Survie

Des assassins parmi nous ?

(mis en ligne le 1er novembre 2007) - Fausto Giudice

L’ancien sous-préfet rwandais Dominique Ntawukuriryayo, a été arrêté à Carcassonne, par le SRPJ de Perpignan, le 17 octobre dernier. Le TPIR d’Arusha demandait son extradition pour « génocide, complicité de génocide et incitation directe et publique à commettre le génocide ».

Chrétien engagé, paroissien exemplaire
et toujours prêt à rendre service,
militant associatif reconnu [1], Dominique
Ntawukuriryayo, un père tranquille
de 65 ans, avait le profil parfait de « l’immigré
choisi
 » et intégré. Installé avec sa femme
dans le quartier du Viguier à Carcassonne
depuis 2001, ce Rwandais avait bien sûr pris
soin de cacher son histoire.

Une histoire qui vient d’éclater au grand
jour, à la stupéfaction de tous ceux qui
l’ont connu : le TPIR (Tribunal pénal
international pour le Rwanda) l’accuse
d’avoir ordonné et organisé le massacre
de 25 000 Tutsis regroupés de force sur la
colline de Kabuye entre le 21 et le 25 avril
1994 alors qu’il était sous-préfet de Gisagara,
dans la préfecture de Butare.

Dominique Ntawukuriryayo est aussi cousin
de l’archevêque de Kigali. Après la fin
du génocide, il a quitté le Rwanda pour
Mayotte, le Togo puis la Belgique avant
d’atterrir à Carcassonne en 2000, où il
s’est rapidement intégré dans la communauté
catholique locale. Le 6 juillet 2004,
il a créé l’association Le futur génie dont
l’objet déclaré à la préfecture de l’Aude
est d’« aider les enfants privés de scolarité
par la guerre, la misère, l’extrême
pauvreté, la maladie ou le décès de leurs
parents ; secourir financièrement et matériellement
les enfants renvoyés de l’école
à cause de manque de moyens financiers
 ; contribuer à trouver une solution
pour les jeunes déscolarisés qui prennent
le chemin de la drogue, du vol ou de la
violence ; promouvoir les parrainages à
distance pour le soutien scolaire.
 » Un
programme vaste et vague…

L’adresse de l’association (45, rue Raymond-
Radiguet) n’était autre que celle
de son président qui figure aussi sur le
site officiel de la ville de Carcassonne.
Comment expliquer alors que le tribunal
de grande instance de Carcassonne, saisi
par une plainte déposée en mars 2006
par le Collectif des parties civiles pour le
Rwanda (CPCR) au nom de 32 parents de
victimes du massacre de Kabuye, se soit
déclaré incompétent, invoquant le fait que
Dominique Ntawukuriryayo n’avait pas
été trouvé à l’adresse indiquée ?

N’importe quel internaute pouvait recueillir,
en quelques minutes, cette information
par une simple recherche sur Internet.
Il aurait pu aussi lire l’accablant acte
d’accusation du procureur du TPIR émis
en février 2005 contre celui qui occupe la
quatorzième place dans la liste des accusés
pas encore arrêtés.

Que les chrétiens du groupe Lavigerie
dont il faisait partie ne se soient pas
interrogés sur le présumé passé génocidaire
de l’ancien sous-préfet peut s’expliquer
par leur a priori évangélique (« tout humain
est un pêcheur à libérer »). On peut
peut-être créditer la société Saint-Vincent-
de-Paul et la Pastorale des migrants,
où Dominique Ntawukuriryayo était actif,
du même a priori. Mais que Mgr Alain Planet,
évêque de Carcassonne, alerté par un
courriel du 6 juillet 2007 du président du
CPCR, Alain Gauthier, sur le pedigree
chargé de son paroissien, n’ait pas réagi,
est plus étonnant.

Wenceslas Munyeshyaka [2], curé à Gisors
(Eure) et Laurent Bucyibaruta [3], ancien
préfet de Gikongoro demeurant à
Saint-André-les-Vergers (Aube), Isaac
Kamali [4], membre du conseil pastoral
de sa paroisse à Béziers (Hérault), Dominique
Ntawukuriryayo à Carcassonne
ont tous été accueillis par la France
officielle. Ils ont tous réussi à s’immerger
dans la France profonde et à
donner le change à leur entourage français
pendant des années. Même lorsqu’il
était de notoriété publique qu’ils
étaient poursuivis par la justice. Leurs
histoires doivent éveiller la vigilance
de tout citoyen engagé aux côtés des
victimes du génocide, au nom de la vérité
et de la justice : des assassins présumés
vivaient parmi nous ! D’autres y
vivraient encore ?

Après des années de léthargie suspecte,
la justice française semble désormais
s’être réveillée. La raison principale en
est sans doute la volonté de la présidence
Sarkozy de normaliser les relations avec
Kigali, rompues par le Rwanda en novembre
2006. Mais le chemin est encore
long pour que les victimes du génocide
obtiennent une réparation convenable.
La société civile française doit continuer
ses pressions pour que cesse l’impunité
des responsables et auteurs du génocide
et que soient établies publiquement et
définitivement les responsabilités françaises
dans ce génocide.

La cour d’appel de Paris devait examiner
le 31 octobre 2007 la demande de
remise en liberté de Dominique Ntawukuriryayo
et le 7 novembre 2007 la demande
d’extradition.

Fausto Giudice

[1Il siégeait à la commission de la Vie associative
du Pays carcassonnais.

[2Sa demande d’extradition par le TPIR doit être
examinée par la justice française le 21 novembre.

[3Sa demande d’extradition par le TPIR doit être
examinée par la justice française le 21 novembre.

[4Sa demande d’extradition par Kigali doit être
examinée par la justice française le 14 novembre.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 163 - Novembre 2007
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