Grande absente du procès des déchets toxiques, Trafigura pourrait être la véritable bénéficiaire de cargaisons pétrolières ivoiriennes
Le procès des déchets toxiques s’est conclu le 22 octobre avec la condamnation de deux accusés (lire Déchets toxiques : un scandale qui s’éternise). Leurs avocats avaient demandé en vain la comparution en tant que témoin du représentant sur place de la société Trafigura. La presse rapporte que ce dernier a préféré s’éclipser du territoire ivoirien quelques jours avant le début du procès. À l’ouverture de celui-ci, Trafigura s’est contentée de faire savoir par communiqué qu’elle présenterait des experts indépendants en temps voulu pour démontrer que les déchets ne pouvaient pas être la cause des maladies constatées. S’agit-il de l’équipe conduite par Lord Fraser of Carmyllie ? Dès l’automne 2006, Trafigura lui commandait dans les six mois un rapport « indépendant » qui devait être rendu public. Ce n’est que le 30 mai 2007 que Lord Fraser a remis un « rapport intérimaire » [1] d’une dizaine de pages, qui se limite à énumérer les nombreuses raisons pour lesquelles il n’a pu aboutir et que l’on peut résumer à « je ne peux rien dire pour le moment ».
Absente du procès, Trafigura préfère se consacrer à son métier. Selon les informations de La Lettre du Continent, une de ses filiales, Worlwide Energy, bénéficiera, par l’intermédiaire de Yam’s Petroleum de Pierre Fakhoury, de sept cargaisons annuelles de 650 000 barils de pétrole jusqu’en 2010. Malgré le démenti de son président, Frédéric Fatien, il semble bien que la société Worldwide Energy, établie aux Émirats arabes unis, ne soit qu’une façade. L’an dernier, énumérant des contrats pétroliers trimestriels au Nigéria, la publication spécialisée Energy Compass (16 novembre 2007) citait Worldwide Energy parmi trois « entreprises mystérieuses qui ne peuvent être proprement identifiées », ajoutant que, selon des sources, parmi elles se trouveraient des « sociétésécrans établies par des négociants pour protéger leurs parts de marché ». Que les autorités ivoiriennes soient au courant ou non de l’identité du bénéficiaire réel de ces sept cargaisons annuelles, on devine aisément le mobile d’une dissimulation. En Mauritanie, quelques mois avant le renversement du président mauritanien, Trafigura avait raté un marché d’approvisionnement en pétrole. La compagnie avait pourtant pris la peine, en septembre 2007, d’emmener dans ses bagages le directeur d’un quotidien ivoirien qui, lors d’une conférence de presse à Nouakchott, rejeta les « déboires » de la multinationale en Côte d’Ivoire sur le contexte politique ivoirien [2].
Dans une lettre d’intention au FMI, le gouvernement
ivoirien s’était engagé en juillet
2007 à réduire les dépenses pour le transfert
de la capitale politique à Yamoussoukro.
L’Ivoiro-libanais Pierre Fakhoury, architecte
de la pharaonique cathédrale Notre-
Dame de la Paix, dirige les travaux de la future
capitale. L’attribution de la construction
du palais présidentiel de Yamoussoukro au
groupe français Vinci avait précédé de peu la
venue de Laurent Gbagbo à Paris en février
2004 (Le Monde, 6 février 2004) et coïncidait
avec la création du Carfi, un lobby regroupant
les principales grandes entreprises
françaises investissant en Côte)d’Ivoire (La
Lettre du Continent, 5 février 2004).
Ce serait dans le cadre du financement des
travaux de Yamoussoukro que l’État ivoirien
a attribué, en janvier 2004, trois blocs
pétroliers à la société Yam’s Petroleum de
Fakhoury (Jeune Afrique, 1er avril 2007). Selon
Libération, le FMI regrette maintenant
que ce financement n’apparaisse pas sur le
budget ivoirien.
Outres les procédures en cours à Paris, à
Londres et à Amsterdam dans le cadre de
l’affaire des déchets toxiques, Trafigura
pourrait aussi avoir des ennuis avec la justice
norvégienne. À la suite de l’explosion
d’un réservoir pétrolier à Slovag, le 24 mai
2007, une enquête de la télévision NRK l’a
mise en cause2. Ses dangereux procédés de
fabrication pour obtenir une essence de très
mauvaise qualité destinée aux pays africains,
seraient à l’origine de l’accident et des déchets
« exportés » à Abidjan. Aujourd’hui,
des symptômes similaires persistent chez les
habitants des environs de Slovag et de certains
quartier d’Abidjan. Les autorités norvégiennes
ont ouvert une enquête.
Rafik Houra
[2] Voir www.lecalame.mr/index.php?option=com_content&task=view&id=885 Il s’agit du directeur de l’Intelligent d’Abidjan.