Survie

Un éternel recommencement

Les égards accordés par l’élysée à François Bozizé sont largement en deçà de l’intérêt de la France pour la Centrafrique. Car cette année la mécanique huilée de la coopération entre les deux états a commencé à grincer.

(mis en ligne le 1er décembre 2007) - Vincent Munié

Le rendez-vous du 19 novembre entre
Nicolas Sarkozy et François Bozizé,
programmé à l’Elysée à 18 heures
était noyé dans le fourre-tout de l’agenda
présidentiel. Sur le papier rien de plus normal
que la visite d’un chef d’État à un autre.
L’absence de la moindre publicité pour
l’événement aurait pu plaider pour un acte
« routinier ». Mais à y regarder de près, le
savant enfouissement de cette entrevue au
milieu de l’agitation présidentielle (visite
d’Hugo Chávez avec la perspective d’un
développement possible dans l’affaire Betancourt,
la grève des transports…) et sa
brièveté (dix-sept minutes), trahissent une
certaine gêne française. En effet, la république
centrafricaine (RCA) est loin d’être
un pays anodin pour la France. Car ils ne
sont pas nombreux les pays dans lesquels
la France entretient un contingent militaire
opérationnel depuis quarante-sept ans [1].
Et encore très récemment, une armada de
conseillers militaires. Aujourd’hui, avec
l’implantation de l’Eufor, on pourrait estimer
que la Centrafrique bénéficie d’un regard
particulier de Paris. Mais alors pourquoi ce
rendez-vous en catimini, accordé au dernier
moment ? C’est que ces derniers mois, les
choses ont un peu « bougé ».

Comme il était précisé dans Billets d’Afrique
de septembre (n°161)
, un soudain fossé s’est
ouvert entre la France et la RCA. L’année
avait pourtant bien débuté sur un plan « françafricain
 ». Les parachutistes et les légionnaires
tricolores avaient soutenu par deux fois
l’armée centrafricaine (Faca) face à l’Union
des forces démocratiques pour le rassemblement
(UFDR), dans le nord-est (Birao/Ouandja
Djalle). Les Mirages F1 patrouillaient
depuis N’Djamena, et à Bangui, les soldats
de Boali maintenaient l’ordre. Puis il y eut
quelques signes révélateurs : François Bozizé
se permettait de défier son protecteur historique.
La nationalisation du secteur pétrolier et
l’exclusion de Total, la nomination provocatrice
et contre l’avis de la France du neveu de
François Bozizé, Sylvain Ndountingaye, déjà
ministre omnipotent des Mines, aux Finances,
le refus d’accorder à Areva l’exploitation
de la mine de Bakouma [2] témoignaient d’un
semblant de rébellion. Pourquoi cette fronde
alors que la France fait et défait, depuis toujours,
les maîtres de Bangui ?

Une timide défiance

La seule réponse serait d’admettre l’irruption
d’un troisième larron et de la mise en concurrence
du potentat sur la RCA…

Il y eut aussi le rapport d’Human Rights Watch
(HRW) révélant les exactions commises par
les Faca contre la population, épinglant le rôle
particulier de la garde présidentielle, et accusant
explicitement l’armée tricolore de les
cautionner par sa seule présence. Le rapport
(Billets d’Afrique n°163, novembre 2007) est
encore plus explicite quand il souligne que la
France collabore et forme les unités de l’armée
centrafricaine coupables de crimes. La
République française voyait pointer le spectre
de l’accusation de « complicité avec une entreprise
criminelle », et sa révélation sur la place
publique. Les fantômes du Rwanda ont resurgi.
Car, en fait de complicité, toute personne
intéressée à la Centrafrique sait que le mot n’a
rien de virtuel : si la Centrafrique est à terre,
c’est à cause de la France, et aucune autre puissance.
Le précarré fut très bien gardé et fermé à
toute autre entremise jusqu’à cet été…

Dans ce contexte, on comprend l’empressement
de Nicolas Sarkozy à rester sur le coin
du perron de l’Élysée, dans l’ombre de la
photo officielle avec François Bozizé.

Pourtant, si depuis la publication du rapport
d’HRW, une très nette reprise en main de la
garde présidentielle a été constatée, la RCA
est encore loin du compte puisque les officiers
accusés de crime ont simplement été
mis en retrait. De même, les ouvertures politiques
et le dialogue national annoncé n’est
pour l’instant qu’une promesse. On pourrait
penser que l’accalmie est le fruit de pressions
diplomatiques. C’est certainement vrai. Mais
il reste que Paris s’est bien gardé d’un geste
fort, le seul capable de mettre à mal cette
complicité : retirer ses troupes. Bien sûr, le
départ provisoire des conseillers militaires
cet été, suite (officiellement) à l’altercation
de l’ambassade de France le 14 juillet (Billets
d’Afrique n°161, septembre 2007
), semble
devenir définitif…

Dans les couloirs du palais de Bangui circulent
désormais des Sud-Africains. Mercenaires,
barbouzes, diplomates. Prétoria semble
très intéressée par la RCA, et François Bozizé
de leur tendre la main. Après tout, s’il y a plusieurs
acquéreurs, les prix montent…

La fronde centrafricaine n’est pas isolée. En
des termes différents, la soudaine « autonomie
 » du nigérien Mamadou Tandja face
à la France illustre bien cette tendance de
pays vassalisés de longue date, à choisir
eux-mêmes leurs nouveaux seigneurs. Dans
ce contexte, la traditionnelle coopération bilatérale,
les accords militaires d’État, les réseaux
politiques français et toute la mixture
affairiste déployée depuis cinquante ans sur
le continent semblent désuets.

L’Eufor comme levier

Cependant, la France dispose encore d’un levier.
Car avec la force européenne au Tchad
et en Centrafrique, la présence de soldats
français va être doublée dans les zones stratégiques
de l’axe Tchad/ RCA. Or, le mandat
de la mission n’éclaircit pas le rôle futur du
dispositif militaire français au Tchad (Epervier)
et de Boali en Centrafrique. Un « over
lapping » est largement possible. C’est tout
l’intérêt d’une telle opération pour Paris :
sous le couvert d’un mandat « humanitaire »
international, affermir une présence en danger.
Un schéma qui est en passe de devenir
un classique (lire Billets d’Afrique n°163).
Malgré les obsessions de sa politique africaine,
Paris est en danger de perdre ses prérogatives
au centre du continent. Ainsi, encore
une fois la françafrique se ferait battre sur son
propre terrain… Mais ces « échecs » n’illustrent
rien d’autres que la férocité du système.
En effet, la seule vérité qui s’impose est la
souffrance d’un pays imposée par nos gouvernants,
ceux-là élus par nous-mêmes…

En Centrafrique, la France est une fois de
plus associée à un pouvoir criminel. C’est la
morale de la nation qui est en cause. Or, dixsept
minutes de rendez-vous avec François
Bozizé étaient largement suffisantes pour
imposer un acte fort : la cessation du soutien
aux souffrances imposées à son peuple. Ce
geste aurait dû inclure la fin immédiate de
Boali et la décision de contribuer à l’Eufor
sur les seuls plans financiers et logistiques,
laissant à d’autres pays l’entretien de troupes
combattantes. Car s’il y bien un pays complice
du drame discret de l’Afrique centrale
c’est le nôtre, il n’est que temps d’arrêter.

VM

[1Présence interrompue en 1999 et réactivée en 2003
avec l’opération Boali encore en cours fin 2007.

[2En effet, le groupe français en rachetant
Ramin, le concessionnaire attitré, estimait
pouvoir bénéficier des acquis de la société
canadienne, mais Bangui jugea ce transfert trop
simple et exigea un droit d’entrée « coercitif ».

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 164 - Décembre 2007
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