien ; les cargos amènent d’ailleurs des armes en venant chercher des grumes.
Les choses sont donc assez simples : si le 6 mai, au Comité des sanctions de l’ONU, la France continue de s’opposer à l’embargo sur le bois libérien, elle affichera sa complicité avec l’agression taylorienne. Et son équilibrisme politico-militaire en Côte d’Ivoire deviendra intenable.
Parlant de « la France », nous savons bien que le pouvoir officiel a peine à se distinguer de la Françafrique. En l’occurrence, il n’a pas beaucoup le choix : l’interposition militaire française en Côte d’Ivoire deviendra vite intenable si Paris exhibe sa complaisance envers Taylor.
[1] The Usual Suspects. Liberia’s Weapons and Mercenaries in Côte d’Ivoire and Sierra Leone, 03/2003, 64 p.