Survie

Retour à la case départ

Comme on pouvait s’y attendre, les combats ont repris dans l’est du Tchad. L’accord signé, le 25 octobre à Syrte, en Libye, entre le président tchadien Idriss Déby et plusieurs rébellions n’était qu’un leurre. Un scénario écrit d’avance.

(mis en ligne le 1er décembre 2007) - Sharon Courtoux

Les accords se suivent et malheureusement
se ressemblent. Comme Billets
d’Afrique et d’Ailleurs
l’avait déjà
souligné, celui-ci s’est avéré être un accord de
pacotille. En effet, le 23 novembre, l’Union
des forces pour la démocratie (UFDD) de
Mahamat Nouri et le Rassemblement des
forces pour le changement (RFC) de Timan
Erdimi, protestant contre l’inapplication de
l’accord par les autorités tchadiennes [1], avaient
souligné qu’il serait caduc le 25 novembre à
minuit. Idriss Deby a rétorqué que les rebelles
portaient la responsabilité des problèmes
auxquels le pays était confronté.

Dès le lendemain, le 26 novembre, des
combats éclataient entre l’armée nationale
tchadienne (ANT) et les forces de l’UFDD
à une centaine de kilomètres d’Abéché
dans l’est du Tchad. Le samedi précédent,
un accrochage est déjà intervenu entre
les hommes de Mahamat Nouri et des
gendarmes tchadiens près de la frontière
tchado-soudanaise. Un incident, qualifié de
« mineur » par un responsable de l’UFDD,
contestant le fait qu’il s’agisse d’une attaque.
La réaction du gouvernement tchadien
ne s’est pas fait attendre. Celui-ci a
aussitôt accusé Mahamat Nouri et Timan
Erdimi d’avoir violé l’accord de Syrte.
Le président Déby, qui a immédiatement
envoyé des troupes sur les lieux,
a-t-il profité de l’occasion d’un « incident
mineur » pour attaquer ses ennemis jurés,
ou ces derniers ont-ils créé « l’incident »
sachant qu’il rouvrirait les hostilités ?
Laquelle des deux parties a remis le feu
aux poudres ? Les deux à la fois ? L’un
comme l’autre mettant tout en oeuvre
pour continuer à en découdre ? Quoiqu’il
en soit, ces accrochages se sont produits
la veille de l’expiration du délai pour la
mise en application de l’accord de Syrte,
un moment idéal pour le mettre au rebut.
Un accord d’ailleurs définitivement enterré
les jours suivants puisque les combats
opposant les rebelles à l’armée ont repris,
le 29 novembre, avec une rare intensité
près de la frontière soudanaise, au lendemain
des déclarations victorieuses de
N’Djamena assurant avoir « détruit » ses
ennemis.

Signalons, au passage, le survol des zones
de combat par un Mirage français, parti
de N’Djamena. Un soutien manifeste
de la France au président Déby selon
les rebelles qui se disent « en état de belligérance
 » avec l’Hexagone. Il est inutile
de rappeler que la France a toujours
été faiseur de rois et surtout de tyrans au
Tchad. En tout état de cause, engluée dans
la perpétuation de ses basses oeuvres, la
France n’a pas su prévoir cette nouvelle
crise. Et encore moins comprendre ce qui
aurait pu l’éviter.

Une société civile négligée

Quitte à nous répéter, il est, en revanche,
utile de rappeler qu’une des éminentes
personnalités de la société civile tchadienne
avait affirmé, il y a plusieurs mois,
que « le seul moyen d’aider les Tchadiens,
c’est d’amener rebelles et dirigeants à la
table de négociations
 ». Et une de ses collègues
de remarquer justement : « Nous
voici revenus à la case départ.
 »
Faute d’écouter une société civile qui
s’efforce d’obtenir pour les populations
les moyens de mener une vie digne et le
droit de choisir leurs dirigeants, la France
contribue à leur interminable sujétion aux
appétits du pouvoir et de ses concurrents
prêts à tout pour le supplanter.

La France, initiatrice de l’Eufor, force
européenne de 3 500 hommes dont une
majorité de soldats français devant se déployer
au Tchad prochainement [2] pour protéger
les camps de réfugiés et de personnes
déplacées dans l’est du Tchad, devra
sans doute assumer ce qu’elle a semé. De
plus, les pays membres de l’Union européenne
se montrent peu enthousiastes
pour l’opération (voir encadré). Les réticences
européennes semblent liées aux
ambiguïtés de l’opération dont on ne sait
de quel mandat elle relèverait en cas de
conflit entre les diverses forces armées
tchadiennes. Et comme un tel conflit vient
d’éclater, on peut supposer que cette méfiance
ne faiblira pas.

La société civile tchadienne, à qui on ne
peut qu’encore donner raison, souligne
que la mission Eufor ne devrait se lancer
qu’une fois munie d’une feuille de route
claire, d’un mandat politique et opérationnel
évacuant ces ambiguïtés. Ou la France
se range à cette sage recommandation,
ou, compte tenu de sa prépondérance au
sein d’Eufor, elle portera la responsabilité
de toute décision ou action engageant la
force. Bref, si elle y va pour défendre ses
intérêts et non ceux du peuple tchadien,
elle en paiera le prix.

Sharon Courtoux

Un rapport révélateur

Empêtrée dans la mise en oeuvre de
l’Eufor au Tchad, l’Union européenne
montre des signes de division avant le
déploiement sur le terrain. Des pays
comme l’Autriche, appelée à contribuer
à hauteur de 160 soldats, doutent
sérieusement des intentions réelles de
la France. L’importance du contingent
français dans le futur détachement de
la force européenne au Tchad et en
Centrafrique « suscite des interrogations
sur la sa neutralité » en raison du
soutien de Paris au président tchadien
Idriss Déby, a estimé, le 4 décembre,
Norbert Darabos, ministre autrichien
de la Défense. Il réagissait à un rapport
confidentiel du général-major autrichien
Christian Ségur-Cabagnac, daté du
9 novembre et intitulé Directive militaire
stratégique n°2.
L’Autriche « fera en sorte que la crédibilité
de l’Union européenne soit renforcée
et non remise en cause. Tout le monde le
sait, y compris la France », a-t-il ajouté.
Avec ses 1 500 hommes, la France
représentera de loin le plus fort contingent
parmi les 3 500 soldats que l’Eufor
doit déployer dans la région d’ici à
janvier sous commandement irlandais.
Selon une note interne du ministère
autrichien de la Défense dévoilée par
le député et expert en questions militaires
Peter Pilz (Verts, opposition),
l’importance de la présence française
représente un « danger d’engagement
direct de l’Eufor dans des affrontements
armés ». On ne pouvait pas mieux dire.
RDB

[1Un communiqué de l’UFDD du 25 novembre
dénonce le refus de N’Djamena « d’envoyer ses
membres de la commission politique chargée
d’étudier les modalités pratiques de l’application
de l’accord de Syrte
 » et accuse Idriss Déby de
faire « survoler sans cesse nos positions » et de
« se préparer à (les) attaquer
 ».

[2Prévu en novembre, ce déploiement sera
sans doute reporté au mois de janvier faute de
moyens, notamment aériens.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 164 - Décembre 2007
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