Marou Amadou préside un important groupement d’associations de la société civile nigérienne, le Fusad (Front Uni pour la Sauvegarde des Acquis Démocratiques). Ses critiques répétées du coup d’Etat constitutionnel lui ont valu intimidations, harcèlement, emprisonnement et menaces de mort.
Billets d’Afrique (BDA) - Racontez-nous
votre arrestation
Marou Amadou : Vous vous rappelez
que le neuf août dernier, nous avons appelé
à un retour à la situation constitutionnelle
normale et nous avons demandé
aux populations nigériennes de s’engager
dans une mobilisation générale jusqu’à
la chute du régime d’exception qui nous
a été imposé. Dès le lendemain j’ai été
interpellé par la police judiciaire pour atteinte
à la sûreté de l’Etat, charge dont
le juge m’a relaxé. C’est au moment où
je devais remplir les formalités de levée
d’écrou, dans l’après midi, que deux
véhicules des Forces Nationales d’Intervention
et de Sécurité (FNIS) m’ont
enlevé aux portes de la prison civile de
Niamey. Le soir, j’étais à la prison de
haute sécurité de Koutoukalé, séquestré
sans mandat de dépôt puis ramené le lendemain
à Niamey. Alors que je signais
enfin la levée d’écrou, un autre véhicule
de la police m’attendait aux portes de la
prison. De là, j’ai été transporté à la PJ
où une nouvelle procédure a été engagée
contre moi pour « création et administration
de groupement ou d’association
non déclarée ». Un « délit » absolument
pas prévu et encore moins puni par la loi.
Après plus d’un mois, le quinze septembre,
j’ai été remis en liberté provisoire par
la cour d’appel de Niamey. Dès le seize
septembre, j’ai été, une fois de plus, menacé
d’enlèvement m’obligeant à entrer
en clandestinité durant trois jours. Après
avoir obtenu des garanties par la police, rendre la lutte aux côtés des autres forces
démocratiques.
BDA - Il semble qu’il y ait un acharnement
contre vous puisque ces arrestations
ne sont pas les premières de
l’année, savez-vous combien d’autres
personnes sont emprisonnées actuellement
pour des motifs politiques ?
MA - En effet, j’ai été interpellé auparavant
le 29 juin dernier, alors que je venais
d’accorder une interview sur la télévision
privée Dounia, le soir même de la dissolution
de la cour constitutionnelle. On
m’a reproché d’avoir « porté atteinte à la
sûreté de l’Etat », « d’avoir entrepris la
démoralisation des forces armées » et
« d’avoir provoqué les forces de défense
et de sécurité à la désobéissance ». Les
deux premiers chefs d’accusation n’ont
pas été retenus par le juge. Pour le troisième,
le juge m’a remis en liberté provisoire.
On peut parler de harcèlement, un
classique du combat entre démocratie et
dictature. Une dictature n’a pas d’autre
méthode que l’acharnement, cela rentre
dans la logique de tout pouvoir tyrannique
que de s’acharner contre ceux qui résistent
à la restauration autoritaire.
Depuis le début de cette crise institutionnelle
au Niger, plus de 150 Nigériens ont
été interpellés ou arrêtés. Actuellement
on évalue à plus de cinquante personnes
le nombre de gens incarcérés soit pour
des délits d’opinions soit pour des participations
à des manifestations.
BDA - Après plusieurs mois de mobilisations,
où en est le mouvement
anti-tazarché [1] et quelles organisations
regroupe-t-il ?
MA : Au tout début, il n’y avait que les
organisations de sociétés civiles qui ont
donné l’alerte sur les intentions du président
Tandja de ne pas quitter le pouvoir
au terme de son deuxième mandat. Le
six novembre 2008, nous avions publié
notre première déclaration anti-tazarché
suite aux appels soi-disant « populaires »
lancés par les soutiens de Tandja le 31
octobre 2008 à Zinder. Depuis cette déclaration,
les associations de la société
civile, réunies au sein du Front Uni pour
la Sauvegarde des Acquis Démocratiques
(FUSAD), que je dirige actuellement, se
sont battues. C’est vers le mois d’avril, au
lendemain de la visite de Nicolas Sarkozy
que les partis politiques commencent
vraiment à s’inquiéter. Tandja avait profité
de cette visite d’Etat pour affirmer
que le peuple lui demandait de rester et
que l’Assemblée Nationale aurait à traiter
cette demande. En avril, nous nous sommes
regroupés pour créer le Front pour
la Défense de la Démocratie (FDD) qui
comprenait le PNDS (Parti Nigérien pour
la Démocratie et le Socialisme), le parti
Loumana, l’ANDP, et d’autres. Plus tard,
en juillet, le MDDR (Mouvement pour la
Défense de la Démocratie et la République)
a vu le jour. Il comprenait un parti
anciennement membre de la majorité au
pouvoir, la CDS (Convention Démocratique
et Sociale), et l’ITN qui rassemble
l’ensemble des centrales syndicales du
pays (huit centrales).
Tous ces fronts composent aujourd’hui le
CFDR (Coordination des Forces pour la
Démocratie et la République) qui comprend
vraiment l’ensemble des forces
sociales et politiques représentatives.
Tandja peut seulement se prévaloir de
quelques partis politiques croupions non
représentés à l’Assemblée Nationale. Le
parti au pouvoir est, lui, très affaibli avec
le départ des partisans de l’ancien Premier
ministre, Hama Amadou, qui ont créé le
parti Loumana.
Notre mouvement se renforce de jour en
jour et devient de plus en plus cohérent
dans sa volonté de faire aboutir le combat
pour la restauration de la démocratie.
Niamey était, le 26 septembre, en état de
siège avec des colonnes impressionnantes
de véhicules de police et de gendarmerie
qui quadrillaient la ville à cause de notre
manifestation. C’était la même chose sur
toute l’étendue du territoire.
BDA - Que pensez-vous de l’attitude de
la communauté internationale depuis la
tenue du référendum du quatre août ?
Et plus particulièrement de l’attitude de
la France ?
MA - Au niveau de l’Afrique, les forces
démocratiques et le peuple nigérien en
général, ont salué la position très ferme
de la Communauté des Etats d’Afrique
de l’Ouest (CEDEAO) qui a sérieusement
dénoncé le « coup d’Etat constitutionnel
de Tandja » et qui a exigé de
lui un retour à l’ordre constitutionnel.
Hélas, le sommet des chefs d’Etats de
la CEDEAO qui devait avoir lieu le
cinq septembre pour sanctionner le régime
d’exception de Tandja, n’a pas
eu lieu. L’Union Africaine (UA) et son
Président, Kadhafi, a réussi à repousser
l’examen de la situation nigérienne, où
le pouvoir viole le protocole additionnel
de la CEDEAO sur la gouvernance et la
démocratie. L’UA aurait pu forcer le régime
à revenir en arrière mais Kadhafi
n’a jamais été neutre dans cette affaire,
il est même venu soutenir Tandja. Ainsi,
le 1er septembre il y a eu une rencontre
entre les chefs d’Etat libyen et nigérien
à Tripoli et le sommet prévu pour le
cinq a été repoussé sans surprise.
Au niveau de l’Afrique, tout le monde est
conscient que si le cas Niger devait être
entériné on pourrait dire adieu à la démocratie
sur tout le continent. Voyez ce qui
se passe en Guinée ou même au Sénégal
avec le président sénégalais Wade déclarant
qu’en 2012 il faut qu’il se succède à
lui-même s’il a la possibilité physique de
le faire. On assiste à la confiscation des
régimes démocratiques sur le continent.
Dans le reste du monde, les Etats-Unis
ont dénoncé la prise anti-démocratique
du pouvoir à Niamey le quatre août. Le
11 juillet, l’Union européenne a menacé
de suspendre toute sa coopération avec le
Niger en vertu de l’article 96 des accords
de Cotonou. Paris a hésité au début,
Sarkozy ayant tenu un discours ambigu,
le 27 mars, à Niamey où ses positions
ne sont apparues ni claires, ni fermes.
Il s’est rattrapé plus tard lorsqu’il a estimé
que Tandja dans son entreprise ne
visait que des intérêts particuliers et sûrement
pas l’intérêt général du Niger. Le
14 juillet passé, l’ambassadeur de France
au Niger a également été très clair dans
son allocution et a dénoncé la violation
de l’ordre constitutionnel au Niger. Mais
depuis le référendum du quatre août, les
communiqués du Quai d’Orsay sont devenus
très équivoques, reconnaissant le
référendum, ce qui a beaucoup inquiété
l’ensemble des forces démocratiques au
Niger. La France dit « avoir pris note du
résultat du référendum » et affirme qu’il
y a une différence entre prendre note et
prendre acte. En tout état de cause, la
France des droits de l’homme ne peut
pas voir seulement ses intérêts miniers
en Afrique. Pour nous c’est très clair, si
le peuple français doit entrer en coopération
en Afrique, ce doit être avec les
peuples africains, pas avec des régimes
antidémocratiques. La France n’a
aucun intérêt durable à copiner avec
des régimes à la nature purement tyrannique.
Le Quai d’Orsay continue de
dire qu’il reste attentif à l’organisation
d’élections législatives ouvertes, libres
et transparentes. Nous voulons surtout
le retour à l’ordre constitutionnel, pas
des élections législatives. Nous continuons
à espérer que Paris va revenir à
des positions beaucoup plus soucieuses
du respect de la démocratie au Niger.
L’uranium ne doit pas obscurcir les visions
démocratiques de Paris !
BDA - Comment les élections législatives
du 20 octobre vont-elles se
dérouler ?
MA - Si elles doivent se tenir, elles se
tiendront de manière monocolore : il n’y
a que des partis qui ne représentent rien
et qui vont siéger au Parlement. C’est le
retour au monopartisme, à la dictature, à
un régime autocratique, rien de plus. La
France le sait très bien !
BDA - Que pensez-vous du prolongement
de l’état d’exception au Nord alors
que la rébellion est cantonnée depuis
plusieurs mois ?
MA - Cela dure depuis de longues années
et c’est difficile pour moi de commenter
ce sujet. Cela met en jeu des
questions de sécurité nationale et lorsqu’il
s’agit des forces armées nationales,
il est difficile de se prononcer autrement
qu’en disant que nous leurs devons
notre soutien. Ce qui est sûr, c’est que le
régime de Niamey utilise cette situation
à son avantage. Tandja utilise l’armée à
des fins personnelles. C’est un point de
vue purement politique et je le répète,
lorsque nous touchons à un sujet lié à la
sécurité nationale, nous ne pouvons pas
déclarer autre chose qu’une position de
soutien moral.
BDA - Alors que le Niger a connu la
plus forte croissance des pays d’Afrique
en 2008, avez-vous des craintes
concernant le développement des secteurs
minier et pétrolier ?
MA - Cette année, nous allons passer
de 9% de taux de croissance à 3% tout
au plus, la chute est claire ! C’est ce
que nous disons au régime de Tandja :
il ne faut pas qu’il pense que le taux de
croissance est dû à son génie personnel
qu’il prétend avoir. Cette croissance est
due à une conjoncture favorable, pas
autre chose. On a accordé des permis de
prospection à tord et à travers sur fond
de corruption aggravée. Areva le sait
très bien et les Chinois aussi. Les pots
de vin se sont multipliés. Les enfants
de Tandja sont impliqués, personne ne
peut justifier que le fils du président
puisse toucher plus de quatre millions
de dollars dans une affaire et cinq millions
dans une autre. C’est absolument
inouï ce qui se passe dans le pays. Et
c’est toute cette mafia qui est soutenue
par les positions complaisantes à
l’égard du Niger. Les organisations qui
travaillent avec nous dans le cadre de
la transparence dans les industries extractives
n’ont eu de cesse de dénoncer
cet état de fait.
BDA - Est-ce que vous et vos camarades
avez le sentiment d’être en danger ?
Etes-vous soutenus ?
MA - C’est sûr que nous sommes soutenus
moralement à l’extérieur du pays.
Ma vie est directement menacée. Mais
nous n’avons d’autre choix que de tenir
bon, nous devons nous battre pour la
défense de la démocratie. La dictature
ne peut être une option à laquelle nous
devons adhérer par peur ou par crainte.
Le soutien de Survie, des autres ONG
internationales est un réel motif d’encouragement.
A ma libération de la prison de
haute sécurité de Koutoukalé, mes premiers
mots avaient été pour les remercier.
Nous avons le droit de vivre dans
des régimes de démocratie et de liberté.
L’Afrique ne doit pas être un continent
de tyrannie, de dictature, de despotisme
et de misère. Il n’y a aucune autre réponse
valable pour les Européens et les Africains
qu’un développement responsable
et dans la liberté pour tous.
Propos recueillis par Danyel Dubreuil
[1] Tazarché : littéralement, continuité = maintien au pouvoir du président Tandja