Survie

Nouvelles révélations dans l’assassinat de Thomas Sankara

(mis en ligne le 1er septembre 2009) - Bernard Farguet

Ombres africaines, un documentaire [1] diffusé le 15 juillet dernier sur la chaîne publique italienne RAI 3 contient de nouveaux témoignages en provenance du Liberia sur l’assassinat de Thomas Sankara. C’est la première partie d’une trilogie sur le Liberia réalisée par le journaliste d’investigation Silvestro Montanaro.

Thomas
Sankara,
président du
Burkina Faso,
assassiné le
15 octobre
1987

Notons d’abord que d’anciens proches de Charles Taylor, confi rment en termes assez précis la participation de la France et de la Libye au complot international pour assassiner Sankara, l’exécution en ayant été confi ée à Blaise Compaoré et à son adjoint d’alors, Gilbert Guenguéré. Ce dernier, ancien chef des commandos de Po, actuellement conseiller à la présidence, responsable des questions militaires, a été élevé au rang de chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur lors d’un passage en France en mai 2008. Certains d’entre eux affi rment avoir participé à l’assassinat de Sankara sous la direction de Charles Taylor. Ils rejoignent d’autres témoignages, notamment ceux de Prince Johnson en 2008.

La grande nouveauté de ce documentaire c’est qu’il met en cause aussi la CIA à plusieurs reprises avec des témoins différents. En particulier, Cyril Allen, ex-chef du parti de Taylor et aussi président de la compagnie pétrolière, lorsque celui-ci était président du Liberia. Il déclare, à propos de l’assassinat de Sankara : « Le piano fut accordé par les Américains et les Français. Il y avait un homme de la CIA à l’ambassade des États-Unis au Burkina qui travailla en étroit contact avec le chef des services secrets de l’ambassade française, eux ont pris les décisions les plus importantes. »

En 1985, Charles Taylor était détenu aux États-Unis, pour détournement de fonds et devait être extradé au Liberia. Avant son arrivée en Afrique, il se serait évadé des États-Unis, ce qui depuis longtemps semblait suspect. Or Taylor, actuellement jugé depuis le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, vient de raconter tout récemment sa propre version de cette évasion- libération…Selon une dépêche de l’AFP du 15 juillet : « L’accusé (Charles Taylor) a expliqué qu’un gardien avait fait irruption, le 15 septembre 1985, dans sa cellule dans un quartier de haute sécurité puis l’avait conduit dans une aile moins surveillée. « Deux autres détenus se trouvaient là », a poursuivi M. Taylor. « On s’est approchés de la fenêtre. Ils ont pris un drap et l’ont attaché aux barreaux. Nous sommes sortis à l’extérieur. Une voiture nous attendait ». « Je n’ai rien payé. Je ne connaissais pas ces personnes qui m’ont récupéré », a assuré l’accusé. »

C’est on ne peut plus clair. A noter que dans une autre dépêche de l’AFP datée du 22 décembre 2008, on peut lire : « Un parlementaire américain en visite à Monrovia a admis que “les Américains ont aidé à renverser William Tolbert (assassiné en 1980 durant le coup d’État sanglant de Samuel Doe) parce qu’il ne faisait pas ce qu’ils voulaient” », avait déclaré M. Simpson, comparaissant devant la commission Vérité et Réconciliation (TRC) du Liberia. “Samuel Doe et Charles Taylor ont connu le même sort parce qu’ils ont refusé de prendre leurs ordres auprès de Washington”, avait ajouté l’ancien ministre. »

En effet, s’il a été soutenu par les Américains pour prendre le pouvoir, ces derniers ont multiplié les déclarations contre lui à l’époque au début des années 2000.

Il faut dire qu’après l’attaque de deux ambassades américaines en Afrique de l’Est en 1998 et surtout après le 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme est devenue la priorité. Or, dans une longue enquête du Washington Post publié le 29 décembre 2002, le journaliste Douglas Farah décrit comment des vendeurs de diamants en provenance du Liberia, proches de Charles Taylor et du RUF, travaillaient en réalité aussi pour Al Qaida. « Deux d’entres eux Ghailani et Mohammed auraient séjourné jusqu’en été 001 dans la suite présidentielle [à Ouagadougou] dans la zone du Bois, appelée « Maison des Hôtes. » Un autre, un certain Ibrahim Bah, connu dans l’entourage de Blaise Compaoré, était considéré par le département d’État américain comme un agent d’Al Qaida ». A partir de cette période, Taylor, qui a caché certains de ces agents d’Al Qaida dans un de ses camps militaires, a été rangé dans le camp des ennemis pour les Américains. Blaise Compaoré subissait aussi alors de nombreuses attaques des États-Unis et le Burkina avait évité de justesse le boycott de la communauté internationale. Mais Blaise Compaoré saura retourner la situation en livrant Ibrahim Bah aux Américains. (Washington Post du 29 décembre 2002 enquête de Douglas Farah) L’ex-femme de Charles Taylor, qui affirme, dans le documentaire, être sûre que la CIA est impliquée, laisse aussi entendre que Charles Taylor est loin d’avoir tout dit et qu’il peut mettre encore en cause de nombreuses personnalités. Or le Tribunal spécial qui le juge tire la sonnette d’alarme à propos du fi nancement insuffi sant, ce qui pourrait empêcher que ce procès soit mené jusqu’à son terme.

Toutefois, ces nouveaux témoignages continuent d’entretenir la confusion, après les déclarations de Prince Johnson en 2008, sur le rôle exact qu’ont tenu les Libériens. Cette fois, deux d’entre eux affi rment que c’est Blaise Compaoré qui aurait lui-même tiré sur Sankara, en leur présence, la nuit, alors que de nombreux témoignages et enquêtes se rejoignent sur le fait que Compaoré n’était pas présent sur les lieux de l’assassinat qui a eu lieu entre 16 heures 30 et 17 heures. C’est Guenguéré qui lui aurait fait le compte rendu des événements.

Décidément, il est grand temps que la communauté internationale s’implique dans la recherche de la vérité et des pays comme la France et les États-Unis, qui affi rment vouloir changer leur rapport avec l’Afrique, ouvrent leurs archives sur cet assassinat, ce qui serait un signe fort, et compris comme tel en Afrique.

Bernard Farguet

[1L’intégralité du documentaire peut être visionnée à l’adresse rai.tv/dl/RaiTV. La traduction de la retranscription des témoignages est disponible sur le site thomassankara.net

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 183 - Septembre 2009
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