On sait comment les généraux
algériens ont instrumentalisé depuis
1988 le terrorisme islamique afin
d’asseoir leur pouvoir au travers de
politiciens fantoches, devant le regard
indifférent de la France, voire avec sa
complicité [1]. Comme souvent lorsque
l’on joue avec le feu, le monstre a
échappé à ses créateurs, et c’est plus de
100 000 personnes qui ont trouvé la mort
entre 1992 et 2000.
La lutte antiterroriste
servit également de prétexte et de
paravent au pouvoir algérien pour
perpétuer ses exactions (disparitions et
tortures) et continuer ainsi de régner par
la terreur [2].
Cette situation concernait uniquement
le nord de l’Algérie, le sud étant jusque là épargné.
Depuis
l’offensive
américaine en Afghanistan, les choses
changent. Une large bande saharienne
englobant le sud algérien, le nord du
Mali, le nord du Niger et le nord du
Tchad a vu affluer des combattants
islamistes fuyant leur base afghane.
Cette partie du désert, très vaste, peu
fréquentée, peu contrôlée, a des
frontières perméables qui n’existent que
sur le papier. Elle offre d’innombrables
refuges pour des groupes terroristes très
mobiles. Le GSPC [3], jusque là dirigé par
Mokhtar Belmokhtar, a été repris en
main par Abderrezak El-Para [4], ancien
parachutiste des forces spéciales de
l’armée algérienne.
En février 2003, le
GSPC a capturé en Algérie, dans la
région d’Illizi, 32 touristes de nationalité
allemande, suisse, autrichienne et
hollandaise. 31 seront libérés 5 mois
plus tard au nord du Mali après un
périple de plus de 1 100 km à travers le
Sahara, un otage étant décédé durant sa
détention, vraisemblablement à cause de
la chaleur. Bien que Berlin s’en défende,
le gouvernement allemand aurait versé
une rançon de 5 millions d’euros afin que
les otages soient libérés sans dommage.
Voici donc le GSPC riche, avec le moyen
d’acheter des armes et de recruter, ce
qui n’est pas très difficile dans ces
régions pauvres au passé tourmenté.
Une personne en déplacement en
février 2004 dans l’Adrar des Ifoghas
(région de Kidal au nord du Mali)
confirme avoir vu des hommes
enturbannés (de type afghan ou
pakistanais, et non avec le chèche
traditionnellement porté dans cette
région) diffusant par haut-parleur des
extraits du Coran, au plus grand
agacement de la population locale. À
son retour à l’aéroport de Paris, elle a
été entendue par la DST qui lui a
demandé de reconnaître des personnes
sur des photos. Elle en aurait reconnues.
Cette situation ne pouvait qu’attirer les USA, lancés dans leur « lutte contre le terrorisme » à l’échelle planétaire. D’autant que l’Algérie est riche en pétrole et en gaz.
On assiste depuis 2002 à un
rapprochement spectaculaire entre les
USA et l’Algérie. Le général Mohamed
Lamari, chef d’état major de l’ANP
(l’armée algérienne) a été reçu trois fois
en deux ans à Stuttgart, au QG des
forces américaines en Europe, et le
général Charles F. Wald, commandant
adjoint des forces américaines en
Europe, a été reçu à Alger en septembre
2003.
Des instructeurs (on avance le chiffre
de 200), des unités des forces spéciales
américaines et des troupes militarisées
de la CIA seraient actuellement présents
dans le Sahara. Ils forment des unités
des armées malienne et algérienne à la
lutte antiterroriste. De plus, le Pentagone
a fourni des renseignements, des
images satellite et du matériel de vision
nocturne qui ont permis à l’ANP de
réussir plusieurs coups de filet entre
janvier et avril 2004. Des hommes du
GSPC ont été tués, d’autres capturés, et
de nombreuses armes saisies.
Afin de renforcer leur contrôle sur la
région, une base d’écoute et un aéroport
militaire américains sont en construction
au nord du Mali, dans la région de
Tessalit. Une station d’écoute de la NSA
(National Security Agency) est déjà
implantée au sud de l’Algérie, dans la
région de Tamanrasset.
D’après l’hebdomadaire français Le Point, la
société américaine Brown and Roots
Condor s’est associée à une entreprise
algérienne pour allonger la piste de
l’aéroport de Tamanrasset afin qu’elle
puisse accueillir des avions gros
porteurs...
Aux dernières nouvelles, l’émir du GSPC Abderrezak El-Para serait
prisonnier du MDJT [5] dans le Tibesti (nord du Tchad) après avoir été donné
pour mort, alors que son bras droit et
fournisseur d’armes Hacène Allane, alias
Cheikh Hacène, auraient été tué mi-avril
durant des accrochages avec l’armée
nigérienne dans la région de Tessara
(nord du Niger).
La France voit d’un très mauvais œil
l’intrusion des Américains dans ce qui
était jusque là sa chasse
gardée. D’autant que l’Algérie, qui a pris conscience de l’enjeu
stratégique que constitue la libéralisation
de son économie, navigue entre ses
relations passionnelles avec l’ancienne
puissance coloniale et le pragmatisme
des propositions américaines.
Lors d’une brève visite à Alger le 13
mai, le sous-secrétaire d’État US chargé
du Proche-Orient, William J. Burns, a
réaffirmé « l’importance » qu’attachent
les États-Unis à leurs « relations
exceptionnelles » avec l’Algérie. Selon
ce haut diplomate, l’Algérie et les États-
Unis « ont un partenariat fort » dans le
domaine de la lutte contre le terrorisme,
partenariat qui « va être renforcé à
l’avenir ».
Afin de conforter cette nouvelle
alliance, l’ANP, qui se fournissait jusque
là presque exclusivement en matériel
militaire russe, est en train de changer
son fusil d’épaule (si l’on ose dire). Les
USA s’apprêtent à lever leur embargo
(très relatif) sur les ventes d’armes de
guerre à destination de l’Algérie. Selon le
journal algérien El Watan, l’achat
porterait sur des hélicoptères AH-64
Apache, des missiles Hellfire ainsi que
du matériel électronique de vision
nocturne.
D’après le New York Times (11/05), le
programme du Pentagone pour cette
région, appelé Pan Sahel Initiative (PSI),
a démarré avec un budget de 7 millions
de $. Il concerne principalement le Mali,
la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Il peut
être étendu à l’Algérie, au Maroc, à la
Tunisie, voire au Sénégal.
Le commandement des forces américaines
en Europe a réclamé à cet effet un
budget de 125 millions de $ sur 5 ans.
Nul doute que le peuple algérien, déjà
profondément meurtri par 132 ans de
colonisation française, la confiscation de
son indépendance par les militaires puis
des années de terrorisme et d’antiterrorisme sanglants, sera le grand
perdant de cette confrontation.
Quand on a en tête la manière dont les Américains
ont l’habitude de gérer ce type d’affaires,
les populations locales, notamment
touarègues, déjà malmenées par la
rébellion des années 90, ne sortiront par
indemnes de ce jeu malsain.
[1] Lire Lounis Aggoun et Jean-Baptiste
Rivoire, Françalgérie, La Découverte, 2004.
[2] Cf. le site d’Algeria Watch et Habib Souaïdia, La sale guerre,La Découverte, 2001.
[3] Groupe Salafiste pour la Prédication et le
Combat, créé en 1998.
[4] De son vrai nom Amari Saïfi.
[5] Mouvement pour la Démocratie et la
Justice au Tchad, rébellion armée du Nord
tchadien hostile au président en place Idriss
Déby.