Survie

Soigner le mal par le mal

(mis en ligne le 1er février 2008) - Victor Sègre

À tous ceux qui reprochaient à l’Eufor en préparation de vouloir servir les intérêts françafricains sous couverture européenne, la France aura finalement répondu en renforçant la composante française.

La force européenne qui patinait (Lire Billets d’Afrique n°165) a finalement réuni les moyens militaires pour se déployer au Tchad et en Centrafrique à partir de février. Ce ne sont pas les cris du coeur de notre ministre de la Défense à destination de nos partenaires européens qui ont débloqué la situation. Hervé Morin, après s’être apitoyé sur les réfugiés au Tchad et avoir réveillonné avec les marsouins au nord de la Centrafrique avait affirmé à son retour en France : « J’y ai vu ce que pouvait représenter la présence de militaires européens pour assurer la sécurité (…) en Centrafrique, dans la zone de Birao où nous sommes, une poignée de légionnaires, à peine 200, vivant dans des conditions extrêmement rustiques ont été capables de redonner la joie, le bonheur et le sourire à des populations qui étaient terrorisées par des forces rebelles venant du Soudan.  » (Interview sur RFI, 5 janvier 2007). Une obscénité autant qu’un mensonge puisque, d’une part, la Croix rouge estime que le « retour progressif des populations déplacées n’implique pas une amélioration de leur situation humanitaire » (Communiqué du 3 Janvier 2008), et d’autre part, leur fuite avait été principalement causée par les exactions de l’armée centrafricaine dans la foulée de la contre-offensive française. (Lire Billets d’Afrique n°162)

Une force de plus en plus franco-franco-européenne

Nicolas Sarkozy a finalement accepté de fournir les moyens militaires humains et matériels supplémentaires que les autres pays européens lui refusaient, paralysant le déploiement de l’opération. « Les Français seraient-ils naïfs ? Ils semblent découvrir que leurs partenaires européens n’éprouvent pas la même sollicitude qu’eux face aux situations d’urgence en Afrique. », s’attriste Valeurs actuelles du 11 janvier… « Après l’évaluation finale des troupes, les effectifs se présentent de la manière suivante : France 2.000 soldats, Irlande 400 soldats, Pologne 400 soldats, Suède 200 soldats, Autriche 160 soldats, Roumanie 120 soldats, Belgique 100 soldats et Finlande 60 soldats. » (PANA, 15 janvier 2008)

Il s’agit seulement « d’amorcer la pompe » affirmait jusqu’au bout le ministère de la Défense, feignant de croire que les pays jusque-là réticents finiraient par accroître leur participation. On a même sollicité des « pays tiers », c’est-à-dire des contributeurs hors Union européenne, comme la Russie et l’Ukraine, qui ont finalement décliné l’offre. A-t-on pensé à l’Australie ou au Japon ? La force « européenne » comptera donc de 50 à 60 % de soldats français et c’est la France qui supportera l’essentiel du coût, estimé entre 500 millions et un milliard d’euros annuels (RFI, 14 janvier 2008). Mais quand on aime l’humanitaire, on ne compte pas. D’autant que Bolloré, qui gère le port de Douala et le chemin de fer Camrail au Cameroun va être « le principal bénéficiaire logisticien de l’opération Eufor » (La Lettre du Continent, 24 janvier 2008). Si en plus on peut faire plaisir aux amis…

Soldats français amis, soldats européens neutres ?

On continue par ailleurs d’affirmer qu’il ne faudra pas confondre les soldats français présents dans le cadre de l’opération Épervier (provisoire depuis…1986), et les soldats sous mandats européens. « Il y a deux missions  : il y a une relation bilatérale francotchadienne qui n’est un secret pour personne et qui perdurera bien évidemment, et il y a par ailleurs (…) une mission européenne sous mandat des Nations unies (…) de protection des populations. » (RFI, 14 janvier 2008, interview d’Éric Chevallier, conseiller spécial du ministre des Affaires étrangères). Les militaires français de la force européenne empêcheront-ils les militaires tchadiens, formés par la coopération militaire française, d’enrôler de force des enfants dans les camps qu’ils sont censés sécuriser ? [1] Même question concernant les 850 policiers tchadiens qui doivent être formés par la force de police onusienne, la Minurcat, et déployés autour des camps de déplacés et réfugiés. On est curieux de savoir aussi quelle sera la traduction concrète de la promesse, mainte fois réitérée, de non ingérence de la force européenne dans les affaires intérieures tchadiennes. Les mouvements politico-militaires d’opposition à Idriss Déby ont « pris acte » des propos rassurants tenus par le commissaire européen Louis Michel, en déplacement au Tchad du 20 au 22 janvier (déplacement au cours duquel il a également signé une rallonge de 10 millions d’euros dont on aimerait croire qu’elle va réellement servir au « développement social et économique » des régions les plus sinistrées). Reste qu’on voit mal comment ils feront la distinction entre les militaires français prétendument neutres car sous mandat européen et les militaires français appuyant l’armée tchadienne. Le soutien de ces derniers n’a en effet pas faibli : « Des Français soutiennent même la nouvelle garde tchadienne à cheval (145 cavaliers) », rapporte le numéro de Valeurs Actuelles déjà cité. « Leurs patrouilles montées dans la brousse ressuscitent les images des temps héroïques de l’empire français.  » C’est bien là le problème…

Victor Sègre

a lire sur le net : « Tchad-Centrafrique : une Eufor très tricolore », le 11 janvier 2008 http://secretdefense.blogs.liberati...

[1Les rafles de mineurs par l’armée tchadienne sont également menées dans les villes et villages, y compris à N’Djamena. « Au cours d’un point de presse qu’il a tenu en décembre, Hourmadji Moussa Doumgor, porte-parole du gouvernement, a indiqué que si des rafles avaient été effectuées par des soldats, ils n’en avaient pas l’autorisation. » Irin, 27 décembre 2007.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 166 - Février 2008
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