Survie

Soudan : L’angle mort

(mis en ligne le 1er décembre 2004)

Un mémorandum d’accord entre le Gouvernement du Soudan et le Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS, principal mouvement rebelle du Sud Soudan) a été signé le 18 novembre à Nairobi par lequel les parties s’engagent à conclure un accord définitif de paix d’ici le 31 décembre 2004.

Le Conseil de Sécurité, réuni à Nairobi les 18 et 19 novembre, a adopté à l’unanimité la résolution 1574 [1] par laquelle il se félicite de la signature du mémorandum et déclare son appui à l’engagement des parties à en appliquer les dispositions avant la fin de l’année.

« Se déclarant profondément préoccupé par l’insécurité et la violence croissante au Darfour, la situation humanitaire catastrophique, les violences persistantes des droits de l’Homme et les violations répétées du cessez-le-feu, et réaffirmant à cet égard que toutes les parties sont tenues d’honorer les engagements mentionnés dans les précédentes résolutions sur le Soudan », le Conseil s’engage, « dès la conclusion d’un accord de paix global, à aider le peuple soudanais en ce qu’il entreprend de bâtir une nation pacifique, unie et prospère, à la condition que les parties honorent tous leurs engagements. »

Le Conseil « prie instamment la Mission d’évaluation conjointe de l’ONU, la Banque Mondiale et les parties [...] de poursuivre leurs efforts visant à préparer l’apport rapide d’une aide à la reconstruction et au développement économique du Soudan, y compris une aide publique au développement, éventuellement un allégement de la dette et l’accès au marchés, une fois qu’un accord de paix global aura été signé et aura commencé à être appliqué ».

Le Conseil « souligne qu’un accord de paix global contribuera à instaurer dans tout le Soudan une paix durable et la stabilité et à résoudre la crise au Darfour, et souligne la nécessité d’adopter une approche nationale qui associerait tous les intéressés, y compris les femmes, à la réconciliation et à la consolidation de la paix ». Il souligne ensuite « qu’il importe que les pourparlers de paix d’Abuja entre le Gouvernement soudanais et [les mouvements rebelles du Darfour] aillent de l’avant », puis « exige des forces gouvernementales et des forces rebelles et de tous les autres groupes armésbqu’ils mettent immédiatement un terme à toutes les violences et attaques, [...] veillent à ce que leurs membres respectent le droit international humanitaire, pourvoient à la sécurité du personnel humanitaire [...]. Comme il l’a déjà fait [... le Conseil] décide de surveiller l’observation par les parties de leurs obligations à cet égard et, sous réserve d’une nouvelle décision du Conseil, de prendre les mesures qui s’imposent contre toute partie qui faillirait à ses engagements. »

Si l’on comprend bien :
 La « paix globale » concerne le gouvernement soudanais et la rébellion du Sud. Celle-ci pourrait contribuer à résoudre la « crise » du Darfour.
 Le Conseil se réserve (sauf décision ultérieure) le droit de « prendre des mesures » à l’égard de qui empêcherait l’aide humanitaire de s’opérer.
 Il n’estime pas opportun d’exercer des sanctions à l’égard de ceux qui rendent l’aide humanitaire nécessaire.
L’ambassadeur des États-Unis à l’ONU, John Danforth, a déclaré : « Je crois que c’est une résolution assez équilibrée. Elle reconnaît clairement la tragédie du Darfour [ouf !] et le fait que nous avons déjà adopté deux résolutions [et alors ?] ». Comme l’écrit Corine Lesnes (Le Monde, 20/11/2004) : « Le Conseil n’a jamais réussi à se mettre d’accord sur l’adoption de sanctions contre le régime soudanais. Sa tactique a été de passer par le gouvernement, en estimant que rien ne pourrait être fait contre Khartoum. » L’ambassadeur de France à l’ONU, Jean-Marc de la Sablière, a expliqué que le Conseil « voulait être uni à Nairobi », que pour parvenir à l’unanimité il a « choisi un langage de consensus » (Le Monde avec AFP, 18/11/2004). Il en résulte un accord unanime pour éviter (encore et toujours) de prendre les sanctions qui s’imposent.

L’organisation américaine Human Rights Watch (HRW) insiste (19/11/2004) : l’impunité accordée aux autorités de Khartoum pour leurs incessantes atrocités au Darfour renforce l’exigence de ne pas leur accorder pareille impunité pour les atrocités commises au Sud-Soudan. Selon HRW, il est encore temps pour le Conseil de Sécurité d’exiger que, dans l’accord de paix final entre le Gouvernement et l’APLS, Khartoum assume ses responsabilités en la matière, faute de quoi il s’estimera libre de poursuivre ses meurtres dans l’ouest du pays. L’organisation britannique Oxfam a enfourché le même cheval. Nous les rejoignons.

Quand ça tire, c’est dans l’angle mort que se tient la pire menace, celle que l’on ne voit pas venir. Celle qui tient l’angle mort en cette affaire porte cravate, elle s’appelle lâcheté, hypocrisie, et j’en passe.

Sharon Courtoux

[1Communiqué de presse CS/8249 du 18/11/2004.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 131 - Décembre 2004
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