Le 3 octobre, Denis Sassou Nguesso a inauguré à Brazzaville, en présence d’Omar Bongo et de François Bozizé, un mémorial en hommage à Savorgnan de Brazza, dont la première pierre avait été posée en présence de Jacques Chirac, et dans lequel les dépouilles du premier colon du Congo ont été ré-inhumées (elles étaient précédemment à Alger). Dans l’imagerie d’Epinal, Savorgnan de Brazza apparaît comme un explorateur désintéressé et pacifique, parce qu’il a mis en œuvre une politique coloniale moins sanguinaire que certains de ses contemporains, dont il a même dénoncé les abus. Raison pour laquelle le secrétaire de la fondation Pierre Savorgnan de Brazza, Jean-Marie Kamba, a pu justifier le mémorial en ces termes : " C’est une action utile pour l’Afrique parce que Brazza est un humaniste. " Au cours d’un colloque, pourtant organisé par cette même fondation, des universitaires gabonais et congolais ont émis des doutes dans leur rapport final sur " la pertinence du vocable "humaniste" en ce qui concerne l’entreprise coloniale de l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza, le seul acte de coloniser ne pouvant en soi valoir au colonisateur une telle qualification. " L’AFP relate des propos tenus lors des débats : " En voulant s’approprier le Congo, Pierre Savorgnan de Brazza lance la conquête impérialiste " [Scholastique Dianzinga, de l’université Marien Ngouabi de Brazzaville, citée par AFP, 3/10]. " De Brazza n’était rien d’autre qu’un agent de l’impérialisme colonial, mais il n’était pas aussi brutal que les autres [...] C’est ce qui explique que des colonisés puissent faire l’apologie du colonisateur ", [Anges Ratanga Atoz, historien gabonais, idem]. . Des nuances sans doutes trop subtiles pour Philippe Douste Blazy [1], qui représentait la France, et qui a préféré voir lui aussi en Savorgnan " tout à la fois un explorateur, un visionnaire et un humaniste. " Rien de très étonnant pour celui qui fut l’un des initiateurs de la loi du 23 février 2005. Mais l’hommage au colonialisme est plus inhabituel chez les dirigeants africains[[Mais pas tout à fait inédit : on se souvient de Joseph Kabila déclarant devant le Sénat belge en février 2004 : " L’histoire de la République démocratique du Congo, c’est aussi celle des Belges, missionnaires, fonctionnaires et entrepreneurs qui crurent au rêve du Roi Léopold II de bâtir, au centre de l’Afrique, un Etat. Nous voulons rendre hommage à la mémoire de tous ces pionniers. "], même chez des pantins du néocolonialisme, qui savent se répandre en diatribes anticolonialistes censées replâtrer une légitimité politique à peu de frais. Mais on ne voit pas très bien quel gain politique intérieur peut espérer Sassou à dépenser près de 10 milliards de francs CFA (plus de 15 millions d’euros) pour un somptueux monument climatisé qui a nécessité 500 tonnes de marbre blanc de Carrare, avec statue géante à l’effigie d’un colon, quand la population du Congo dans son immense majorité est démunie de tout. Mais il y a longtemps que Sassou passe outre la population (et l’élimine au besoin), cherchant uniquement à l’Élysée et dans d’autres lieux de pouvoir, la source de sa légitimité. D’où les projets visant d’abord l’opinion publique internationale : mémorial et autre course à la voile [cf. Billets n° 138, AFDP]...
Victor Sègre
[1] En compagnie, entre autres, de Bernard Kouchner et Hélène Carrère d’Encausse, selon la Lettre du Continent du 12 octobre.