Survie

Trafigura en offshore

(mis en ligne le 1er novembre 2008) - Rafik Houra

Grande absente du procès des déchets toxiques, Trafigura pourrait être la véritable bénéficiaire de cargaisons pétrolières ivoiriennes

Le procès des déchets toxiques s’est conclu le 22 octobre avec la condamnation de deux accusés (lire Déchets toxiques : un scandale qui s’éternise).
Leurs avocats avaient demandé en vain la
comparution en tant que témoin du représentant
sur place de la société Trafigura.
La presse rapporte que ce dernier a préféré
s’éclipser du territoire ivoirien quelques
jours avant le début du procès. À l’ouverture
de celui-ci, Trafigura s’est contentée
de faire savoir par communiqué qu’elle
présenterait des experts indépendants en
temps voulu pour démontrer que les déchets
ne pouvaient pas être la cause des maladies
constatées. S’agit-il de l’équipe conduite par
Lord Fraser of Carmyllie ? Dès l’automne
2006, Trafigura lui commandait dans les six
mois un rapport « indépendant » qui devait
être rendu public. Ce n’est que le 30 mai
2007 que Lord Fraser a remis un « rapport
intérimaire » [1] d’une dizaine de pages, qui se
limite à énumérer les nombreuses raisons
pour lesquelles il n’a pu aboutir et que l’on
peut résumer à « je ne peux rien dire pour
le moment
 ».

Attrape-moi si tu peux !

Absente du procès, Trafigura préfère se
consacrer à son métier. Selon les informations
de La Lettre du Continent, une de
ses filiales, Worlwide Energy, bénéficiera,
par l’intermédiaire de Yam’s Petroleum de
Pierre Fakhoury, de sept cargaisons annuelles
de 650 000 barils de pétrole jusqu’en
2010. Malgré le démenti de son président,
Frédéric Fatien, il semble bien que la société
Worldwide Energy, établie aux Émirats arabes
unis, ne soit qu’une façade. L’an dernier,
énumérant des contrats pétroliers trimestriels
au Nigéria, la publication spécialisée
Energy Compass (16 novembre 2007) citait
Worldwide Energy parmi trois « entreprises
mystérieuses qui ne peuvent être proprement
identifiées
 », ajoutant que, selon des sources,
parmi elles se trouveraient des « sociétésécrans
établies par des négociants pour
protéger leurs parts de marché ». Que les
autorités ivoiriennes soient au courant ou
non de l’identité du bénéficiaire réel de ces
sept cargaisons annuelles, on devine aisément le mobile d’une dissimulation. En Mauritanie, quelques mois avant le renversement
du président mauritanien, Trafigura
avait raté un marché d’approvisionnement
en pétrole. La compagnie avait pourtant pris
la peine, en septembre 2007, d’emmener
dans ses bagages le directeur d’un quotidien
ivoirien qui, lors d’une conférence de
presse à Nouakchott, rejeta les « déboires »
de la multinationale en Côte d’Ivoire sur le
contexte politique ivoirien [2].

Du pétrole dans les artères de la future capitale ?

Dans une lettre d’intention au FMI, le gouvernement
ivoirien s’était engagé en juillet
2007 à réduire les dépenses pour le transfert
de la capitale politique à Yamoussoukro.
L’Ivoiro-libanais Pierre Fakhoury, architecte
de la pharaonique cathédrale Notre-
Dame de la Paix, dirige les travaux de la future
capitale. L’attribution de la construction
du palais présidentiel de Yamoussoukro au
groupe français Vinci avait précédé de peu la
venue de Laurent Gbagbo à Paris en février
2004 (Le Monde, 6 février 2004) et coïncidait
avec la création du Carfi, un lobby regroupant
les principales grandes entreprises
françaises investissant en Côte)d’Ivoire (La
Lettre du Continent
, 5 février 2004).
Ce serait dans le cadre du financement des
travaux de Yamoussoukro que l’État ivoirien
a attribué, en janvier 2004, trois blocs
pétroliers à la société Yam’s Petroleum de
Fakhoury (Jeune Afrique, 1er avril 2007). Selon
Libération, le FMI regrette maintenant
que ce financement n’apparaisse pas sur le
budget ivoirien.
Outres les procédures en cours à Paris, à
Londres et à Amsterdam dans le cadre de
l’affaire des déchets toxiques, Trafigura
pourrait aussi avoir des ennuis avec la justice
norvégienne. À la suite de l’explosion
d’un réservoir pétrolier à Slovag, le 24 mai
2007, une enquête de la télévision NRK l’a
mise en cause2. Ses dangereux procédés de
fabrication pour obtenir une essence de très
mauvaise qualité destinée aux pays africains,
seraient à l’origine de l’accident et des déchets
« exportés » à Abidjan. Aujourd’hui,
des symptômes similaires persistent chez les
habitants des environs de Slovag et de certains
quartier d’Abidjan. Les autorités norvégiennes
ont ouvert une enquête.

Rafik Houra

[2Voir www.lecalame.mr/index.php?option=com_content&task=view&id=885 Il s’agit du directeur de l’Intelligent d’Abidjan.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 174 - Novembre 2008
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