Survie

France Afrique : Réactions au discours de Dakar

(mis en ligne le 1er septembre 2007) - Binyavanga Wainaina, Boubacar Boris Diop, Fausto Giudice

Les réactions au discours prononcé par Nicolas Sarkozy à l’université Cheikh Anta Diop à Dakar le 26 juillet ont été très nombreuses et critiques. Toutes ces réactions ne sont pas d’un égal intérêt, mais chacun pourra y trouver celle qui est le plus à son goût. Nous en publions deux, dont celle de Boris Boubacar Diop, signataire, de la Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy dans laquelle l’auteur Jean-Luc Raharimanana invite le président français au débat.

Un discours insupportable
Par Boubacar Boris Diop

Je ne suis pas surpris par le discours de Sarkozy, je voyais cela arriver et je l´ai souvent écrit. Des ouvrages négationnistes, best-sellers en France, aux récents propos de Sarkozy à Dakar, en passant par les insultes racistes de journalistes comme Marc-Olivier Fogiel et Pascal Sevran et la loi sur les “aspects positifs de la colonisation”, la ligne est droite. Une continuité absolue. Beaucoup d´entre nous ne voulaient pas l´admettre mais une partie significative de la société francaise ne fait plus mystère de sa négrophobie depuis quelques années. Le président francais est bien informé de l´état de son opinion publique et il assume sans complexe de tels préjugés raciaux.

L´indigence du discours de Dakar est d´autant plus manifeste que le nouveau président a prétendu prendre de la hauteur. Pas par simple coquetterie, c´était aussi pour faire oublier les mots grossiers (“racaille “, “nettoyer au karcher”) qui l´ont beaucoup aidé dans sa marche vers le pouvoir. Hélas pour lui, une telle grandiloquence est sidérante ! L´emphase peut parfois masquer le vide de la pensée mais très souvent elle en souligne cruellement la niaiserie. Cela a été le cas avec cette adresse à la jeunesse africaine.

Tout le monde a bien noté que Sarkozy a totalement fait abstraction de la politique africaine réelle de la France – soutien à des dictatures sanguinaires, pillage des ressources du continent et complicité dans le génocide des Tutsi du Rwanda – pour se fendre d´une plate apologie de la colonisation. Il n´est pas digne d´un chef d´Etat de parler de la Traite négrière dans les termes où il l´a fait. Ces mots-là vont peser très lourd dans un avenir proche et si la France avait des ambitions africaines hors de son pré-carré, c´est plutôt mal parti pour elle ! Comment expliquer cette attitude si incroyablement irrespectueuse ? Certes, face à des présidents africains qui n´oseront jamais élever la moindre protestation contre son pays, Sarkozy sait bien qu´il n´a aucune raison de se gêner. Il méprise ces gens au-delà de toute expression. Mais au-delà de ce lien de sujétion politique, un certain discours, nonchalant et désinvolte, de nos élites sur l´Afrique est en cause. Sarkozy vient de donner aux théoriciens de l´afro-pessimisme une bonne occasion de réajuster leurs analyses, du moins aux plus scrupuleux d´entre eux. La plupart de ces intellectuels étaient sans doute de bonne foi mais leur réflexion était malheureusement par trop simpliste et désincarnée. Elle se tenait si loin des rapports de force politiques réels – par prudence ou par naiveté ? - qu´il n´a pas été difficile de la “racialiser” et de la détourner de sa trajectoire naturelle. Au lieu d´aider à un sursaut des Africains, la littérature afro-pessimiste a surtout fourni des arguments aux racistes – ils citent d´ailleurs ces ouvrages à tout bout de champ, avec une grande délectation – et conforté l´Occident dans son sentiment d´innocence. L´arrogance d´un Sarkozy vient en partie de là. Ces auteurs devraient se soumettre, en toute honnêteté, à un examen de conscience.

Le seul point positif du discours de Sarkozy réside dans le fait qu’il rend de plus en plus difficile, par sa brutalité même, les faux-semblants et les louvoiements. Le fait que Sarkozy soit à la tête d´un pays important ne l´a pas empêché de dire des inepties mais son statut présidentiel leur donne de l´écho et attire au moins l´attention sur la gravité de la situation. Désormais il sera bien difficile de nier la signification politique de cette négrophobie et la nécessité d´y répondre de manière appropriée.

Boubacar Boris Diop est romancier et essayiste. Il fut directeur de la publication du Matin de Dakar, un quotidien indépendant.

Safari avec Monsieur Sarkozee

Traduit de l’anglais par Fausto Guidice
Article original publié, le 14 août 2007, dans le Mail & Guardian.

« Le paysan africain ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès. »
Nicolas Sarkozy, Dakar, 26 juillet 2007

J’ai le plaisir d’annoncer qu’une nouvelle espèce d’oiseau, le faisan [1] africain, vient d’être découvert par Nicolas Sarkozee, un passionné de la faune sauvage. Après des années d’observation minutieuse des faisans du monde entier, il a visité l’Afrique de l’Ouest où il a passé un certain temps dans la jungle, notant soigneusement les caractéristiques de ce curieux oiseau.

Le mois dernier, il a fait une communication à Dakar sur ses découvertes, exposant l’ensemble de caractéristiques qui font du faisan africain un spécimen unique de gibier à plumes. Sarkozee a parlé de “l’éternel recommencement des mêmes gestes".

L’éminent chercheur, célèbre pour ses recherches minutieuses, a observé les faisans picorant un sol vide pendant plusieurs générations et a conclu qu’ils vivaient dans un monde “imaginaire où tout recommence toujours”.

Comme la plupart des gibiers à plume, le faisan africain a une chair coriace, riche et sombre. Il est devenu assez commun en Europe, où il vit dans des grottes à étages dans les banlieues entourant Paris et d’autres villes. Pendant des générations, des faisans africains ont été importés en France, si bien que ce pays est désormais sur leurs itinéraires de migration. Mais des facteurs environnementaux – murs et clôtures, barbelés et épines, policiers et soldats, pour ne pas parler des menaces verbales – ont posé des problèmes à l’habitat du faisan en France.

Vu leur nature particulière, ils ont bénéficié grandement de notre contrôle et de notre influence bénéfique », a déclaré l’éminent observateur. Il faisait allusion aux faisans qui avaient réussi, grâce à une formation minutieuse dispensée par des experts français bienveillants, à apprendre comment quitter leurs foyers pour venir chercher de la nourriture à picorer en France, où ils deviennent gras, sont enfermés dans des cages autour de Paris et mis au pot au bout de quelques mois.

Monsieur Sarkozee, qui a été pendant des années l’Autorité française de contrôle de la Peste (aviaire), a critiqué l’importation imprudente de faisans africains. Cela a conduit, a-t-il expliqué, les oiseaux africains à acquérir des comportements de faisans européens. Résultat : les faisans africains en France ont des comportements de volaille gâtée, picorant, chahutant et gonflant leur plumage avec colère. “Ces volailles sont devenus des racailles. C’est pourquoi je suis venu étudier le faisan africain dans son environnement naturel. Ici, il se comporte comme au bon vieux temps, entouré par des génocides verts, des dicteurs chauds et des contrats pour des centrales nucléaires. Ici cette espèce, si différente de la nôtre, ne connaît que le recommencement du temps, toujours en rythme, et cela, pour moi aussi, c’est aussi un problème.

Dans un discours tenu devant l’élite des défenseurs de la gent faisandière, parmi lesquels Omar Bongo et Muammar Kadhafi, il a insisté sur la nécessité de créer un partenariat « euro-africain » pour préserver le faisan africain. Sarkozee a bien pris le soin de recourir à des mots simples pour expliquer son analyse complexe du problème des faisans africains. “Je veux parler en clichés simples et rythmés de l’Afrique, car je parle au faisan africain simple et rythmé. En travaillant avec les populations de faisans migrateurs en France, j’ai appris à communiquer de la manière appropriée. Ceci est la manière la plus diplomatique et charmante d’amener les faisans africains à me faire confiance.

A la question de savoir pourquoi il prétendait avoir découvert le faisan africain, alors que les Africains le connaissaient depuis longtemps, il a dit : “La France sera à vos côtés tel un ami inébranlable pour développer le faisan africain. Ceci est mon rôle. Je fais cela car je désire aider l’Afrique à se développer. Mes riches amis en France donneront un coup de main pour cela.

Certains analystes qualifient la nouvelle politique de protection de Sarkozee de revigorante. L’un d’eux déclare : “Il plaide pour une chasse de bonne volonté au faisan africain, au lieu de la chasse de la vieille école. Il a eu l’intelligence de s’allier à des éminents défenseurs du faisan africain tels le Professeur Omar Bongo, qui s’est spécialisé dans le recyclage des ressources pétrolières du Gabon au service du maintien du faisan africain dans sa condition immémoriale, à l’abri de l’influence polluante d’autres espèces.

Par ailleurs, la suggestion a été émise que le cri unique du faisan africain, un cri à la fois rythmé, répétitif et absurde - Ugga Ugga Ugga Ugga – pourrait faire un bon hymne pour le partenariat euro-africain.

Monsieur Sarkozee est aussi musicien est espère que ce cri rythmique servira à éveiller les consciences sur le destin de cet oiseau, qu’il entend sauver. En soutien à cette initiative, Bongo a mis à sa disposition son opéra personnel, doté d’un studio complet. Des dizaines de milliers de faisans vont être acheminés des banlieues parisiennes, des champs d’Afrique centrale, de Sandton et Gugs, du Caire et de la Vallée du Rift. Une fois sur scène, ils vont gazouiller sur leur mode répétitif, identique et absurde et l’enregistrement sera financé par le projet Langages des Espèces Marginalisées du ministère français de la Culture.

Binyavanga WAINAINA

L’ancien président du Mali Alpha Oumar Konaré, président de la Commission de l’Union africaine (UA), a été le premier à réagir très sévèrement le 27 juillet dans une interview à Radio France Internationale (RFI).

Le journal Wal Fadjri (Dakar Sénégal), ouvre le ban en publiant, le 28 juillet, Nico lagaffe, Sarko l’immigré par El Hadj Hamidou Diallo, secrétaire général du BRDS (Bloc pour le renforcement de la démocratie). Cet article est repris par Courrier international le 30 juillet, avec un commentaire intitulé Sarko la gaffe. Le premier août, Le Messager (Douala, Cameroun) publie la réaction d’Achille Mbembe : L’Afrique de Nicolas Sarkozy. Dans Le Messager encore, Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, répond à Nicolas Sarkozy le 06 août. Devant les nombreuses réactions à son article Achille Mbembe revient sur le sujet avec France-Afrique : ces sottises qui divisent publié le 09 août par Le Messager et Africulture.

En France Libération a consacré pas moins de six Rebonds aux réactions à ce discours :
 L’homme africain, Thomas Heams, maître de conférences en génétique à Paris (2 août).
 Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy. Jean-Luc Raharimanana, Madagascar, Boubacar Boris Diop (Sénégal), Abderrahman Beggar (Maroc, Canada), Patrice Nganang (Cameroun, Etats-Unis), Koulsy Lamko (Tchad), Kangni Alem (université de Lomé) et l’éditrice Jutta Hepke (Vents d’ailleurs) (10 août).
 Sous nos yeux, l’histoire se répète ! Par Véronique Tadjo poète et romancière ivoirienne (13 août).
 Géopolitique de la nostalgie, Florence Brisset-Foucault, doctorante, Paris-I-Sorbonne, Marie-Emmanuelle Pommerolle, maître de conférences, université Antilles-Guyane Etienne Smith et Emmanuel Viret doctorants, Sciences-Po, Paris., Etienne Smith, doctorants, Sciences-Po, Paris., et Emmanuel Viret, doctorants, Sciences-Po, Paris (14 août).
 Les tribulations sarkoziennes en Afrique et l’histoire à l’école, Bernard Girard, professeur d’Histoire-géographie à Laval (20 août 2007)
 En mémoire de notre père : L’histoire de l’Afrique ne commence pas au moment de la colonisation. Nathalie et Sophie Kourouma, filles d’Ahmadou Kourouma, écrivain ivoirien.

Le Monde publie Le faux pas africain de Sarkozy, Philippe Bernard, (23 août).

Enfin on trouve sur le site Afrikara : Le discours inacceptable de Nicolas Sarkozy, par Boris Boubacar Diop (25 août). Le 3 août, le site de l’Élysée publie une Lettre de félicitations adressée par le président de la République d’Afrique du Sud, Thabo Mbeki, à Nicolas Sarkozy, lequel lui répond le 13 août.

Le 24 août, devant les remous provoqués en Afrique par cette lettre, après avoir rappelé que le discours de Sarkozy au Sénégal le mois dernier avait été jugé raciste et paternaliste envers l’Afrique, la présidence de la République sud-africaine devait préciser que les félicitations de Thabo Mbeki ne concernaient que le soutien de la France à la renaissance et au développement de l’Afrique. Un dossier sur cette lettre : Thabo Mbeki victime collatérale du discours de Dakar ? est disponible sur le site de la LDH Toulon, rubrique Histoire et colonies > Sarkozy et l’histoire, avec de nombreuses autres réactions au discours, notamment celles de Amadou Mactar Mbow, Mamadou Diouf, Ibrahima Thioub, Jean-François Bayart, Gilles Manceron, Catherine Coquery-Vidrovitch, Benjamin Stora. Et ce n’est sans doute pas fini.

[1L’auteur fait un jeu de mots entre peasant (paysan) et pheasant (faisan)

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 161 - Septembre 2007
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