Survie

La visite nocturne de Sarkozy à Omar Guelleh

(mis en ligne le 1er février 2010) - Jean-Loup Schaal

C’est au retour de son séjour à La Réunion et à Mayotte, que Nicolas Sarkozy a fait une halte surprise, le 19 janvier, pour y rencontrer son homologue djiboutien Omar Guelleh. Une rencontre nocturne où il a été question de « l’ensemble des questions bilatérales ». Revue des dossiers qui ont pu être abordés officiellement ou secrètement.

D’abord, sur le plan intérieur djiboutien, la modification constitutionnelle pour un troisième mandat.

Guelleh envisage, en effet, de modifier la constitution afin de briguer un troisième mandat. Deux voies lui sont ouvertes : le vote par une Assemblée nationale sur mesure et « aux ordres » [1] et la voie référendaire, sans suspense aussi, car le pouvoir contrôle le dépouillement des scrutins et publie les résultats qui lui conviennent. Guelleh a-t-il cherché la caution du président français avant de lancer son opération de viol constitutionnel ? C’est une hypothèse vraisemblable, « qui est privilégiée par plusieurs observateurs. »

Ensuite, la renégociation des accords

de défense même s’il est curieux que ce dossier ait nécessité un entretien « surprise  » de trente minutes en pleine nuit. C’est, en tous les cas, ce qu’a rapporté la presse française. Certaines rumeurs, non vérifiées pour le moment, affirment que la France aurait pour projet de déplacer un contingent important de troupes stationnées à Djibouti, vers la nouvelle base d’Abu Dhabi. Ce qui peut inquiéter Guelleh, d’abord pour la sécurité de Djibouti, mais surtout pour ses revenus. Depuis l’arrivée des troupes américaines à Djibouti, le loyer payé par les forces françaises a été revu à la hausse (30 millions d’euros par an), dont une partie alimente certainement la cagnotte personnelle de Guelleh.

Sur le plan régional, Sarkozy et Guelleh ont pu aussi évoquer l’évolution du conflit avec l’Erythrée voisine.

Celle-ci avait annexé, 21 avril 2008, une portion de quelques kilomètres carrés en territoire djiboutien, le rocher de Ras Doumeira. Bien que la zone soit très peu peuplée, ce rocher représente un enjeu stratégique important. Situé au Bab-El- Mandr, il commande le point où la mer Rouge est la plus étroite (environ 20 km). C’est un poste idéal d’observation de tous les navires qui transitent par le canal de Suez. Djibouti et l’Erythrée s’étaient affrontés militairement le 11 juin 2008.

En dépit des communiqués rassurants de la présidence djiboutienne, il semble que ces combats aient fait de nombreux morts, blessés et prisonniers dans les rangs de l’Armée nationale djiboutienne. (AND) Certaines sources citent plus de 500 morts et blessés. Depuis lors, c’est le statu quo sur le terrain.

L’armée française, contrairement à la dernière attaque de 1994, n’est pas intervenue militairement, se limitant à assurer une assistance médicale sur le terrain et un poste d’observation occupé par une centaine de légionnaires. A l’issue de l’entretien, Sarkozy a simplement rappelé que la France avait voté en faveur d’une résolution des Nations unies qui condamne l’Erythrée.

Bolloré de retour ?

Par ailleurs, Djibouti peut craindre une extension de la menace islamiste venue de la Somalie voisine, d’autant plus qu’une partie de sa population, lassée de la dégradation de ses conditions de vie, pourrait être sensible aux appels des intégristes. Les deux chefs d’Etat ont pu également évoquer les conséquences de la crise au Yémen et de la montée du terrorisme, à partir ce pays. Mais on voit mal, comment ce problème, quelle que soit sa gravité, aurait pu justifier la visite personnelle de Nicolas Sarkozy.

A moins qu’entre les deux chefs d’Etat, il ait été question d’un dossier économique  : la gestion du port de Djibouti.

Guelleh avait confié, sans appel d’offre, sa gestion (mais aussi celle de l’aéroport et de la collecte des taxes d’importation) à Dubaï Port Authority. Depuis qu’il a banni son ancien ami et directeur du port, l’homme d’affaires Borreh et que Dubaï connaît des difficultés financières, Guelleh pourrait rechercher un nouveau gestionnaire. Bolloré ?

Une piste d’autant plus plausible que le groupe Bolloré, aurait vu son offre d’investir 500 millions dans le développement du port de Berbera, au Somaliland, rejetée, sous la pression de l’opposition dénonçant la corruption du président Dahir Rayale Kahin.

« Une coopération exemplaire »

Mais quels qu’aient pu être les sujets abordés durant ces trente minutes d’entretien, Guelleh utilisera certainement cette rencontre pour faire savoir qu’il bénéficie du soutien personnel de Sarkozy dans son projet de troisième mandat.

A noter également que le Sénat français n’est pas en reste pour soutenir le régime dictatorial djiboutien. Après avoir organisé un colloque, le 20 octobre 2008, avec la participation de grandes entreprises pour promouvoir les investissements français à Djibouti, malgré les graves atteintes locales aux droits des travailleurs, c’est Claudine Lepage, représentant les Français de l’étranger qui a, à la mi-janvier, rencontré le premier ministre Dileita pour l’assurer de l’amitié et de la coopération française dans le cadre d’une « coopération » qualifiée « d’exemplaire ».

Jean-Loup Schaal

[1L’Assemblée nationale djiboutienne ne compte aucun député de l’opposition. De plus la séparation des pouvoirs exécutifs et législatifs n’est pas appliquée : plusieurs ministres dont le Premier ministre sont aussi députés.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 188 - Février 2010
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