L’été françafricain a été illustré, entre autres, par les multiples visites de dictateurs à l’Élysée et la croisière que Jacques Chirac leur a organisée sur le porte-avions Charles-de-Gaulle. Nous y revenons dans ces Billets, ainsi que sur un certain nombre de crises ou enjeux africains où la France se trouve mêlée.
Mais notre coup de gueule de la rentrée viendra d’une nausée, à propos du « traitement » idéologico-médiatique des populations massacrées au Darfour.
Cela a commencé par un débat souvent indécent autour de l’utilisation du mot « génocide ». Il y a plusieurs formes de génocide, et certaines différences entre les définitions juridique et historique. Juridiquement, massacrer et violer une partie de la population, pousser les survivants à l’exode en les privant de tous moyens de subsistance est sans conteste un génocide. Historiquement, cela se rapproche du mode opératoire du génocide arménien, incontesté (sauf par la Turquie).
Il est objecté que le génocide peut ne pas être totalement accompli au Darfour si la « communauté internationale » vient alimenter et soigner ceux qui sont voués à la mort dans le désert. Cette spéculation sur la diligence de ladite « communauté » est scandaleuse et hasardeuse. Surtout lorsque, dans un premier temps, le commanditaire du programme mortifère fait tout pour entraver l’arrivée des secours, et ne cède aux indignations extérieures que lorsque la saison des pluies va saboter ces secours.
Quand de surcroît on charge les assassins et violeurs de « protéger » les réfugiés, en les déguisant en policiers, avouons que la frontière entre crimes contre l’humanité et crimes de génocide est largement franchie.
Mais voilà, employer le mot « génocide » obligerait tout le monde à intervenir, ce que presque aucun État ne veut.
Alors, on ergote. La nausée survient avec l’overdose du mot « humanitaire ». Il a déjà couvert beaucoup de marchandises infâmes, dès son apparition au « Biafra ». Il a servi à camoufler les complicités françaises dans le génocide de 1994 au Rwanda. L’on pouvait croire qu’après cet habillage ignoble, dénoncé tôt ou tard par les « humanitaires » – dont Médecins sans frontières (MSF) –, on n’oserait plus…
Or MSF s’est placée en pointe de la polémique contre l’utilisation du mot « génocide », polémique dont l’utilité principale, rappelons-le, est d’empêcher une intervention internationale qui pourrait fâcher le gouvernement soudanais, responsable d’une marée de crimes contre l’humanité et, pour le moins, d’une intention génocidaire. Il n’y aurait pas « génocide », dit MSF, parce que ce gouvernement nous octroie (tardivement) des visas. « On a tendance de nos jours à galvauder ce terme et on assiste à une distorsion propagandiste qui ne peut que nuire aux secours »… « Les gens sont forcés à fuir, mais pas systématiquement assassinés » [1] : ils n’ont simplement plus rien pour survivre. Et MSF de lancer une énorme campagne médiatique d’appel de fonds, à la mesure du crime commis. Sans bien sûr dénoncer le coupable.
Nous ne sous-estimons pas le cas de conscience : il faut bien aller nourrir et soigner ceux qui ont faim et sont exposés aux épidémies, ce qui peut supposer parfois de faire profil bas. Mais il y a des limites aux accommodements, ce dont MSF a su jadis tenir compte (en Éthiopie ou à Goma). Et si on ne peut dénoncer, du moins peut on se taire, sans tenir un discours qui conforte l’État criminel : « La volonté anglaise et australienne [d’intervenir] a déjà provoqué une réaction très violente de Khartoum. Cela ne peut que nous inquiéter. […] La responsabilité de la protection des populations revient en premier lieu au gouvernement de Khartoum » [2] , celui qui depuis un an assassine une partie des habitants du Darfour ou leur ôte toute possibilité de survie…
On ne peut enfin que constater à quel point cet ensevelissement des crimes contre l’humanité sous la pensée humanitaire sert les desseins du gouvernement français [3].
Lequel ne voit pas de raison d’abandonner la ligne mitterrandienne : « Dans ces pays-là, un génocide c’est pas trop important ».
[1] Thierry Allafort-Duverger, responsable du programme d’urgence de MSF. Interview au Figaro du 27/07.
[2] Idem
[3] Cf. notre communiqué ci-après et l’article de Pierre Prier (Le Figaro) dans À fleur de presse