Survie

Dans les méandres de l’affaire Kieffer

(mis en ligne le 1er juin 2009) - Rafik Houra

Guy-André Kieffer, journaliste francocanadien à La Tribune et à La Lettre du Continent, a disparu à Abidjan, le 16 avril 2004. Depuis cinq ans, les uns pointent du doigt la présidence ivoirienne et son entourage tandis que d’autres désignent une piste française.

Journaliste spécialisé dans les matières premières, Kieffer s’était établi sur les bords de la lagune Ébrié, fin 2001, et travaillait pour la société Commodities Corporate Consulting (CCC), impliquée dans la réforme du secteur du cacao. Sa disparition a rapidement refroidi les relations franco-ivoiriennes - en admettant qu’elles se fussent réchauffées depuis l’assassinat du correspondant de RFI, Jean Hélène. Pendant que Paris pointait du doigt l’entourage présidentiel, celui-ci insistait sur les dissenssion entre Kieffer et ses employeurs. Pour les uns, sa disparition, imputée à des militaires ivoiriens proches de la présidence, avait un lien direct avec ses écrits sur la Caisse autonome d’amortissement devenue Banque nationale d’investissements. Celle-ci servant de caisse noire au parti au pouvoir. Pour les autres, sa disparition serait la suite logique des menaces de mort qu’il aurait reçues de la part des dirigeants de la CCC à cause d’informations compromettantes qu’il détenait. Sur le plan judiciaire, le juge français, Patrick Ramaël, avait interrogé le beau-frère de l’épouse du président Gbagbo, Michel Legré, et des militaires ivoiriens soupçonnés de faire partie de l’équipe de l’enlèvement. De son côté, le procureur de la République ivoirien a demandé l’inculpation de quatre Français de la CCC : son président Eric Latham, son directeur Stéphane de Vaucelles et leurs associés Jean-Michel Aron- Brunetière et Robert Dulas.
Fin avril, le juge Ramaël a pu interroger, à Abidjan, Simone Gbagbo et le ministre Bohoun-Bouabré. Depuis, la presse des deux pays jouent chacune leur partition.

Diversions ivoiriennes ?

Le quotidien Notre Voie, proche du parti présidentiel, a publié dans son édition du 6 mai 2009, un article explosif intitulé « Disparition de Guy-André Kieffer : Comment la France a tout préparé ». Cet article était accompagné d’un document présenté comme le Bulletin quotidien d’information des services secrets, la DGSE, destiné à l’Élysée. La question de son authenticité est bien sûr posée. Notre Voie suggère que ce Bulletin est issu du dossier Kieffer que l’ancien magistrat Patrick Ouart, conseiller du président Sarkozy à la justice, avait remis au juge Ramaël en juillet 2008. En effet, l’Élysée avait accepté de lui remettre ce dossier laissé par la cellule africaine de l’ex-président Chirac. Par la suite, le même Ouart sera entendu par Ramaël pour subornation de témoin, après qu’un individu, lui ayant demandé à témoigner sous X dans le cadre de l’affaire Kieffer, a fait état des pressions que Ouart aurait exercées pour l’en dissuader.
Quant au contenu du Bulletin publié par le quotidien ivoirien, il insiste sur la nécessité d’empêcher Guy-André Kieffer de communiquer aux autorités ivoiriennes des informations qu’il détenait sur l’implication de la France aux côtés des rebelles ivoiriens. Si, pour l’heure, on peut mettre en doute la véracité du Bulletin, cet article a du moins le mérite de mettre le doigt sur l’existence d’un rapport de la DST consécutif à la disparition du journaliste franco-canadien. Le 20 août dernier, Ramaël avait demandé la déclassification de ce rapport daté du 28 avril 2004. Mais il s’est heurté au refus émis par la Commission consultative du secret de la défense nationale, le 4 décembre.

Contre-diversions françaises ?

Pendant ce temps, la presse tricolore s’emballe pour le témoignage réchauffé de Xavier Ghelber. Le matin du 7 novembre 2004, cet avocat parisien aurait été victime d’un enlèvement qui a tourné court, à l’hôtel Ivoire d’Abidjan [1]. A la suite de sa plainte, le juge Ramaël avait ouvert une information judiciaire, le 17 novembre 2004. Ghelber était à Abidjan dans le cadre d’un audit financier et juridique financé et mené entre 2003 et 2007, par l’Union européenne (UE) d’un montant de près d’un demi-million d’euros. Rejeté par Bruxelles car « truffé d’erreurs, de présomptions et de jugements de valeur » (Libération, 20 janvier 2006), le prérapport de cet audit avait fuité avec, en préambule, des « remerciements aux officiers français qui, en mettant en sécurité les experts, ont permis que ce rapport soit établi. En effet, des officiers français ont exfiltré les deux experts, dans des circonstances particulièrement difficiles, faisant preuve d’un courage et d’un sang-froid exemplaire. Ce genre d’exploit mérite d’être signalés et ces militaires remerciés » [2]. Les experts indiqués comme auteurs de cette version préliminaire du rapport sont Sid Amiri et Alain Gourdon. Ghelber n’apparaît donc qu’au travers de son associé, l’avocat Gourdon. Quant à Amiri, il est expert financier auprès de l’Association Développement et Solidarité, dont le vice-président est le très françafricain Jean-François Charrier, ex-colonel de la DGSE (Noir Chirac, les Arènes, 2002).

Rafik Houra

[1Au coeur donc des « événements » de novembre 2004.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 181 - Juin 2009
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