Somalie 1991 - le chaos s’installe immédiatement après la chute du dictateur Siad Barreh
Depuis la chute du régime dictatorial de Siad Barreh en 1991, la Somalie n’a cessé de sombrer dans le chaos, victime des affrontements incessants entre des chefs de guerre avides d’argent et de pouvoir, mais incapables d’affirmer leur autorité sur le pays... Refusant cette spirale, deux provinces ont déclaré leur auto-indépendance : le Somaliland en 1991 et le Puntland en 1998. Leur statut n’a toujours pas été reconnu officiellement par la communauté internationale, en dépit des efforts de communication de leurs dirigeants et partisans.
L’opération Restore Hope : l’ingérence humanitaire se transforme en affrontements sanglants. Constatant une situation humanitaire tragique, largement relayée par les média, l’ONU mandate la communauté internationale pour une intervention humanitaire. C’est une véritable armada qui a débarqué le 9 décembre 1992, sous la bannière US, à grands renforts d’argent, privilégiant une médiatisation tous azimuts. (Au total, plus de 40 000 membres dont 30 000 américains poseront le pied à Mogadiscio). Même l’heure (de nuit) du débarquement " Restore Hope " avait été choisie en fonction des heures de grande écoute des journaux télévisés aux USA ! On se souvient aussi de la photo de Bernard Kouchner débarquant sur une plage près de Mogadiscio, un sac de riz sur les épaules. On parlait à l’époque d’un nouveau droit : " celui de l’ingérence humanitaire ". Très vite, les Américains ont découvert et compris que l’aide alimentaire ne pourrait être acheminée vers les populations en détresse que si elle était protégée militairement. Acheter la coopération des Chefs de Guerre, dont les retournements d’alliance étaient plus rapides que les alliés ne pouvaient l’imaginer, s’est vite révélé insuffisant, inefficace et d’une fiabilité non prouvée... Les USA ont dû se rendre à l’évidence. Pour ne pas perdre la face, ils ont été contraints d’employer directement des moyens militaires pour ouvrir la voie aux convois humanitaires et pour les protéger. Plusieurs combats ont fait des victimes parmi les " forces de la paix ". 24 Pakistanais ont péri le 5 juin 1993, 4 journalistes le 12 juillet et, en octobre, des milliers de morts Somaliens. Le dernier épisode a été la bataille de Mogadiscio lancée par les Américains (passant outre le mandat de l’ONU) pour capturer Mohamed Aidid. Les forces US ont perdu cette bataille le 3 octobre 1993, abandonnant sur place du matériel militaire de haute technologie, y compris des hélicoptères abattus par les milices somaliennes. Constatant leur incapacité à maintenir l’ordre et à assurer une mission qui était déjà très éloignée des objectifs humanitaires, les USA et leurs alliés se retirent sans bruit, en 1994... Depuis ces événements, plusieurs états voisins et l’OUA ont tenté de réunir des conférences pour trouver une solution et pour soutenir l’ébauche d’une autorité centrale.
La conférence d’Arta : début de vives tensions Djibouti-Éthiopie Le premier, en juillet 2001, le dictateur de Djibouti, Ismaël Omar Guelleh, avait réuni à Arta (près de Djibouti) des représentants des différentes communautés, " leur distribuant les aides internationales " pour les contraindre à s’accorder au final sur le nom d’Ali Mahdi, en qualité président du Gouvernement de transition. Contestée de toutes parts, son autorité n’a jamais été véritablement établie par la suite. Cette Conférence d’Arta avait déclenché une vive réaction de l’Éthiopie, et les relations entre les deux régimes dictatoriaux se sont gravement dégradées, ne tenant plus qu’à un fil : la ligne de chemin de fer Djibouti-Addis Abeba, qui est vitale pour l’Éthiopie, qui n’a plus aucun accès à la mer depuis l’indépendance de l’Érythrée. Ensuite, le Kenya a abrité plusieurs conférences, qui ont abouti à la nomination d’un nouveau gouvernement de transition dirigé par Abdullahi Yusuf Ahmed, installé à Baïdoa, mais qui n’a jamais réussi à imposer son autorité sur le pays. Son Premier Ministre Ali Mohamed Ghedi, très contesté, a dû faire face à l’assassinat de l’un de ses ministres, puis à la démission de la quasi-totalité de son gouvernement en août 2006...
Les Américains débarquent et s’installent en " dur " En 2002, les Américains débarquent à Djibouti et s’installent dans un ancien camp français, proche de l’aéroport : le camp Lemonnier. Très vite, ils vont construire " en dur " et recevoir des renforts importants. Après un an, ils seront plus nombreux que les forces françaises. Djibouti étant la base française la plus importante en dehors du territoire national. L’arrivée des Américains provoque une surenchère dont le dictateur djiboutien profite avec délectation : les Français cèdent rapidement au chantage et Mme Alliot-Marie annonce que la France accepte de multiplier par cinq le loyer qu’elle payait auparavant pour son implantation militaire... La population djiboutienne n’en bénéficiera pratiquement pas, tous ces montants étant détournés au profit du Président et de son entourage proche, dont il achète la fidélité. Officiellement, l’implantation américaine n’a aucun lien avec la guerre en Irak. Elle serait motivée uniquement par la lutte contre le terrorisme international. Qui peut savoir les véritables objectifs ? On a remarqué aussi des détachements allemands et espagnols à cette époque à Djibouti.
Somalie - L’agissement maladroit des USA provoque l’arrivée des islamistes et de leurs tribunaux.
En avril-mai 2006, nous avons appris que les Américains avaient choisi de financer les chefs de guerre pour qu’ils traquent les membres d’Al-Qaïda installés en Somalie. Les Américains détenaient-ils des informations permettant de penser que Ben Laden serait réfugié et à l’abri en Somalie ? Cela n’est pas à exclure [1]. En tout cas, bien que se refusant d’admettre qu’ils armaient les milices, les USA ont reconnu publiquement qu’ils donnaient de l’argent à leurs chefs. Certainement pour acheter des glaces... Pourquoi financer des milices incontrôlables qu’ils avaient combattu en 1992 / 1993 ? La réponse nous paraît simple. Effectivement, ces milices avaient prouvé leur valeur guerrière en battant les Américains, pourtant équipés de matériel supérieur. Les Américains ne souhaitaient plus prendre le risque de les affronter de nouveau et avaient trouvé plus intelligent de s’assurer leur coopération en les achetant...
Djibouti - Le double jeu de Guelleh
Il facilite l’approvisionnement des milices du Gouvernement de transition. Grâce à ces financements US, les chefs de milice ont rénové leur armement. Beaucoup d’observateurs pensent qu’Ismaël Omar Guelleh, le dictateur djiboutien, a pu contribuer directement et indirectement au transfert d’arme, pourtant interdit par les résolutions de l’ONU. Les Français n’ont rien vu passer. En tout cas, ils n’ont rien dit... Les milices sont parties au combat contre les organisations islamistes. Battues à de nombreuses reprises, elles ont d’abord perdu la bataille de Mogadiscio, puis elles ont abandonné progressivement les grandes villes se retrouvant à Baïdoa autour du Président de transition... La majorité a préféré rejoindre les rangs des vainqueurs, lui apportant armes, munitions et soutien. Bien qu’affirmant le contraire, les tribunaux islamistes qui dirigent de fait toutes les actions civiles et militaires, ont instauré la Charia et ont suspendu toutes les libertés. Les instructions sont claires : Quiconque est surpris à ne pas prier à l’appel du Muezzin doit être exécuté sur le champ... Interdiction de rassemblement, des media étrangers, etc. Si cette situation ne fait pas l’affaire des Américains, qui ont atteint l’inverse de leurs objectifs, elle ne rassure pas non plus les Éthiopiens qui ont une crainte affreuse de l’influence islamiste sur leur territoire. Pour gagner les batailles, les tribunaux islamistes ont eu besoin d’armes ! Qui les a fournies ? D’après un article publié par Les Nouvelles d’Addis, qui affirme détenir les informations de sources sérieuses, l’Érythrée aurait été l’un des fournisseurs des tribunaux islamiques, et les armes auraient transité par Djibouti. Curieux ! Quel qu’ait été le réseau de fourniture d’armes, ni les Américains, ni les Français, disposant à eux deux de plus de 8 000 hommes et des moyens les plus sophistiqués d’écoute, de surveillance et de renseignements n’ont vu quoi que ce soit ! Pourtant ces armes allaient être livrées à ceux que les américains combattaient par milices interposées...
Un jeu diplomatique dangereux qui peut conduire dans un avenir très proche à un embrasement de la Corne...
Après le refroidissement de ses relations avec Addis Abeba, Guelleh s’est retourné vers son ennemi de toujours, l’Érythrée, avec lequel l’Éthiopie est toujours en situation de conflit latent. Auparavant, les relations djibouto-érythréennes étaient détestables. Djibouti accusait l’Érythrée, où vit une importante population d’origine Afar, d’avoir soutenu le FRUD dans les années 1991-93. Avoir un ennemi commun a rapproché les deux dictatures, et plusieurs voyages présidentiels et diplomatiques croisés ont permis la normalisation rapide des relations bilatérales... Si l’Érythrée soutient les tribunaux islamiques, c’est qu’elle y trouve un intérêt majeur. Plus les tribunaux islamiques somaliens seront puissants, plus l’Éthiopie sera obligée de concentrer des troupes à cette frontière, non seulement pour empêcher toute infiltration, mais aussi pour être prête à intervenir dans l’avenir vu le risque majeur d’embrasement régional (il y a probablement eu pénétration en territoire somalien, mais à petite échelle). En faisant ainsi, elle dégarnit obligatoirement le front avec l’Érythrée, qui pourra attaquer de nouveau son ennemi de toujours : l’Éthiopie ! On signale d’ailleurs des escarmouches de plus en plus fréquentes à la frontière imposée par la communauté internationale... Une belle pagaille en perspective, mais surtout des risques sérieux d’embrasement sous l’œil silencieux des français et des américains. Guelleh vend des armes à tous les acheteurs qui ont la capacité de payer : il n’a pas d’état d’âme dans ce domaine... En principe, il est dans le camp occidental, et surtout américain, mais dans une interview, il n’a pas hésité à donner raison aux Tribunaux islamiques. Les milices payent les armes en dollar avec l’argent américain. Les tribunaux islamiques payent aussi, mais on ignore leurs sources de revenus. Al-Qaïda ? Pourquoi pas ? Les pays islamiques de la région ? Certainement pour partie, mais discrètement pour ne pas déplaire aux Américains... Américains et Français sont muets sur le sujet. Et on tue tous les jours en Somalie ! On tue des Somaliens, des civils, des femmes et aussi des journalistes européens... [2] Aujourd’hui, plusieurs observateurs craignent l’entrée de l’Éthiopie dans le conflit interne en Somalie (certainement avec le soutien américain). Le 27 octobre, Libération consacre un article à cette situation sous le titre : Matt Bryden, analyste à l’International Crisis Group, évoque les signes d’une confrontation imminente "L’Éthiopie ne veut pas d’une base arrière islamiste en Somalie", sous la plume de Léa-Lisa Westerhoff. Comme tant d’autres, la situation en Somalie ne fait pas les gros titres de la presse française et européenne. Ce conflit est pourtant décrit comme l’un des plus meurtriers d’Afrique - Plus de 300 000 Somaliens auraient perdu la vie. La situation humanitaire est catastrophique. La loi du plus fort y est la seule loi. Il semble, d’après une dépêche récente de l’AFP que l’UE a enfin pris conscience de la gravité de la situation et qu’elle se mobiliserait pour réduire l’instabilité de la région. Vœu pieux ou volonté réelle ? On peut se le demander, car vu le manque de réaction des puissances installées solidement à Djibouti, on se pose de sérieuses questions. Quant au Puntland et au Somaliland, ils essayent de conserver leur indépendance en se tenant à l’écart et de maintenir une relative sécurité à l’intérieur de leurs frontières, même si leurs régimes ne présentent pas toutes les qualités démocratiques requises... Quant au Président de Djibouti, son régime survit grâce au soutien inconditionnel et abusif que lui accordent la France et aussi les USA (même s’ils sont plus critiques [3]) et il fait face à ces contradictions diplomatiques. Les derniers développements de l’affaire Borrel et sa possible mise en cause en tant que commanditaire de l’assassinat, commencent à lui poser des problèmes et on parle d’un grand climat d’inquiétude au Palais présidentiel.
Jean-Loup Schaal, ARDHD
[1] On se souviendra peut-être qu’au moment de l’intervention américaine, plusieurs dépêches avaient signalé le décollage d’Afghanistan de deux avions légers qui se seraient posés en Somalie. On pourrait imaginer que Ben Laden était à bord de l’un d’entre eux... Ndlr : Par ailleurs, on lira avec profit l’article de Gérard Prunier dans le Monde diplomatique de septembre 2006, Liaisons dangereuses de Washington en Somalie.
[2] Martin Adler, journaliste suédois a été assassiné dans la rue en Somalie, en Juin 2006
[3] Les rapports US concernant la situation des droits de l’Homme à Djibouti sont très critiques.