Le 29 mars 2009, le projet de loi sur la départementalisation de Mayotte sera soumis à consultation auprès des Mahorais(es). Ce statut de département d’Outre-mer (DOM) renforcera « l’ancrage définitif » de Mayotte dans la France [1].
Un « ancrage » et un projet de référendum pourtant illégaux pour la communauté internationale au regard des résolutions de l’ONU. Il faudra d’ailleurs que les chancelleries de l’Union européenne (UE) expliquent comment elles pourront reconnaître Mayotte comme Région ultra-périphérique (RUP) de l’Europe, où s’appliquerait dès lors le régime commun (voir encadré), alors que ces États ont voté presque toutes les vingt résolutions reconnaissant Mayotte comme comorienne et condamnant fermement la France depuis 1975.
Par quels réseaux les rappeler à l’obligation de continuité de l’État ?
En tout état de cause, la départementalisation consacrerait de fait, via l’annexion pure et simple de Mayotte par la France, une situation humaine des plus dramatiques : de nombreuses familles séparées par la « frontière française » autour de Mayotte, les traversées clandestines sur de frêles embarcations au prix de nombreuses noyades (plus de 7000 morts depuis l’introduction du visa Balladur-Pasqua en janvier1995). L’expulsion ensuite : en 2008, il y en a eu 13000 depuis Mayotte, à comparer aux 29 000 dont Brice Hortefeux est si fier. Les conditions de vie des Comoriens traqués à Mayotte sont indignes d’une République, et aggravées par une campagne lancée en 2005 sur le thème du « droit du sang » (Billets d’Afrique n°143 et n°170).
Rappelons que l’archipel des Comores (la Grande Comore, Anjouan, Mohéli, Mayotte) devait former en 1975 un État indépendant. Tournant le dos au droit onusien, qui impose le respect des frontières issues de la colonisation, la France conservera Mayotte dans son giron en procédant au décompte des suffrages île par île. Mayotte sera donc rattachée à l’Hexagone par un statut mouvant, en toute illégalité. Parallèlement, la partie indépendante de l’Archipel a été déstructurée politiquement par une série de coups d’État organisés par des mercenaires français, Mayotte leur servant souvent de relais. Pour conserver Mayotte, la France joue principalement deux stratégies. D’abord, celle de maintenir à Mayotte un niveau de vie supérieur à celui du reste de l’archipel des Comores, afin que les Mahorais préfèrent l’administration par la France à l’achèvement de la décolonisation. Il est en effet moins coûteux de perfuser l’économie mahoraise pour qu’elle se maintienne une tête plus haut.
Ensuite, affaiblir politiquement les Comores, et contrôler le mieux possible leur régime par des méthodes barbouzardes, pour anéantir la revendication de la restitution de Mayotte, et servir la politique élyséenne.
En contrôlant le palais présidentiel de Moroni, Bob Denard et compagnie ont pu être des prestataires géopolitiques très appréciés (soutien au régime d’apartheid en Afrique du Sud, interventions mercenaires sur le Continent, etc.) À partir de 1997, ce sont les séparatistes qui ont joué ce rôle destructif. Eux aussi sont des petits protégés de l’Élysée. Le colonel Mohamed Bacar a été l’un des acteurs du séparatisme à Anjouan. Les sécessions déclarées en 1997 ont abouti au changement de constitution, adopté fin 2003, qui a transformé la République fédérale islamique des Comores en Union des Comores (UC), dotée d’un pouvoir fédéral et d’un pouvoir sur chaque île autonome. Le colonel Bacar a ainsi obtenu la légalisation (au moins de façade, le processus électoral ayant été pour le moins suspect) de sa présidence de l’île d’Anjouan.
Après trois décennies de protection juridique apportée à Bob Denard, lui permettant de sortir libre de procès caricaturalement inféodés à la raison d’État française (Billets d’Afrique n°149, dossier spécial), la France a déployé tous les efforts nécessaires pour protéger le colonel Bacar (Billets d’Afrique n°168). Et l’on a vu à nouveau une justice aux ordres jouer de rhétoriques absurdes (voir encadré). Suite à des tractations intenses de Paris, l’ancien dictateur anjouanais a été extradé vers le Bénin le 19 juillet 2008. [2]
L’acharnement de notre pays à protéger l’ex-dictateur d’Anjouan, contre toute raison, renforce les pires soupçons de son implication de premier plan dans les crises séparatistes qui martyrisent les Comores depuis 1997. Après avoir saboté toute émergence politique par le mercenariat, la France aurait donc poursuivi ce jeu de massacre par le séparatisme ?
C’est ce que Nicolas Sarkozy semble avoir affirmé aux comoriens et à la communauté internationale en refusant d’extrader le justiciable Bacar en 2008.
Les responsabilités de la France sont donc accablantes. Il faudra bien que Paris cesse d’occuper illégalement les Comores, et d’empêcher les Comoriens de se saisir de leur histoire, en déchaînant sur l’archipel ses mercenaires, ses services secrets et ses réseaux.
Pierre Caminade
Le statut européen de Mayotte Actuellement, Mayotte est un PTOM pour l’UE, PTOM définis dans l’article 299 du traité d’Amsterdam : « 3. Les pays et territoires d’outre-mer dont la liste figure à l’annexe II du présent traité font l’objet du régime spécial d’association défini dans la quatrième partie de ce traité. » En devenant une Région ultra-périphérique (RUP), le régime commun s’appliquerait, sauf dérogation. L’article 299 du traité d’Amsterdam établit les RUP : « 2. Les dispositions du présent traité sont applicables aux départements français d’outre-mer, aux Açores, à Madère et aux îles Canaries. » Les quatre DOM français ne sont pas énumérés, contrairement aux trois autres territoires. Cela suggère-t-il une automaticité d’entrée dans la catégorie RUP d’un nouveau DOM ? Ce serait aberrant concernant Mayotte, vu que presque tous les autres États européens ont voté les résolutions de l’ONU contre la France sur Mayotte.
Les rhétoriques françaises à l’épreuve des faits
L’Ofpra estimant que le colonel Bacar ne peut pas être renvoyé aux Comores, car il pourrait y risquer sa vie, il ne sera pas jugé par la justice comorienne. Condamné en France à trois mois de prison avec sursis pour entrée illégale d’armes à Mayotte, il n’ira pas en prison.
La cour d’appel l’a relaxé, avec ses hommes pour entrée irrégulière à Mayotte, évoquant des dispositions de la Convention de Genève, en l’occurrence citée hors propos. De fait, cette décision de la justice française signifie que Bacar était menacé aux Comores d’un procès politique, de torture ou de peine de mort. Seule cette dernière affirmation présente un fondement. Les griefs non politiques contre Mohamed Bacar sont largement documentés dans un rapport de la Fondation comorienne des droits de l’homme (FCDH) réalisé sur l’île d’Anjouan du 3 au 9 avril 2008 (http://halidiallaoui.over-blog.com/...).
Rapport accablant dont voici quelques extraits : « la commission a relevé les cas des exactions suivantes : viols, actes de torture, assassinats et portés disparus, détenus [morts] de faim, actes d’extorsion de fonds, vols et actes de vandalisme, exils forcés, corruption et le détournement des deniers publics ». Ainsi, l’assassinat de Naoumane Daniel, âgé de 18 ans, « devant la porte de la résidence de Mohamed Bacar », serait lié à « des raisons rituelles et de gris-gris. D’ailleurs, aucune explication n’a été fournie ni par la FGA [Force au service de Bacar] ni par Mohamed Bacar. » Au sujet des exils forcés : « À Ouani, une trentaine d’hommes et de femmes a été obligée de fuir l’île d’Anjouan pour se réfugier à Mohéli et à Moroni. Ils étaient menacés de torture et de mort. À Nyantranga, une vingtaine d’hommes a vécu dans le maquis de janvier à mars 2008. À Ongoni deux tiers des hommes ont vécu dans le maquis, depuis le mois de décembre jusqu’au jour du débarquement [des troupes de l’Union africaine qui ont destitué le colonel Bacar]. »
Un aller simple pour Maoré, Agnès Fouilleux, autoproduction, 2007, 84 minutes.
Ce documentaire, où nos analyses tiennent une place explicite, a été réalisé entre 2005 et 2007 (Billets d’Afrique n°158). Présenté en 2008 au Festival international des programmes audiovisuels (FIPA) de Biarritz, il vient de trouver un distributeur. Voir des extraits sur www.lesfilms.info/teaser.
L’aller simple pour Mayotte est le parcours que font les Comoriens des trois autres îles de cet archipel depuis que le gouvernement Balladur en a fait des clandestins, en 1995, en instaurant un visa. Nous avons exposé à plusieurs reprise cette aberration et ses causes, mais ce film le fait d’une façon bien plus vivante, et in situ.
De nombreux Mahorais utilisent des clandestins pour leur faire des ménages et travaux à moindre coût. Cet ambulancier emploie des clandestins pour garder ses zébus pendant la journée. Il ne pourrait pas s’offrir de salariés réguliers, car il devrait leur livrer tout son salaire. D’autres commandent des animaux volés, qu’ils achètent au quart du prix du marché, et qu’ils peuvent immédiatement revendre. Jusqu’en 1995, ces ébénistes fort réputés à Mayotte exportaient depuis Anjouan. Depuis, ils ont dû s’installer de façon clandestine à Mayotte, et vendent principalement aux fonctionnaires français, dont les gendarmes qui doivent les arrêter s’ils sortent de la maison de tôles où les sculpteurs sur bois sont installés. Dans leur press-book, un coffre offert au président Chirac lors d’une visite sur l’île. C’est un exemple symptomatique. Le visa force les Comoriens des autres îles à rester à Mayotte, au lieu d’y faire de brefs séjours. La chasse aux clandestins a décuplé sous l’impulsion des déclarations en 2004 de François Baroin, alors ministre de l’Outre-mer, sur le droit du sang. Le film nous entraîne dans l’univers cruel et absurde des incendies commandités par des maires, des soins médicaux obligatoires et interdits à la fois, des risques d’épidémies liés au refus de soigner un quart de la population. Le tout impulsé par le fantasme d’une nationalité française qui serait trop facile à obtenir. Une honte de plus pour notre République, dont le représentant sur place, le préfet, nous expose, en bon « spécialiste », ses stratégies pour répondre aux objectifs chiffrés de déplacements forcés de populations.
[1] Afin de ne pas en surestimer l’aspect « définitif », il convient de se souvenir que l’Algérie fut un département français, donc « plus fortement ancrée » à la France qu’un DOM.
[2] Selon la Lettre de l’océan indien, Thomas Boni Yayi aurait été le seul chef d’État africain contacté par la France à avoir accepté de l’héberger.