Survie

Rupture à pas mesurés

(mis en ligne le 1er février 2010) - Jean-François de Montvallon

Lecture critique du rapport
annuel du Conseil des
investisseurs français en
Afrique (CIAN).

Dans son éditorial, La Lettre de
janvier/février qui précède de
peu la sortie du rapport annuel du
CIAN, on pouvait lire, sous la plume de
son président actuel, Alexandre Vilgrain,
des nouvelles rassurantes de l’évolution
de « notre jeune continent » (sic), et des
perspectives encourageantes pour 2010.
Puis il écrit ceci : « Rappelons-nous cette
fin d’année 2008, et ce début 2009 ou
notre (jeune) Continent était absent des
préoccupations de tous, tant le monde
dit
“développé” se focalisait sur « sa »
crise.
 » On mesure combien le juste choix
des mots et l’usage habile des parenthèses
et des guillemets permet le développement
d’une pensée synthétique à la fois
claire et subtile.

« Notre (jeune) continent »

L’usage du possessif est certes risqué, des
esprits mal intentionnés pouvant y voir
une résurgence du colonialisme, alors
qu’il s’agit simplement d’exalter la solidarité,
voire même l’esprit de famille [1] qui
inspire les relations entre la France et ses
anciennes colonies.

Quant à la jeunesse dudit continent, en
l’évoquant du bout d’une plume tremblante,
il n’est pas interdit de penser qu’en
son âme et conscience Alexandre Vilgrain
ait pu être saisi de scrupules qui sont tout
à son honneur.

La population africaine est jeune en effet
et ce devrait être un atout. Mais elle crève
de désespoir faute d’écoles, de formation
et tout simplement de perspectives (d’où
sans doute le recours à la parenthèse).
Comment dire les choses sans les dire tout
en les disant…

« Cette fin d’année 2008, et ce début 2009
ou notre (jeune) Continent était absent
des préoccupations de tous.
 » Le rouge
de la honte nous monte au front devant ce
constat sans concession, mais heureusement
le CIAN a su palier notre coupable
indifférence/absence, puisqu’on peut lire
dans le rapport que « les résultats d’exploitation
ont progressé en 2009 pour la
majorité des sociétés.
 » « Le monde dit
« développé » se focalisait sur « sa » crise.
Rafale bien venue de guillemets pour stigmatiser
notre égoïsme et provoquer la réflexion
du lecteur. On appréciera au passage
ce scepticisme à peine caché, peut-être même
un tantinet ironique, sur notre prétendu modèle
de développement aveuglé par sa seule
survie au-delà de « sa » crise.

Venons-en au rapport qui énonce, dans une
tonalité globalement positive (résultats bénéficiaires,
investissements en baisse mais
avec de bonnes perspectives), quelques affirmations
qui ne surprendront personne.

D’abord, l’aide au développement est fortement
contestée par Anthony Bouthelier [2], car
« elle est contrôlée par une poignée d’individus
 » (ah ! ces individus qui nous font tant
de mal…), et « qu’il n’y a pas plus efficace
créateur de richesses que les entreprises
 » .
Bouthelier ne nous explique pas comment
on créait et développait des entreprises dans
des pays qui pour la plupart, n’ont qu’une
idée approximative de ce qu’est un Etat de
droit.

Ensuite, le volume des affaires concerne
essentiellement les extrémités du continent
africain (la RSA et le Maghreb) avec une
relative émergence du Nigeria, du Ghana
et de l’Angola. Les autre pays relèvent d’un
magma d’opportunités.

Des perspectives au doigt mouillé ?

L’ensemble du continent est traité sous forme
de fiches au contenu classique mais qui
font état de notions qui, dans de nombreux
cas, sont virtuelles. Parler de budget en République
du Congo alors que les députés
eux-mêmes n’ont pas d’informations fiables
sur les ressources pétrolières, ou d’un secteur
minier attractif en République démocratique
du Congo qui subit surtout les violences
qu’il engendre, ou encore des perspectives
que représenterait le diamant pour la Centrafrique
alors que le marché est totalement
dérégulé, relève à tout le moins d’un certain
angélisme.

Enfin, il ne faut pas oublier enfin le cri d’indignation
relatif à la corruption qui est à la
politique africaine de la France ce que le triple
salto est au patinage artistique, quasiment
une figure imposée. Un guide a été rédigé par
le CIAN pour « résister aux sollicitations indues
dans le domaine fiscal et douanier
 ».
Face à des « individus » déjà stigmatisés, il
importait en effet que les membres du CIAN
adoptent une certaine ligne de conduite. On
notera avec soulagement qu’il s’agit seulement
de leur permettre de résister.

La durée décente de la période de résistance
n’est pas précisée. Bref plus ça change (ou
au choix plus ça rompt), plus c’est la même
chose.

Jean-François de Montvallon

[1Les exemples ne manquent pas. Le dernier qui
n’est pas le moins attendrissant n’est-il pas la visite
rendue par Christophe de Margerie président de
Total à Denis Sasssou Nguesso dans sa ville natale
d’Oyo dans le nord Congo. Ce privilège est de l’avis
de tous les observateurs tout à fait exceptionnel.

[2Ancien président du CIAN

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 188 - Février 2010
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