Dans la nuit du 16 au 17 mai, une insurrection aurait éclaté dans la capitale tchadienne N’Djaména, menée par des officiers des corps de la Garde républicaine, de la garde rapprochée du président Déby et de la Garde nomade et nationale tchadienne (GNNT).
Affirmant en un premier temps qu’il s’agissait d’une manifestation de mécontentement due à des sanctions réprimant des malversations financières au sein de l’Armée nationale tchadienne (ANT), le gouvernement tchadien a fini par concéder que la situation n’avait rien de si anodin. Le 19 mai, le président Déby a déclaré que l’objectif des insurgés était de l’assassiner, attribuant cette intention à des officiers « fanatiques et manipulés ».
Depuis lors, la majorité des observateurs s’accordent pour identifier les insurgés dans l’entourage immédiat d’Idriss Déby. Il s’agirait de militaires de
la tribu tchado-soudanaise des Zaghawa, à laquelle est apparenté le clan Bideyat du Président. Selon certaines sources, même des Bideyat feraient partie du noyau central de l’insurrection. Pour le site tchadien Alwihda , « tous les indices montrent que le président tchadien se trouve désormais abandonné par les siens. »
Toujours selon Alwihda, toutes les compagnies de l’ANT sauf la 4 ème se sont insurgées et soutiennent le départ du Président ; les militaires brièvement mis en état d’arrestation auraient tous été relâchés, les négociations entre
belligérants se déroulant à l’intérieur du clan.
Selon le journaliste Pierre Prier [1], les putschistes veulent « que le président s’implique sans ambiguïté dans la crise du Darfour. [...] Le clan du président, mené par l’un de ses frères, lui reproche depuis le début du conflit sa position d’arbitre. Les forces tchadiennes auraient d’ailleurs déjà commencé à aider les rebelles Zaghawas soudanais en leur ouvrant leurs magasins d’armes. Avec ou sans l’aval du président ? Toujours est-il qu’hier, les putschistes exigeaient l’envoi d’une force tchadienne au Darfour, pour voler au secours des villages zaghawas ravagés par les milices gouvernementales soudanaises. »
Pour sa part, l’International Crisis Group (ICG) [2] met en question « le rôle du Tchad dans les négociations au cours du dernier trimestre de 2003 entre Khartoum » et la rébellion. Ce rôle « a été erroné et contre-productif, car le Tchad a continuellement manipulé le processus afin de satisfaire la demande de Khartoum d’aborder la crise en tant
que problème de sécurité intérieure,
sans signification politique. »
Le journaliste Christophe Ayad [3] écrit :
« À la demande de Paris, le président
tchadien s’est beaucoup impliqué dans
une tentative de médiation au Darfour. »
Est-ce à dire que la France aurait donné
des conseils « erronés et contre-
productifs » ? Pour ménager un accès
au pétrole soudanais ?
Christophe Ayad
en reste à la version géopolitique
traditionnelle : « Le ministre de la
Coopération, Xavier Darcos, qui se
rendra à N’Djaména la semaine
prochaine, est chargé de l’assurer du
soutien indéfectible de Paris… et
d’essayer par la même occasion de juger
de la solidité du pion tchadien dans une
zone instable, en proie à l’islamisme et à
tous les trafics. »
Des associations de défense des droits de l’Homme, jointes à N’Djaména
le 17 mai, estimaient que le projet du président Déby de modifier la constitution afin de pouvoir briguer un
troisième mandat allait ouvrir une crise
sanglante au Tchad. Ces associations
doutaient de la réalité de l’insurrection,
soupçonnant une mise en scène
destinée à justifier la répression de toute
forme de contestation des populations.
Le 20 mai, leur collectif (le CADH) a publié un communiqué [4] explicite : « Une
fois de plus, des manœuvres
orchestrées de toutes pièces sont mises
en place pour endormir l’opinion et
occulter les graves problèmes auxquels
le pays est confronté. [...] Au moment où
le peuple tchadien attend le vote de
principe de la révision de la Constitution
pour instituer une présidence à vie
d’Idriss Déby, le pouvoir et ses
courtisans mettent en place des
scénarios pour détourner l’opinion,
intimider les populations. »
Quant à « l’indéfectible soutien » que
Paris manifeste à l’égard d’un dictateur
abhorré, ces associations seraient fort
aise qu’il y soit mis fin. Une source bien
informée affirme que des éléments de la
garde présidentielle sont omniprésents
dans la capitale tchadienne, où des
chars circulent sans arrêt. Il en serait de
même à Moundou, dans le Sud du pays.
Pendant ce temps, il y a au moins une
certitude : la purification ethnique au
Darfur poursuit son cours.
[1] Le Figaro, 19/05, Tchad : le président Déby
en difficulté.
[2] Témoignage de John Pendergast devant le comité des relations internationales de la Chambre des représentants américaine, 06/05 : Nettoyage ethnique au Darfur, un nouveau front s’ouvre dans la guerre sanglante au Soudan. Traduction de l’anglais par nos soins.
[3] Libération, 19/05, Tentative de coup d’État
maîtrisée au Tchad.
[4] AFP 20/05 : Un collectif d’associations s’interroge sur la réalité de la crise