Survie

Mauritanie : bilan de 50 ans de souveraineté

(mis en ligne le 3 novembre 2010) - Issa Bâ

La Mauritanie accède
à l’indépendance le
28 novembre 1960.
Rapide bilan des relations
entretenues avec la France à
l’approche du cinquantenaire.

La France a toujours considéré la
Mauritanie comme une colonie
stratégique,
empêchant quiconque
d’y prendre pied. Géographiquement,
elle assurait la jonction entre l’Afrique du
nord française et l’Afrique occidentale
française.

Pendant un temps, il y eut des
hésitations à lui accorder l’indépendance ou
à la démembrer. Finalement, elle décida de
l’existence d’une Mauritanie indépendante
pour faire pièce aux ambitions marocaines,
sénégalaises et maliennes. Mais la France
dut défendre son choix par les armes, dès
1958, contre un mouvement armé prônant le
rattachement de la Mauritanie au Maroc tout
en commettant au passage quelques crimes
de guerre (bombarbements massifs de villes
et répression au Sahara espagnol).

Après
l’indépendance, pour faire face à des attaques
aux frontières mais aussi des attentats, la
France dépêche en Mauritanie un spécialiste
de la guerre contre-insurrectionnelle, le
capitaine Paul-Alain Léger. Pendant la guerre
de libération algérienne, ce dernier avait
dirigé une opération de guerre psychologique
(connue sous le nom de « bleuite ») contre
la 3e wilaya du FLN qui aboutit à la torture
et aux exécutions de plusieurs centaines
d’indépendantistes...

Un état-major français jusqu’en 1962

A propos des relations militaires si particulières
entre la France et la Mauritanie, il est important
de souligner que l’état-major mauritanien
fut... français jusqu’en 1962 et que l’armée
française a activement formé des putschistes
et autres tortionnaires mauritaniens.

Les accords de défense en vigueur de 1960 à
1972 ont aussi assuré à la France le monopole
de la fourniture de matériels militaires, alors
que les accords de coopération militaire
technique signés en 1986 ne sont toujours pas
publiés... sans doute un « oubli », comme l’a
noté ironiquement le rapport Cazeneuve de la
Commission de Défense sur la réforme de la
coopération militaire en 2001.

En outre, des assistants militaires techniques
furent presque constamment présents
en Mauritanie depuis l’indépendance, y
compris de 1989 à 1991 quand l’armée
réprimait violemment les forces d’opposition
démocratique en plus de se rendre coupable
d’un nettoyage ethnique.

En 1977, la France mit en place une
opération militaire d’importance en
Mauritanie qui n’arrivait plus à faire face
au Front Polisario. Ce dernier avait enlevé
des techniciens français, en réponse de
quoi fut déclenchée l’opération Lamentin,
première opération « moderne », pilotée
« en direct » par l’Élysée selon le journaliste
Jean Guisnel. Selon le site non officiel des
troupes de marine
,
cette opération « inaugure les opérations
“coup de poing ”
 ».

Un jeune Etat mauritanien sous tutelle française

Évidemment, la fonction stratégique de la
Mauritanie devait être garantie aux Français
par un pouvoir à leur main. Pour cela, avant
l’indépendance, l’administration coloniale
évinça un député jugé trop nationaliste et
fantasque, Horma ould Babana, au profit
d’une « filiale » du RPF, le parti gaulliste.

Plus tard, la France jeta son dévolu sur
Moktar ould Daddah car il était, comme le
notèrent les renseignements coloniaux, « le
champion d’un nationalisme mauritanien
raisonné et d’une collaboration étroite et
confiante avec la France »...

D’ailleurs, c’est avec ferveur qu’il défendit
le « oui » au référendum de 1958 pour la
communauté franco-africaine, puis président
en 1960, il signa des accords léonins de
coopération avec la France, ce qu’il reconnaîtra
plus tard les qualifiant « d’essence néocoloniale
caractérisée [puisqu’]ils limitaient
considérablement notre indépendance et
notre souveraineté
 » [1]. Ainsi, comme pour les autres
anciennes colonies françaises d’Afrique,
la France eut la priorité sur les matières
premières et produits stratégiques.

La Mauritanie adopta également, comme
monnaie, le franc CFA, ce qui priva de
toute souveraineté en matière de politique
monétaire. Les coopérants français furent
aussi omniprésents. L’appareil d’État
mauritanien, des ministres au président, était
truffé de conseillers français, la plupart anciens
membres de l’administration coloniale et
toujours payés par l’ancienne métropole...

Jusqu’en 1964, le ministre des Finances
était français en plus d’être le directeur de
la plus importante société française, les
Établissements Lacombe. Celle-ci bénéficiant
du monopole du transport terrestre...

1970, un tournant nationaliste éphémère

Au début des années 1970, le président ould
Daddah, en fin tacticien, évolua toutefois vers
une politique plus nationaliste, se rapprochant
des pays arabes dits progressistes comme
l’Algérie ou l’Égypte. En 1973, il dénonça
les différents accords de coopération et sortit
son pays de la zone franc pour créer sa propre
monnaie (l’Ouguiya) puis nationalisa, en
1974, les mines de fer. Évidemment, cela
créa des tensions avec les autorités françaises,
notamment le ministre des Finances, Valéry
Giscard d’Estaing. Une fois à l’Élysée, VGE
observera avec bienveillance le putsch qui
renversera le président mauritanien en 1978.
Pierre Journiac, son conseiller pour les affaires
africaines, y avait d’ailleurs séjourné quelques
jours avant ce coup d’État qui vit les militaires
putschistes multiplier aussitôt les déclarations
d’amitié envers la France. L’Hexagone les
adouba, affirmant que tout cela constituait
« une solution acceptable ».

De 1978 à 1984, le pays connut une succession
de coups d’État, le dernier de la série renversa
le président ould Haïdallah, qui, bien
qu’islamiste et soutien du Front Polisario,
essayait de mener une politique probe et
nationaliste depuis trois années. Là aussi,
les officines françaises ne furent pas loin :
avant et pendant le putsch grenouillaient
en Mauritanie Guy Penne, le monsieur
Afrique de Mitterrand, et Jeannou Lacaze,
son chef d’État-major. C’est sans doute
par hasard également que le putsch eut
lieu alors que le président mauritanien
participait au sommet France-Afrique de
Bujumbura auquel il ne s’était rendu que
sous la forte insistance de Paris.

Ould Taya dans l’ombre de Paris

Le nouveau président issu de la junte militaire,
le colonel Maaouiya ould Taya, connaîtra
une exceptionnelle longévité jusqu’en 2005.
Plus petit dénominateur commun parmi les
putschistes, il arrivera à manœuvrer pour
s’assurer le pouvoir et garantir aux siens et ses
alliés les postes économiques et sécuritaires
clés, mettant ainsi le pays en coupe réglée et
le transformant en paradis de la corruption, du
détournement et des trafics divers (cigarettes,
voitures volées, armes, drogues...).

La France
fut toutefois son plus fervent supporter, même
pendant le nettoyage ethnique qu’il organisa
entre 1989 et 1991. La seule fois où elle fit la moue, ce fut lorsque Taya refusa de soutenir
la coalition contre Saddam Hussein en 1990-
1991.

En revanche, quand il se présenta devant
les urnes, les différents pouvoirs français ne
lésinèrent pas sur leur appui, ni sur le soutien
technique aux fraudes. En 1997, Hubert
Védrine et Jacques Chirac n’hésitèrent pas à
se rendre à Nouakchott apporter le soutien de
la France au président-colonel en campagne.
Ils venaient avec un cadeau : 3000 tonnes de
céréales... utilisées pour acheter des voix.

A partir de 1999, l’amitié franco-mauritanienne
s’obscurcit à cause de l’affaire
Ely ould Dah. Ce militaire mauritanien,
coupable de tortures pendant le nettoyage
ethnique, profitait tranquillement en France
d’une formation lorsqu’il fut arrêté après les
plaintes de réfugiés mauritaniens, de Survie
et d’Aircrige. Il fut exfiltré par les autorités
françaises pour calmer Nouakchott qui mis
en sommeil sa coopération militaire avec la
France.

Mais le partage des juteuses rentes
qu’assuraient le pouvoir l’avait déjà fragilisé
lorsqu’une tentative de coup d’état raté,
en 2003, sonna le tocsin. En outre, dans la
deuxième moitié des années 1990, Taya
s’était beaucoup rapproché des Étasuniens,
les autorités chiraquiennes jugèrent alors
opportun de s’allier à certains de ses proches.
Aussi, en août 2005, un putsch plaça à la tête
de l’État les anciens numéros deux, trois et
quatre de la dictature, les colonels ould Vall,
ould Abdel Aziz et ould Ghazouani. Ould Vall
qui apparut au premier plan, était d’ailleurs
présenté comme très « francophile », proche
de certains militaires et politiques français
dont M. Guigou ou Chirac qui, une fois
à la retraite, l’invita à siéger au conseil
d’administration de sa fondation...

De « Dédé la sardine » à Total

Depuis trois ans, la France sarkozyste n’est
pas en reste dans le soutien aux mêmes
colonels, devenus généraux, qui commirent
un putsch en 2008... L’intérêt des Français
est là aussi principalement stratégique
mais il ne paraît pas dénué d’enjeux
économiques. En effet, les découvertes
croissantes de richesses naturelles en
Mauritanie aiguisent les appétits.

Pourtant au moment de son indépendance, la
Mauritanie ne compte qu’une seule richesse
exploitée et exportée, et encore de manière
peu intensive, celle de la pêche. En effet, les
eaux territoriales comptent parmi les plus
poissonneuses au monde et sont exploitées
par quelques petites entreprises de pêche
bretonnes et canariennes. Un homme
d’affaires français propose alors au président
de la jeune République de développer ce
potentiel et l’incite à investir dans le secteur.
Mais, à la suite de malversations, il prend
la fuite, laissant une ardoise salée à un tout
jeune État sans ressource...

Cet affairiste y gagne son surnom de « Dédé
la sardine
 », André Guelfi, que l’on retrouvera
dans nombre de magouilles françafricaines
notamment l’affaire Elf pour laquelle il sera
condamné. Les dettes que l’État mauritanien
hérite de cette histoire vont gravement
hypothéquer la souveraineté du pays, obligé
de vendre massivement des permis de pêche.
Ces ventes deviendront d’ailleurs une des
principales rentes de la dictature d’ould
Taya (1984-2005) et un bocal à confiture
pour affairistes dans lequel on retrouvera la
main de Jean-Christophe Mitterrand. Celui-ci
avait investi des sommes importantes
dans un hangar de pêche désaffecté alors
que ses comptes étaient censés être gelés
à cause de l’affaire de l’Angolagate...

Mais « Papa m’a dit » a une relation bien
particulière avec la Mauritanie où il fut
d’abord correspondant AFP avant de s’y
rendre comme conseiller Afrique de son
père puis de s’y recycler dans les affaires.
Outre sa pêcherie, il y créa une société de
communication (Ace Communication) qui
travailla pour ould Taya et le congolais
Sassou N’Guesso.

Son entregent amena
aussi la Compagnie fruitière de Marseille à
préférer ce pays au Ghana pour y investir
dans un projet illustrant l’hypothèque que
pose la Françafrique sur la souveraineté
alimentaire des peuples africains. Ainsi,
de l’argent public français et mauritanien
destiné au développement fut consacré à
un projet d’irrigation pour l’exportation
de fruits et légumes bio de contre-saison à
destination du marché européen, alors que
ce pays désertique, systématiquement en
déficit hydrique, ne subvient pas au quart des
besoins alimentaires de sa population...

En 1960, un autre secteur économique
paraissait prometteur. Dans les années 1950,
les Français avaient découvert un immense
gisement de fer d’excellente qualité. Mais
sa localisation nécessitait la construction
de gigantesques infrastructures. La Société
des mines de fer de Mauritanie, (Miferma)
fut créée et composée d’une majorité
d’actionnaires français, ainsi que d’aciéristes
européens. Le principal actionnaire en était
le Bureau de recherches géologiques et
minières (BRGM), établissement public
français, alors que le partenaire privé le plus
important était la banque Rotschild, aussi
créditrice de la société...

Or le projet ne put
démarrer que grâce à des prêts accordés par
l’État français et d’une institution financière
internationale (BIRD). Celle-ci entra dans
le tour de table une fois que le prêt fut
garanti par l’État français... dirigé par De
Gaulle dont le directeur de cabinet était alors
Georges Pompidou... qui travaillait encore
pour la banque Rotschild !

Au final, la Mauritanie n’obtint que 5 % du
capital alors que les investisseurs bénéficièrent
d’exonérations fiscales considérables et que
les divers chantiers eurent des entreprises
françaises comme adjudicataires.
Par ailleurs, quand les autorités mauritaniennes
nationalisèrent la Miferma qui
devint la SNIM (Société nationale industrielle
de Mauritanie), elles indemnisèrent généreusement
les actionnaires. Il est à noter
que la SNIM garde aujourd’hui encore
des liens étroits avec la France par le biais
de fourniture de matériels comme des
principaux crédits de coopération qui lui
sont destinés.

Les Français sont aussi les premiers
exportateurs, avec plus de mille entreprises
françaises, à destination d’un pays qui préfère
importer plutôt que de produire sur place (les
marges à détourner sont plus importantes).

Ils sont aussi présents dans de nombreux
autres secteurs : agroalimentaire (Candia,
Saros, Bahoulley), BTP (Sade, Razel,
Ciment Vicat, Ciment français), transports
(Air France, Bolloré, CMA-CGM),
télécommunications (Vivendi, France
Télécom, Alcatel), finances et assurances
(Société Générale, BNP, Gras Savoye,
AGF), enlèvement des déchets (Pizzorno),
ingénierie, informatique, sécurité...

Actuellement, c’est le secteur de l’énergie
qui a le vent en poupe, avec comme fers de
lance, Total, GDF ou encore Areva. C’est
sans doute un des enjeux essentiels, avec
la question de la lutte contre le terrorisme
djihadiste, des relations actuelles entre la
France et la Mauritanie.

[1Moktar ould Daddah,
2003, La Mauritanie contre vents et marées,
éd. Karthala

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 196 - novembre 2010
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