Dans cet accord de Nairobi, la reconnaissance par la RDC du caractère génocidaire des éléments ayant participé à l’extermination des Tutsi rwandais en 1994 au sein des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR, voir encadré), qui sévissent dans le Kivu [1], est inédite. Tout comme l’est également l’acceptation par le Rwanda de la qualification des forces de Laurent Nkunda (voir encadré) qui figure dans le communiqué conjoint. Dès lors, quelles sont les raisons de cette évolution, dans les positions de chacun, alors qu’au Nord- Kivu, massacres, viols, déplacements massifs de population, se poursuivaient dans une indifférence quasi-totale ?
Quel que soit le processus historique qui a conduit aux atrocités que subissent les kivutiens, force est de constater que les sus mentionnés – les FDLR en particulier – y participent pleinement [2], et que les gouvernements rwandais et congolais, signataires de l’accord de Nairobi, n’ont, jusqu’ici, rien fait pour éteindre l’incendie.
Le 24 octobre dernier, Mauro De Lorenzo, membre de l’American Enterprise Institute for Public Policy Research, un « think tank » américain conservateur, a témoigné devant le sous-comité des affaires africaines du comité sénatorial américain des affaires étrangères en insistant sur un nécessaire engagement des États-Unis en RDC[foreign.senate.gov/testimony/2007/D...]. Il a prôné la recherche d’une solution politique au Nord-Kivu au détriment des armes. Il a souligné le principal problème : celui des ex-génocidaires, les FDLR et leur longue liste de crimes. Mauro De Lorenzo a aussi souligné que les cas de coopération entre les FDLR et les forces armées congolaises (FARDC) contre les forces de Laurent Nkunda étaient avérés. Pour lui, les craintes de ce dernier au sujet de la sécurité de la minorité tutsie congolaise étaient justifiées. Il jugeait aussi que ses exactions ne pouvaient lui être reprochées. Dans ce contexte, Mauro De Lorenzo estimait que l’appui de la Mission des Nations unies en république démocratique du Congo (MONUC) à l’armée congolaise pouvait s’avérer inopportun en attendant que celle-ci ne retrouve un semblant de discipline. Et d’enfoncer le clou, en déclarant que la MONUC « s’est récemment ouvertement alliée avec un gouvernement [NDLR celui de Kinshasa] dépendant d’extrémistes anti-Banyarwanda ». Via sa gestion du processus Tripartite Plus [3], « les États-Unis ont un rôle important à tenir pour aider à définir la mission et la doctrine qui doivent être celles de la Monuc » a-t-il ajouté.
Pour beaucoup d’observateurs, l’essentiel des déclarations de De Lorenzo traduit la position américaine, sur laquelle les éléments français au sein de la Monuc seraient d’autant plus fermement invités à s’aligner que l’implication américaine serait forte du côté de Goma. Washington serait par ailleurs favorable à l’idée de régler le problème Nkunda en offrant à celui-ci la possibilité de s’exiler en Afrique du Sud dès lors que le problème FDLR serait en voie de règlement.
Le 29 octobre, Samuel Brock, chef de la mission diplomatique américaine au Congo, a annoncé que les États-Unis répondraient positivement à une demande de Kinshasa pour qu’ils prennent en charge la formation d’une force de réaction rapide au sein de l’armée congolaise. Cette force aurait pour mission de s’attaquer aux milices et aux forces rebelles à l’oeuvre dans le Nord-Kivu. La demande aurait été formulée, le 26 octobre à Washington, lors de la rencontre entre les présidents Bush et Kabila et la finalisation de l’accord la concernant est prévue en janvier 2008 [4]. Le 31 octobre, une délégation américaine conduite par Tom Shortly, conseiller de la secrétaire d’État américaine aux affaires africaines Jendayi Frazer, s’est rendu au Nord-Kivu où elle a rencontré Laurent Nkunda. Ce dernier aurait confirmé à son interlocuteur qu’il ne démobiliserait que si les FDLR étaient maîtrisés – et ses récentes attaques aux alentours d’un camp de déplacés proche de Goma puis près de Rutshuru illustrent ses dires. Une tactique déployée en accord l’émissaire américain pour donner plus de poids à la politique américaine au Kivu et donc à son ambition de maîtriser la gestion de la situation ? Il est pour l’heure impossible de répondre à l’interrogation. Au cours d’une conférence de presse, le 21 novembre le chef d’état major de l’armée congolaise, Dieudonné Kayembe, et le commandant des forces de la Monuc, Babacar Gaye, ont déclaré qu’ayant « exploré sans résultat toutes les voies pacifiques » ils rentraient « dans une phase de contrainte ». Sans fixer d’échéance précise… Dans l’attente du plan de désarmement des FDLR ? Quoi qu’il en soit, les États-Unis viennent de nommer un diplomate, Haywood Ranki, à un poste permanent d’animation de l’antenne américaine dans le Nord Kivu. La bannière étoilée se lève au Congo.
Il serait naïf de penser que les États-Unis s’engagent dans le bourbier congolais par amour du prochain et pitié pour ses souffrances. Depuis la chute du mur de Berlin, l’Afrique n’est plus un continent placé sous le gardiennage de la France au nom des intérêts des grandes puissances. La complicité entre ces dernières n’a jamais empêché la compétition entre elles, mais le contexte de ce qu’il est convenu d’appeler la mondialisation, l’intensification des appétits (américain en particulier) pour le pétrole et autres produits miniers qui s’y trouvent en abondance, l’entrée de la Chine dans le club des grands, rendent la gestion de la complicité moins aisée et la compétition plus rude. Lors du génocide commis au Rwanda, Washington n’a rien entrepris pour contrer l’implication française dans ce pays, et l’appui qu’il a pu manifester à l’égard du camp adverse était sans doute une oeuvre d’anticipation. Les richesses au-delà de la frontière rwandaise comptaient davantage, à terme, que la vie d’un million de Tutsis.
Peut-on cependant espérer que l’actuel engagement américain dans le dossier contribue à la pacification de l’est du Congo ? Ce n’est pas impossible, et plus d’un observateur, favorable ou hostile aux Etats-Unis, considère que les chances sont du côté d’une certaine réussite. On ne peut que partager l’espoir des populations civiles congolaises qu’il en soit ainsi. Et rappeler que si les compétiteurs complices, tous autant qu’ils sont, la France en tête, avaient eu quelque souci pour les populations qui paient encore le prix de leur cynisme, des millions d’Africains de la région des Grands Lacs seraient encore en vie. Sans entrer en détail dans l’histoire du Zaïre-Congo, cette dramatique séquence historique a débuté avec le génocide que l’on a laissé commettre au Rwanda.
La quoi ? Ah oui ! La France, on l’aurait presque oubliée…. Eh bien, suite à une visite prévue à Ouagadougou du 9 au 10 novembre, Bernard Kouchner devait se rendre à Kinshasa et à Goma, mais il a reporté, à la dernière minute, ces déplacements à une date ultérieure non précisée. D’ici à la fin de l’année, suggère le Quai d’Orsay, sans fournir d’explications à ce changement d’agenda. Des sources diplomatiques ont indiqué à l’agence France Presse (AFP) que Bernard Kouchner souhaitait inclure une visite au Togo dans ce périple « sans préciser si d’autres pays pouvaient encore être ajoutés ». Le Rwanda ?
Sharon Courtoux
L’accord de Nairobi
C’est le 9 novembre dernier que les ministres des affaires étrangères congolais et rwandais, Antipas Mbusa Nyamwisi et Charles Murigande ont signé, à Nairobi, un communiqué conjoint convenant que « les ex-FAR/Interahamwe constituent une menace majeure pour la sécurité du Rwanda et de la RDC » et que « la présence de groupes armés irréguliers congolais dans l’est de la RDC constituent également une menace pour la paix et la sécurité dans l’ensemble de la région des Grands Lacs ». Les gouvernements congolais et rwandais ont donc affirmé leur engagement à « démanteler les ex-FAR/Interahamwe comme organisation génocidaire et militaire opérant sur le territoire de la RDC » et à « empêcher tout soutien direct ou indirect – politique, matériel ou humain – à tout groupe national ou étranger opérant en RDC ». Le gouvernement de la RDC s’est engagé à « préparer, pour le 1er décembre 2007, un plan détaillé pour désarmer les ex- FAR/Interahamwe et éliminer la menace qu’elles constituent ». Le gouvernement rwandais, de son côté, s’est engagé à « prendre toutes les mesures nécessaires pour sécuriser sa frontière et empêcher l’entrée ou la sortie de membres de tout groupe armé, en particulier de celui du chef de milice dissident Nkunda ».
Les FDLR
Créées en 2001, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) rassemblent les éléments de l’Armée de libération du Rwanda (ALIR, bras armé du Parti pour la libération du Rwanda, PALIR), d’ex-génocidaires des Forces armées rwandaises (FAR) et Interahamwe qui ont fui le Rwanda à l’issue du génocide. Les FDLR comprennent aujourd’hui nombre d’éléments qui n’ont pas participé aux événements de 1994.
Laurent Nkunda, le général déchu
Laurent Nkunda était un officier supérieur du Rassemblement congolaise pour la démocratie – Goma (RCD-Goma) soutenu par le Rwanda, l’un des principaux groupes rebelles ayant combattu en RDC de 1998 à 2003. En 2004, il a été nommé général dans une nouvelle armée nationale congolaise créée avec des soldats des forces dissidentes à la fin de la guerre. Il a refusé le poste et s’est retiré avec des centaines de ses soldats dans les forêts de Masisi au Nord-Kivu. En septembre 2005, un mandat d’arrêt a été lancé contre Laurent Nkunda, qui a été impliqué dans de nombreux crimes de guerre au cours des trois dernières années : exécutions sommaires, tortures, et viols commis par des soldats sous son commandement à Bukavu en 2004 et à Kisangani en 2002. RDB
Pull Factor
Les récents combats du Kivu, opposant le général rebelle Laurent Nkunda aux FARDC, doivent évidemment être mis en relation avec le lâchage officiel du général rebelle par Kigali. Mais sur le terrain, loin de grandes considérations géopolitiques, ce sont parfois des considérations « parasites » qui gèrent l’engagement des hommes dans le combat. En effet, dans un contexte de misère absolu, la prime de démobilisation promise par la Monuc à ceux qui rendent les armes, FDLR, Maï Maï ou Banyamulenge, peut à elle seule conduire les hommes à s’enrôler. C’est ainsi qu’il fut constaté récemment le départ clandestin et en masses de jeunes Burundais, issus des quartiers tutsi », Ngagara, Nyakabiga de la capitale burundaise Bujumbura, vers les zones tenues par Laurent Nkunda au Kivu. Certains avouaient ouvertement s’enrôler pour « toucher les 600 $ de prime ». Dans un pays où le revenu annuel affleure les 300 $, on mesure l’importance de la somme, et son attrait sur une population de jeunes désoeuvrés manipulés. Encore une fois, cette distorsion, « anecdotique » illustre bien l’étroite filiation de la misère et de la guerre aux Grands Lacs, et par là même l’urgence absolue d’aider au développement de la région, conjointement à son désarmement. Vincent Munié
[1] À l’est de la RDC, le Nord-Kivu (capitale Goma) subit les pires conflits dans lesquels sont engagées milices congolaises, les FDLR et les forces armées de la RDC (FARDC). Le Sud-Kivu (capitale Bukavu), où la situation est moins catastrophique, est cependant loin d’être épargné. Le viol, utilisé comme arme de guerre par les FDLR, y a notamment fait des ravages effarants.
[2] Mal payées, entraînées, nourries, des FARDC commettent elles aussi de nombreuses exactions et pillages à l’encontre de la population.
[3] Un dialogue continu entre la RDC, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi animé par les Etats- Unis.
[4] Certains observateurs estiment que la demande de Kinshasa aurait été dictée à Kabila par le président américain.