Le mot « Françafrique », popularisé par François-Xavier Verschave [1], intéresse l’opinion ces temps-ci. De la récupération à la négation il titille les fabricants d’images et de discours.
Un documentaire en deux épisodes, intitulé « Françafrique, cinquante ans sous le sceau du secret » de Patrick Benquet, est diffusé début décembre sur France 2. Lors de la présentation, l’auteur a révélé qu’il pensait à ce documentaire depuis quatorze ans mais ne l’a mis en oeuvre que depuis deux ans et demi « parce que les esprits n’étaient pas prêts ».
On leur sert aujourd’hui une version édulcorée de l’histoire de la Françafrique. Ce documentaire fleuve fait une très large place à des entretiens avec des acteurs français de la décolonisation, ex-agents secrets et autres ambassadeurs, notamment avec Maurice Delauney, décédé à 90 ans en 2009, dont on entend longuement les commentaires assez comiquement désuets, mais qu’on se borne à présenter comme ex-ambassadeur de France au Gabon, omettant de mentionner son rôle majeur, comme administrateur colonial, en 1958, dans la sanglante répression des nationalistes camerounais et le fait que, de 1979 à 1989, après avoir été ambassadeur au Gabon de 1965 à 1972 puis de 1975 à 1979, il a été PDG des mines d’uranium de Franceville au Gabon, ce qui est quand même plus intéressant, historiquement et politiquement, que ses radotages à relents racistes.
De même, on perd beaucoup de temps avec des images de réceptions officielles banales, tapis rouge, défilés et serrage de mains entre présidents français et africains, alors qu’il n’y a pratiquement pas d’images des quelque trente interventions militaires de l’armée française en Afrique subsaharienne depuis 1960.
Les mots Rwanda, génocide, ne sont même pas prononcés, non plus que ceux de Um Nyobé ou de Sankara et aucun témoin africain n’est appelé à s’exprimer en entretien spécifique. Autant dire que les principaux secrets restent bien gardés et que l’ensemble est très franco-français.
Seules les magouilles pétrolières sont largement décrites et ce n’est certes pas rien pour le grand public, qui découvrira que les pays africains financent l’économie et la politique française.
Ce sera certainement encore trop pour certains et ce documentaire défrisera sans doute des gens comme Pierre Péan pour qui la Françafrique n’est qu’une idéologie, « une vision négative où il n’est question que de corruption et où la France est responsable de tous les maux affectant le continent noir » [2].
Pour lui, Mitterrand a radicalement changé la politique africaine de la France par le discours de La Baule, en 1990, dont il se garde bien de citer la moindre phrase [3], encore moins les suites contradictoires avec les principes censés avoir été proclamés. Il affirme également que « la dernière intervention militaire de l’armée française en Afrique a eu lieu en janvier 1997 en Centrafrique ».
C’est un exemple des innombrables faussetés qui jalonnent ses propos. Il ignore que l’armée française a tiré sur le peuple ivoirien à Abidjan le 9 novembre 2004, qu’elle a repris l’aéroport de Birao en Centrafrique le 28 novembre 2006 et a défendu celui de Ndjaména au Tchad les 2 et 3 février 2008.
Pour lui la politique française, en maintenant les dictateurs africains, protège des pays immatures contre les troubles ethniques – les Africains étant incapables de se gouverner eux-mêmes – et la corruption en Afrique n’est pas perçue comme telle parce que la société y est fondamentalement différente. Ceux qui ne souscrivent pas à cette vision, qu’il ne faut surtout pas appeler raciste, sont des anti-France.
Vieux discours...
[1] François-Xavier Verschave, La Françafrique, le plus long scandale de la République. Stock, 1998.
[2] Pierre Péan, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique. Fayard 2010. Voir p. 16
[3] Odile Tobner, La vision de l’Afrique chez les présidents de la Ve république française in collectif, L’Afrique répond à Sarkozy, Philippe Rey 2008.