Fin septembre, Jacques Chirac a annoncé la revalorisation des pensions et des primes d’invalidité des anciens combattants étrangers ayant combattu dans l’armée française, afin de les aligner sur celles des anciens combattants français. Gelé depuis 1959, le montant des pensions et les primes des combattants issues des anciennes colonies varient aujourd’hui de moins du dixième au tiers de celles des anciens combattants français. Condamnée par le comité des droits de l’Homme de l’ONU en 1989, puis en 2001 par un arrêt du conseil d’État, cette politique discriminatoire a pourtant été maintenue par les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, pour des raisons budgétaires. En 2002, le gouvernement Raffarin, avait simplement procédé à une légère augmentation, mais toujours selon le principe " d’équité " qui veut que le montant soit rapporté au niveau de vie du pays considéré, officiellement pour ne pas déséquilibrer les économies africaines ! Une telle précaution ne s’applique pas aux fonctionnaires français en coopération : ils sont sans doute supposés ne pas dépenser leur sur-salaire sur place pour ne pas nuire à l’économie locale. D’après la plupart des médias (version conte de fée), la décision de Chirac, censée mettre fin à 45 ans de discrimination raciste, serait due à la sortie du film " Indigènes " (suite à la forte émotion du couple Chirac). Bref, le mythe du bon roi mal conseillé jusqu’à présent, et ignorant les souffrances de ses (anciens) sujets. Et la quasi totalité de la classe politique d’ouvrir les yeux et de s’indigner du retard pris... Version realpolitik : le succès prévisible du film offrait une occasion de se mettre en conformité avec le droit, avec un plan-média qui passe bien malgré son grotesque.. On nous permettra de douter de la spontanéité présidentielle : d’une part parce que des promesses en ce sens avaient déjà été formulées plus ou moins clairement par Chirac le 14 juillet dernier (certes, les promesses de Chirac...) après que le GISTI ait annoncé son intention de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme, mais aussi du fait des informations fournies par l’Express dans un dossier sur le difficile parcours financier du film, qui nous apprend que " Claude Chirac [conseillère de papa] pousse France Télévisions, déjà très généreuse, à investir un peu plus d’argent. D’un pari improbable, Indigènes devient ainsi une grande cause nationale. " (21/09) Et par là même une bonne opération politique [1] avant les élections présidentielle, finalement à moindre frais, car le problème est loin d’être réglé. Dans un communiqué commun daté du 28 septembre et intitulé " Revalorisation a minima des prestations versées aux anciens combattants étrangers : encore un faux semblant ", les associations ATMF, Catred, Gisti et LDH font l’analyse suivante : " La mesure, qui sera introduite par voie d’amendement à la loi de finances pour 2007, représente un coût de 110 millions d’euros par an. Ces annonces visent à allumer un contre-feu face au retentissement médiatique que le film a donné à une question qu’on avait tenté d’enterrer et n’assureront en rien l’égalité des droits. La revalorisation prévue n’est en effet que partielle et a minima. Partielle : parce que la mesure ne concerne qu’une infime partie des prestations versées aux anciens fonctionnaires civils et militaires : la retraite du combattant et les pensions militaires d’invalidité. Sont laissées de côté toutes les autres prestations, en particulier les pensions civiles et militaires de retraite et les pensions de réversion. A minima : parce que les deux prestations revalorisées portent sur des montants dérisoires : 450 euros par an pour la retraite du combattant à taux plein et moins de 700 euros pour une pension d’invalidité à taux plein. À la suite de l’arrêt Diop par lequel le Conseil d’État avait censuré la loi de cristallisation en 2001, le gouvernement Jospin avait évalué le coût de la revalorisation totale des pensions à 1,8 milliards d’euros par an, 10 milliards d’euros avec le paiement des arriérés sur les 4 dernières années. On est bien loin du compte aujourd’hui avec les 110 millions annoncés. Pas question non plus de rattrapage. La revalorisation s’appliquera seulement pour ceux qui sont encore en vie au 1er janvier 2007. Le contentieux des pensions des anciens combattants étrangers est donc loin d’être soldé. L’injustice de la cristallisation des pensions continuera à faire de nombreuses victimes. L’attitude minimaliste du gouvernement traduit une fois de plus la désinvolture de la France à l’égard des vieux immigrés qui ont combattu ou travaillé pour elle, et n’en récoltent qu’indifférence ou mépris. " Alors, notre bon roi, encore un effort...
Victor Sègre
[1] Et accessoirement une bonne opération marketing : " On ne pouvait pas espérer une plus belle promo pour le film ! " s’est exclamé Debbouze sur Canal plus lundi 25 sept. On notera également au sujet du film qu’il n’a pas suscité, de l’autre côté de la Méditerranée, la même émotion qu’en France. Plusieurs journaux algériens ont notamment regretté que les engagés volontaires joués par Debbouze et ses compagnons ne soit pas représentatifs de la réalité historique où l’enrôlement forcé lié à la domination coloniale était la norme.