Survie

Foccart le guadeloupéen

(mis en ligne le 1er novembre 2009) - Mathieu Lopes

La grève menée, début
2009, par le LKP comportait,
parmi ses revendications,
des « poursuites contre les
responsables des massacres
de mai 67 à Pointe à Pitre ».
Avec le souvenir de cette
répression sanglante,
resurgit un vieux fantôme :
Jacques Foccart.

Fils d’un planteur guadeloupéen,
béké créole, le bras droit du général
De Gaulle et architecte des réseaux
françafricains, fut en effet, de 1947 à 1949,
« délégué du RPF pour les Antilles. Non seulement
il gardera toujours une certaine prédilection
pour la Guadeloupe, mais quand
De Gaulle reviendra au pouvoir, il considérera
cette île comme son apanage »
(P.
Péan, L’homme de l’ombre, 1998).

Dans un climat de déception, après la départementalisation
de 1946, qui tardait à
rompre avec l’ancien statut de colonie,
les aspirations indépendantistes s’organisaient
peu à peu, notamment au sein du
GONG (Groupe d’Organisation Nationale
de Guadeloupe). Un sentiment indépendantiste
grandissant qu’il fallait mater. Un
commerçant blanc, M. Srnsky, mis le feu
aux poudres en lâchant son chien sur un
infirme noir. Des émeutes s’en suivirent
en mars 1967, puis des grèves, au mois de
mai. Les gendarmes firent alors feu sur les
manifestants et des personnes témoignèrent
d’exécutions sommaires. Les membres
du GONG furent particulièrement
pris pour cibles. Le ministre de l’Outremer
reconnut en 1985 [1] 87 morts, mais le
bilan fut probablement bien plus lourd.

Dans l’émission Rendez-vous avec X
(France Inter, 7 mars 2009) « M. X » évoqua
la possibilité que l’ordre de tirer fut au
moins couvert, sinon donné par Foccart.
Lors du procès intenté à des membres du
GONG [2], présentés comme de dangereux
meneurs d’une insurrection devant la Cour
de Sûreté de l’Etat, les avocats demandèrent,
sans succès, la comparution de Foccart comme
témoin.

Ce procès fut, en revanche, l’occasion d’entrevoir
la fraude électorale mise en oeuvre par
Foccart afin d’assurer la victoire de la droite et
de contenir les communistes guadeloupéens,
inspirés par le voisin cubain. L’homme à
l’origine des émeutes, M. Srnsky était en effet
agent électoral du parti gaulliste, l’Union
pour la Nouvelle République (U.N.R). Au
lendemain des élections de mars 1967, il rendit
public un télégramme qu’il avait envoyé
à Foccart, sur lequel on pouvait lire : « Ai
contribué à sauver une voix majorité gouvernementale...
stop sollicite un secrétaire
général U.N.R. qualifié pour la Guadeloupe
stop. Demander confirmation préfet et votre
soeur. Ai pu éviter beaucoup de voix communistes.
Pour moi sollicite renvoi un agent de
police parjure et un officier de police adjoint
fabricant de faux dans un cas de renvoi de
deux autonomistes... »
 [3]. La soeur évoquée
dans le télégramme est celle de Foccart, Mme
Lamare. D’après les avocats de la défense,
le préfet et Srnsky se réunissaient chez elle
régulièrement. On comprend mieux ce point
du programme d’un candidat communiste de
l’époque, qui promettait : « l’épuration des
moeurs électorales en Guadeloupe »
.

Il semble que Foccart, comme il s’est employé
à sauvegarder les intérêts économiques
français dans les anciennes colonies africaines
en y installant des dictateurs, s’est employé
en Guadeloupe à garder la mainmise
politique, autant pour le compte du gaullisme
que pour ses intérêts familiaux. Le documentaire
Les derniers maîtres de la Martinique
permet d’appréhender l’importance des liens
familiaux dans les économies de plantation
aux Antilles. « Les français ignorent probablement
que c’est à Jacques Foccart qu’ils
doivent de n’avoir mangé que des bananes
des Antilles, probablement les plus chères du
monde pendant de très nombreuses années.
Les producteurs antillais ont du en montrer
bien de la reconnaissance à Foccart et à ses
amis gaullistes. »
(P. Péan, op. cit.).

[1Dans un geste de « bonne volonté » face à de
nouvelles émeutes en Guadeloupe

[2La minute du procès (février à mars 1968) est
reproduite dans Le Procès des Guadeloupéens,
dix-huit patriotes devant la Cour de Sûreté de
l’Etat français
, ed. L’Harmattan, 1969

[3Télégramme publié par Jean-Paul Sartre dans
sa revue Les Temps Modernes. Sartre témoigna
d’ailleurs en soutien aux inculpés lors du procès.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 185 - Novembre 2009
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