Survie

La coopération militaire française change de nom, pas de logique

(mis en ligne le 18 juin 2009) - Victor Sègre

La coopération militaire française englobe désormais le soutien aux forces civiles de maintien de l’ordre avec pour objectif la “stabilité” des pays “demandeurs”. Une reconnaissance officielle de son savoir-faire en matière de répression ?

Depuis le 16 mars dernier, la Direction de la coopération militaire de défense (DCMD), toujours très majoritairement orientée vers l’Afrique subsaharienne, est devenue la Direction
de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), nous apprend le site du ministère des Affaires étrangères [1].Cette nouvelle structure inclut désormais la coopération en matière de police et de sécurité intérieure et civile, jusque-là gérée par le SCTIP (Service de Coopération technique internationale de police), dépendant du ministère de l’Intérieur.
Que la coopération militaire française englobe désormais l’aide au maintien de l’ordre intérieur, voilà qui peut paraître logique, depuis le temps que la France forme des armées africaines qui n’ont que la répression pour raison d’être. A moins qu’il ne s’agisse de militariser les forces de l’ordre civiles ?

Officiellement, « l’élargissement des compétences de l’ancienne DCMD à la coopération
de police et de sécurité civile traduit la volonté, énoncée dans le livre blanc Affaires étrangères et celui Sécurité et défense, d’un traitement global de ces problématiques.
 »
On pensait naïvement que le dernier Livre blanc, qui introduit effectivement une confusion entre les missions de défense et de sécurité intérieure (justifiant par avance l’éventuel règlement militaire d’une crise sociale ou politique), avait pour prétention d’analyser les périls du monde de demain afin adapter l’outil militaire français, dans le cadre d’une défense européenne. On n’avait pas compris que ses conceptions avaient vocation à s’imposer aux autres forces de sécurité de la planète... Mais si, il s’agit bien de « promouvoir le modèle de défense et de sécurité français ». « Les affaires étrangères s’occupent de “coopération structurelle” et non “opérationnelle” ; il s’agit d’aider les pays demandeurs à se doter de systèmes de sécurité plus performant ». A cet égard, le Togo et le Bénin font figure de réussites, affirme-t-on au Quai, puisque « les forces armées de ces pays ont joué un rôle stabilisateur lors des processus électoraux troublés » [2]. Si les « processus électoraux troublés » désignent pudiquement les dernières élections présidentielles au Togo, le « rôle stabilisateur » des forces armées avait effectivement été une grande « réussite » : plus de 400 morts et des milliers d’exilés selon le décompte de l’ONU. Le site du ministère a beau afficher « la préservation de l’État de droit, des libertés individuelles et des droits de l’homme » en première position des objectifs assignés à la DCSD, on voit mal dans ces conditions en quoi les « systèmes de sécurité plus performant » dont il s’agit de doter les « pays demandeurs » diffèrent de ceux qu’on a formés jusqu’à présent... Il s’agit aussi accessoirement « de soutenir les exportations d’équipements militaires français  », qui, comme chacun sait, aident grandement à la préservation de l’État de droit et des libertés individuelles, etc.

La DCSD se fixe également pour objectif au travers de sa formation « de privilégier la réflexion et l’action en commun pour optimiser l’emploi des structures de défense et de sécurité ». Mais l’on s’interroge face à cette formulation ambiguë : faut-il comprendre que l’on cherche à privilégier « l’action en commun » des forces de défense et de sécurité (armée-police) ou bien que pour optimiser l’emploi de ces dernières, on cherche à privilégier l’action en commun avec la France (au détriment des autres pays) ?
Enfin « la coopération de sécurité et de défense vise aujourd’hui à garantir la stabilité des
pays partenaires, condition essentielle de leur développement, tout en soutenant l’extension
de l’influence française dans le monde
. » On sait ce que « stabilité » signifie dans la bouche
des militaires, des diplomates et des présidents français. Alliée à « l’influence française », c’est la « condition essentielle » de leur développement.

[2J.-D. Merchet, Blog Secret Défense, 29 avril 2009, http://secretdefense.blogs.
liberation.fr/defense/2009/04/le-quai-dorsayr%C3%A9organise-sa-coop%C3%A9ration-ded%C3%A9fense.html

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 181 - Juin 2009
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