Wenceslas Munyeshyaka et Laurent Bucyibaruta, arrêtés le 20 juillet puis relâchés, le 1er août, par décision de la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris, attendront encore un peu avant d’être jugés pour les crimes dont ils sont accusés.
Le cas de ces deux présumés exécutants du génocide, réfugiés en France, est un ballet de la plus mauvaise facture, aux entractes interminables, dont les artistes, metteurs en scène et techniciens se disputent la palme d’or de la gabegie morale, et de l’incompétence. Il témoigne aussi d’une dérive « administrative » du TPIR [1]. Les victimes de leurs crimes peuvent reposer en paix, ces accusés seront jugés, sans que l’on puisse savoir quand et où ?
Le TPIR, aujourd’hui dans sa phase de fermeture, conformément à ses règles, prévoit le renvoi dans des pays tiers des dossiers qu’il n’aura pas le temps de traiter. Alors que son œuvre de justice n’est pas achevée [2], des accusés, actuellement en détention ou encore recherchés, devront être jugés devant des juridictions nationales compétentes. Mais le transfert à un pays tiers d’un dossier du TPIR n’est possible que lorsqu’une formation de renvoi (les juges d’une chambre du TPIR désignée par le parquet) ait statué sur la requête du parquet. C’est une condition sine qua non. Dans le cas du père Munyeshyaka et celui de l’ancien préfet de Gikongoro, Laurent Bucyibaruta, la formation de renvoi n’a été saisie de l’affaire que le 11 juillet dernier, et elle n’a toujours pas statué. C’est dans ces conditions que les actes d’accusation et les mandats d’arrêt les concernant sont arrivés à Paris à la fin du mois de juin. Arrêtés un mois plus tard, les accusés ont fait appel, et leurs avocats ont eu gain de cause pour une raison difficilement contestable : le droit français ne permet pas de maintenir des personnes en détention sine die (le Tribunal chargé de les juger doit être identifié afin que les procédures les concernant puissent débuter en toute légalité sinon leur incarcération serait arbitraire. Le TPIR aurait demandé que les deux accusés soient placés en détention « en attendant » que cette procédure ait suivi son cours.
Pourquoi le TPIR n’a-t-il pas demandé à la France d’envoyer Wenceslas Munyeshyaka et Laurent Bucyibaruta à Arusha dans l’attente de la décision de la formation de renvoi ? Cela aurait permis leur comparution initiale et leur présence à l’audience de renvoi de l’affaire ? Pourquoi la formation de renvoi n’a-t-il toujours pas rendu sa décision ? Pourquoi le Président du TPIR a-t-il attendu un mois (dépôt de la requête le 12 juin, décision du Président le 11 juillet) avant de désigner une chambre chargée d’examiner la demande de renvoi ? Selon des sources crédibles proches du TPIR, cette instance « ressemble plus que jamais à une vaste machine “administrative” internationale, où l’indifférence l’emporte devant le souci de la vérité et de la justice ». Elle a en tout cas commis une grosse erreur de procédure dans cette affaire, à l’origine de la situation présente.
Quant à la France, pourquoi a-t-elle mis un mois entre la publication des mandats d’arrêt et l’arrestation des deux accusés ? Et surtout, pourquoi n’a-t-elle pas profité de ce laps de temps pour coordonner ces arrestations avec Arusha afin d’éviter les erreurs de procédure ? Pourquoi les juges de la chambre d’instruction de Paris n’ont-ils pas mis à profit la semaine qui s’est écoulée entre le 26 juillet et le 1er août pour communiquer avec le TPIR et lui demander de mettre son mandat d’arrêt en conformité avec le droit français ? Cela aurait évité la remise en liberté des accusés, qui devront être arrêtés à nouveau, et les soupçons de tous ordres auxquels on ne pouvait que s’attendre. Cela aurait aussi évité aux rescapés du génocide qui doivent aux accusés la disparition des leurs de nouvelles souffrances [3].
Le 23 août, le porte parole du bureau du procureur du TPIR, Timothy Gallimore, a déclaré que « le procureur continue d’agir. Des actions sont en cours pour que justice soit rendue. Le procureur (Hassan Bubakar Jallow, ndlr) est en discussion avec le ministère français de la justice via le ministère des affaires étrangères. Des résultats sont attendus bientôt ». La majorité des proches de ce dossier estiment que l’on peut en effet s’attendre à de prochains « résultats ». Bon nombre se demandent par ailleurs si la France n’est pas en train de tenter d’éviter d’en hériter. L’avenir le dira. Toujours est-il que les deux accusés n’ont aucune envie de se retrouver, suite à un passage à Arusha, devant une juridiction rwandaise. Et l’un d’entre eux ne manque pas d’appuis au sein de l’Eglise catholique de France.
Sharon Courtoux
[1] Tribunal Pénal International pour le Rwanda.
[2] Le TPIR, au lieu d’aller à l’essentiel, avec une équipe resserrée, compétente, animée de la volonté politique et morale qu’appelle le génocide des Tutsi rwandais, a, depuis sa naissance, suivi une route, certes difficile, mais sinueuse. Ceci reflète surtout le manque de volonté politique et morale de la communauté internationale qui a présidé à sa création. Le Tribunal va rejoindre les annales de l’histoire, sa facture étant considérée trop élevée pour être supportée encore longtemps, par les Etats-Unis en particulier. C’est le Conseil de Sécurité qui en a pris la décision.
[3] Pour rappel : en France des plaintes visent W. Munyeshyaka depuis 1995, dont celle de Rose Rwanga, qui a assisté à l’assassinat de sa fille et du refus du Père d’intervenir pour la sauver. Espérons que le nécessaire sera fait pour que la France soit traduite devant la Cour européenne des droits de l’Homme pour la lenteur de sa justice dans cette affaire. Les plaintes déposées en France visant L. Bucyibaruta datent de 2000.