Survie

Pas de Kärcher pour les réseaux de la Françafrique...

(mis en ligne le 1er novembre 2007) - Victor Sègre

Robert Bourgi a été fait chevalier de la Légion d’honneur, le 27 septembre par Nicolas Sarkozy. Non content d’honorer un des piliers des réseaux françafricains, le président de la République a rendu hommage à leur fondateur, Jacques Foccart.

C’est Renaud Dutreil qui est à l’origine
de la proposition, et Claude
Guéant qui a suggéré au président
de la République de remettre lui-même la
distinction à Robert Bourgi [1]. Si Sarkozy a
accepté, c’est, dit-il, pour « [permettre] à la
France de récompenser l’un de ses grands
serviteurs.
 » Comprenez grand serviteur de
la Françafrique... Issu d’une famille de négociants
libanais en Afrique, Robert Bourgi,
officiellement avocat de profession depuis
1993, fut l’un des proches de Jacques
Foccart. Il a animé, aux côtés de Jacques
Toubon et de l’ancien ministre de la Coopération
Michel Aurillac, le Club 89 (club
créé à l’arrivée de François Mitterrand au
pouvoir, et défini par F.X.Verschave comme
« un forum foccartien, RPR tendance
bunker
 », qui jouait à la fois le rôle de réseau
d’influence et de pompe à fric). Il fut également
l’un des artisans de la réhabilitation
(éphémère...) de Mobutu sur la scène internationale
en 1994, quand la Françafrique avait
besoin du Zaïre pour mener sa guerre génocidaire
au Rwanda. En 1995, il faisait partie
de la cellule africaine bis, sous la direction
de Jacques Foccart et de Fernand Wibaux.
En 1998, il concoctait une équipe d’observateurs
« au-dessous » de tout soupçon pour
avaliser les élections frauduleuses au Gabon.
Le journal Le Monde révélait à cette occasion
un courrier de Robert Bourgi adressé à Omar
Bongo qui se concluait par ces mots : « Allez
Papa, vous nous reviendrez (...) en triomphateur
des élections
 ». Outre les services rendus
à « papa » Bongo, Robert Bourgi continue à
jouer le rôle d’homme de confiance, d’avocat
ou d’émissaire de l’ombre pour un certain
nombre de potentats : il fut par exemple le
conseiller d’Abdoulaye Wade jusqu’à récemment.
Il a également, avec Claude Guéant, eu
le privilège d’être invité à déjeuner par Denis
Sassou Nguesso [2]...

Selon la Lettre du Continent du 19 avril
2007, ce « fidèle de Jacques Chirac (...)
est discrètement présent dans les coulisses
des dossiers africains de Nicolas
Sarkozy depuis au moins dix-huit mois
 ».
Il fut en effet l’un des rares invités de
Sarkozy à la cérémonie de passation des
pouvoirs le 16 mai 2007. Quelques mois
auparavant, le candidat de la « rupture »
déclarait à Cotonou qu’il fallait rendre
« transparente » la « relation entre la
France et l’Afrique
 ». « Il nous faut, affirmait-
il, la débarrasser des réseaux d’un
autre temps, des émissaires officieux (...).
Le fonctionnement normal des institutions
politiques et diplomatiques doit prévaloir
sur les circuits officieux qui ont fait tant
de mal par le passé.
 » « Sarkozy veut nettoyer
la "françafrique"
 », titrait imprudemment
Libération, le 20 mai 2006, ce que
confirmait Pierre Lellouche, conseiller du
candidat Sarkozy sur les questions diplomatiques.
Juré, craché !

« Une très grande franchise entre nous »

Une fois n’est pas coutume, le ton change
quand l’élection est passée, et le discours
de Nicolas Sarkozy en l’honneur de Robert
Bourgi vaut le détour : « En Afrique,
j’ai eu l’occasion de le dire à Dakar, le
26 juillet dernier : la France a eu des
torts immenses. Mais nous sommes ici
entre amis et cette amitié commande une
très grande franchise entre nous : (...)
qui d’autre que la France a développé et
entretenu une politique d’une ampleur et
d’une intensité identique à ce que fut la
Coopération entre les années 1960 et les
années 1980 ? (...) la France demeurera
aux côtés de l’Afrique. C’est le sens très
clair de la première grande visite internationale
que j’ai effectuée, peu après
mon élection, en Afrique. C’est également
ce message que j’ai délivré au doyen des
chefs d’État africains, le président Omar
Bongo, que je salue amicalement (...) Je
sais, cher Robert
[Bourgi], pouvoir continuer
à compter sur ta participation à la
politique étrangère de la France, avec efficacité
et discrétion. Je sais que, sur ce
terrain de l’efficacité et de la discrétion,
tu as eu le meilleur des professeurs et que
tu n’es pas homme à oublier les conseils
de celui qui te conseillait jadis de “rester
à l’ombre, pour ne pas attraper de coup de
soleil.” (...) Jacques Foccart avait bien
raison.
 »

À travers cet hommage à Foccart et à son
« oeuvre » néocoloniale, voici affiché
clairement ce que tout observateur un
peu attentif avait pu constater dès l’élection
de Nicolas Sarkozy. De la bénédiction
accordée à Zine el-Abidine Ben Ali,
jusqu’à la réception d’Idriss Déby et de
Denis Sassou Nguesso à l’Élysée, en
passant par la très symbolique visite à
Omar Bongo, « doyen des chefs d’États
africains
 », ou par l’enterrement annoncé
de l’Angolagate, la volonté est claire de
donner des gages aux parrains de la françafrique,
de ne pas toucher au fond du
système et de consacrer l’impunité de ses
acteurs.

Victor Sègre

[1Selon le discours qu’a prononcé Sarkozy à
cette occasion

[2La Lettre du Continent, n°522, 19 juillet 2007.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 163 - Novembre 2007
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi