Brice Mackosso est avec son camarade Christian Mounzeo une des figures de proue du combat contre la corruption et le détournement des ressources pétrolières au Congo-B. Les deux sont militants des droits de l’Homme et membres de la plate-forme Publiez ce que vous payez Congo. Lors d’une rencontre en octobre dernier (voir Billets n° 151), ils nous avaient fait part de leurs démêlés judiciaires avec un pouvoir congolais fébrile qui craint particulièrement le plaidoyer anti-corruption mené par les deux hommes auprès des instances internationales.
Billets d’Afrique : la dernière fois que nous vous avions invités en France, les autorités congolaises vous avaient interdit de sortir du territoire. Votre présence à nos cotés aujourd’hui signifie-t-elle que les astreintes sont levées ?
Brice Mackosso : Les choses ont un peu évolué, notamment du fait des pressions internationales. Notre rencontre avec Paul Wolfowitz à Oslo en octobre dernier, dans le cadre des négociations internationales sur l’ITIE [1] avait beaucoup effrayé le régime de Sassou qui a voulu nous couper tout contact avec l’extérieur, y compris avec les missions diplomatiques. On nous a obligés à rester à Pointe-Noire pendant plusieurs mois avec interdiction de nous rendre dans les villages pétroliers environnant et surtout à l’aéroport où ordre était donné de nous empêcher d’entrer, y compris par la force. Certains policiers avaient même nos photos sur leur téléphone portable pour pouvoir nous reconnaître.
Mais notre isolement n’a pas été total. L’ambassadeur américain et des représentants de la Banque Mondiale sont venus nous rencontrer plusieurs fois. Total a envoyé un observateur pendant notre procès. Du reste nous avons obtenu un visa d’un an pour la France. Le nouvel ambassadeur de France semble beaucoup plus à l’écoute que son prédécesseur, même si la vieille garde de ce dernier est toujours en poste.
Il y a une eu sorte de revirement, à la suite notamment d’une rencontre sur la transparence des revenus pétroliers qui s’est tenue à Brazzaville le 25 mars, réunissant des membres de la société civile, du gouvernement congolais et les ambassadeurs de France, des Etats-Unis, de l’UE, de l’Italie et de la Belgique ainsi que les chefs de mission de la Banque Mondiale et du FMI. Le gouvernement a voulu nous faire prendre l’engagement de ne pas travailler au renversement du gouvernement. Ils voyaient en nous les organisateurs potentiels d’une insurrection, ce qui n’est pas dans notre mandat.
On comprend d’autant mieux cette inquiétude que le pays s’apprête à voter. Comment se préparent les législatives ?
Le premier tour des législatives a eu lieu le 24 juin et le second est prévu pour le 22 juillet mais les conditions de transparence ne sont pas réunies. L’opposition et la société civile ont demandé une commission électorale indépendante. L’épiscopat congolais a lui aussi à écrit au Président de la République pour obtenir la création de cette commission et pour demander un recensement électoral. Le pouvoir congolais n’a pas donné suite. Il n’y a donc pas de nouveau découpage électoral et un grand nombre d’électeurs sans cartes, celles-ci n’ayant quasiment pas été distribuées. En revanche il y a toujours beaucoup de partis et de candidats (1300 pour 135 sièges). Ce qui nous inquiète c’est que la plupart des partis de l’opposition ont conclu un accord avec le pouvoir. En échange de leur participation au scrutin ils espèrent obtenir des sièges dans les circonscriptions où ils sont en théorie sûrs de l’emporter. Mais ce pari n’est pas gagné d’avance car rien ne dit que les résultats finaux validés par le pouvoir seront en leur faveur. Dans tous les cas, le grand perdant, la victime de ces arrangements, c’est le peuple congolais.
Quel est le climat au Congo à la veille de ces élections ? La tension est palpable ?
Beaucoup de Congolais de la rue voient dans la campagne une occasion de grappiller des cadeaux ou de l’argent aux candidats, ils se désintéressent de l’enjeu politique et ne croient plus en la démocratie.
En revanche il y a eu quelques mobilisations intéressantes récemment. Des religieuses de Pointe-Noire ont organisé un événement de plaidoyer lors de la journée internationale sur l’eau, le 25 mars. Elles ont déployé devant l’église une banderole portant le message « 2000 milliards de revenus pétroliers en 2006 mais pas d’eau dans la ville pétrolière ». Les médias congolais étaient présents, de même que le Préfet qui a ordonné que la banderole soit retirée. La police est ensuite venue interroger tout le monde, y compris les prêtres et l’évêque de Pointe-Noire. Les télés ont dû arrêter la diffusion des images. Là encore le pouvoir craignait un soulèvement populaire. Les gens sont lassés et les difficultés sont de plus en plus énormes. Tout le monde est bien conscient du détournement des revenus pétroliers mais la peur est bien présente. Nos problèmes judiciaires ont contribué à dissuader ceux qui tentent de résister.
Dans ce climat de résignation, comment va être perçue l’annonce de l’ouverture par le parquet de Paris d’une instruction pour recel de détournement de biens publics visant notamment Denis Sassou N’Guesso ?
Les congolais sont déjà au courant car RFI en a parlé. J’ai pu évoquer cette affaire lors d’une réunion au ministère de la coopération allemande (BMZ). C’est un grand espoir pour nous, d’une part car cela va dissuader les dirigeants africains de placer leur argent en France, le pays où ils se sentent le plus à l’aise et surtout parce que ça peut inciter les pays européens à s’attaquer à leur tour à ce problème, eux qui nous disent toujours que c’est la France qui connaît le mieux le terrain et qui a le plus de relations avec nos pays.
L’autre avantage d’entendre nos dirigeants se faire traiter de corrompus dans les médias internationaux, c’est que ça les oblige à se justifier. On a entendu un proche de Sassou dire à la presse que les biens en question étaient des « biens ordinaires ».
Dans notre résignation on se dit que le salut va venir d’ailleurs.
Comment avez-vous perçu le fait que le nouveau président français reçoive Omar Bongo à l’Elysée ?
Le recevoir n’est pas un problème en soi. Ce qui est important c’est ce qu’il y a derrière cette visite. On sait que Bongo est venu négocier une importante remise de dette que le Trésor français ne voulait pas lui accorder. Il a obtenu une remise de 20%. Dans le cas du Gabon comme dans le cas du Congo ces remises de dettes posent un vrai problème dans la mesure où rien n’est prévu pour obliger les gouvernements à gérer correctement leurs revenus. Il s’agit là d’un double gaspillage : l’argent des contribuables français et des contribuables africains.
Propos recueillis par Fabrice TARRIT
[1] Initiative de transparence des Industries Extractives.