Survie

Rwanda : SALVES : Bagosora implique la France ?

(mis en ligne le 1er novembre 2004)

Selon l’AFP (22/10/2004), " le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a demandé [le 22 octobre] au gouvernement français
de faciliter une rencontre entre un ancien ambassadeur de France au Rwanda pendant le génocide et les avocats du colonel
Théoneste Bagosora, a-t-on appris vendredi auprès du TPIR. "La chambre demande respectueusement à la République de France de
faciliter la rencontre", indique une décision de la chambre qui juge M. Bagosora, présenté par l’accusation comme le "cerveau du
génocide". La décision [...] fait référence à l’ancien ambassadeur Jean-Michel Marlaud. La chambre "donne instruction au greffe de
transmettre la présente décision à la République de France et à faire rapport de l’exécution", poursuit le texte. Dans la même
ordonnance, le TPIR demande à Paris de permettre aux avocats de Bagosora de rencontrer également le colonel Emmanuel Maurin,
ancien coopérant militaire au Rwanda [sans doute celui qui, à l’époque, était connu comme le lieutenant-colonel Jean-Jacques Maurin]. "Marlaud
et le colonel Maurin étaient présents au Rwanda en avril 1994 et pourraient avoir des informations pertinentes pour la procédure",
précise le texte. " [1]

Depuis l’institution du TPIR, la France a œuvré pour et réussi à éviter qu’un quelconque militaire ou responsable français témoigne
devant ce tribunal. Les "circonstances" qui ont mené à un aussi "regrettable" état de fait mériteraient davantage de curiosité de la part
des députés et des journalistes. Dans les circonstances présentes, il serait plus que regrettable que la France ne facilite pas le
voyage à Arusha des personnalités que souhaite rencontrer la défense de Théoneste Bagosora. Que cette défense aille chercher de
quoi s’alimenter dans un pays aussi présent et impliqué dans les événements de 1994 n’est pas étonnant. Qu’elle puisse le faire sans
que l’accusation ait tout loisir d’examiner de près de quoi il s’agit serait inqualifiable. Et cette accusation devrait pouvoir au besoin
obtenir un témoignage public.

On ne manquera pas de constater que cette information survient à un moment où le colonel Bagosora peut craindre d’être lâché en
cas de rapprochement diplomatique entre la France et le Rwanda. Une ébauche a eu lieu cet été en Afrique du Sud. Kigali a fait
monter les enchères en annonçant la constitution d’une Commission d’enquête indépendante sur l’implication de la France dans le
génocide, commission qui n’a toujours pas été mise en place. La France en a pris note. Le chef de la diplomatie française, Michel
Barnier, a annoncé par avance qu’il était " prêt à accepter une part équitable du blâme ", laissant entrevoir une possible conciliation
dans la mesure du "raisonnable".

La demande adressée par les défenseurs de Bagosora ressemble à un chantage. Marlaud et Maurin étaient aux premières loges
lors du déclenchement du génocide. Le colonel Bagosora, diplômé de l’École de Guerre de Paris, considéré jusqu’ici comme le tout
premier responsable du génocide, tient-il à faire savoir qu’il n’était pas seul, et qu’il ne veut pas payer seul ? Or Paris n’a pas de
remède miracle pour le tirer des mains de la justice (si ce n’est lui proposer de purger sa peine en France et d’y paraître assez
malade pour jouer les Papon ou Tarallo - mais nous serons vigilants). De ce côté-là aussi, les enchères vont peut-être monter. Au
bénéfice de la vérité ?

Pour rappel : la formation du gouvernement intérimaire du Rwanda (GIR) qui allait superviser le génocide s’est effectuée le 7 avril
1994 dans l’enceinte de l’ambassade de France. Selon la journaliste Colette Braeckman
 [2]
, l’ambassadeur Jean-Michel Marlaud se serait vanté d’avoir joué un rôle important dans cette mise en place.
Le lieutenant-colonel Jean-Jacques Maurin était le bras droit du lieutenant-colonel Chollet qui dirigeait de facto l’armée rwandaise ;
il le remplaça à partir d’avril 1992 ; il était encore là le 7 avril 1994 [3],
quand cette armée devint génocidaire.

Olivier Guilbaud, Sharon Courtoux et François-Xavier Verschave

[1La porte-parole adjointe du Quai d’Orsay a déclaré (AFP, 22/10/2004) que " l’ensemble de cette question fait l’objet d’un examen de notre part.
Cette demande a été avancée par la défense [du colonel Bagosora]. Nous n’avons pas été saisi par le TPIR ". Selon la dépêche de l’AFP, le TPIR
venait d’en faire la requête dans une ordonnance.

[2Histoire d’un génocide, Fayard, 1994, p. 179. Un passage confirmé par la journaliste lors de la Commission d’enquête citoyenne de mars 2004.

[3Jean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise, Dagorno, p. 42 et 494.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 130 - Novembre 2004
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